Freud, Binswanger, Foucault : la psychanalyse à l’épreuve critique de la phénoménologie

Élaborée pour l’essentiel à partir de la clinique des névroses, la métapsychologie freudienne, à travers ses deux topiques successives, ne permet de conceptualiser qu’imparfaitement les expériences d’abolition, de néantisation, de dissolution du monde, fréquemment rencontrées dans les psychoses. Le refoulement – Verdrängung –, caractéristique de la névrose, demeure en effet le concept pivot de toute l’élaboration de la clinique freudienne, à partir duquel se dégagent progressivement les notions de déni – Verleugnung –, dans la perversion, et de rejet – Verwerfung – dans la psychose. Chez Binswanger, le recours aux philosophies husserlienne et heideggerienne ne cesse de venir jouer comme instance critique pour faire travailler et se métamorphoser les concepts freudiens. Située à la croisée des champs respectifs de la psychiatrie clinique et de la psychanalyse, la Daseinsanalyse participe de cette critique phénoménologique des concepts analytiques, appelée par la nature même des troubles psychotiques présentés par les patients. Comme l’écrit Jean Gillibert dans la préface à la Correspondance Freud- Binswanger : « Binswanger “opère” en psychanalyse avec ses malades hospitalisés, mais il se réserve, dans le cadre de la psychiatrie et de la psychologie générale, de les décrire phénoménologiquement et existentiellement ». Le phénomène psychotique n’est pas en effet sans solliciter méthode et théorie phénoménologiques. Pour Mareike Wolf, la question centrale est ici celle de la corporéité : « Ce que la psychanalyse appelle l’inconscient ne se laisse décrire et comprendre positivement qu’à partir du moment où l’inconscient est intégré dans la continuité d’une recherche de structure anthropologique, et là primordialement dans le complexe de la corporéité – Leiblichkeit –, et s’il est mis en lumière depuis ce lieu ». Il convient donc, comme le remarque Pierre Fédida, d’« éviter le contresens trop répandu selon lequel Binswanger serait un disciple dissident de Freud, remplaçant la psyché par le Dasein, une notion positive par une entité romantique ».

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