Entretien avec Paul Ricœur. Paul Ricœur et l’acheminement vers le soi
…C’est la tâche et la responsabilité du philosophe que d’essayer de porter au niveau du concept le vécu quotidien. Or, je crois que cet enchevêtrement de dissymétries dont je parle dans mon livre, entre la dissymétrie moi-tu dans l’ordre de la connaissance et la dissymétrie tu-moi dans l’ordre éthique, peut parfaitement être reconnu par tout le monde. Je dirai même que le jeune enfant, qui apprend en si peu de temps le maniement du langage, entre sans le savoir dans cette question par le moyen de l’échange des pronoms personnels. Quand il dit « je » et qu’il s’adresse à l’autre qui dit « tu », il présuppose que l’autre dit pour lui-même « je » et lui dit « tu » à lui qui est « je ». Donc cette espèce d’échange des pronoms personnels est manié très rapidement et semble-t-il, sans hésitation, par le jeune enfant. Et après tout, toute la philosophie est dans cette réciprocité des pronoms personnels. J’ai proposé d’ailleurs quelque part l’expression « la réciprocité est un échange entre des insubstituables », ce qui est un paradoxe, parce que si vous prenez un échantillon de choses que l’on dit semblables, on pourrait prendre l’une pour l’autre, un exemplaire de mon livre contre un autre exemplaire. Mais les personnes justement sont chaque fois uniques, insubstituables, et pourtant elles échangent leurs messages, éventuellement leurs rôles sociaux, sans pourtant jamais devenir interchangeables. Alors c’est cette énigme de la réciprocité des non-substituables.
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