Langage et existence : la convergence Guillaume—Heidegger
Gustave Guillaume (1883-1960) et Martin Heidegger (1889-1976) étaient tous deux contemporains. Sans doute en raison de la Seconde Guerre mondiale et de la complexité des relations internationales qui l’ont précédée, ni le grammairien, ni le philosophe n’eurent connaissance de leurs travaux respectifs et furent l’un et l’autre privés de certains éclairages indispensables à leur réflexion. Le moment semble venu d’envisager la convergence entre la psychomécanique de Guillaume et la phénoménologie de Heidegger, à la suite de Maurice Merleau-Ponty et de Henri Maldiney. Le présent article propose le rapprochement entre l’analytique grammaticale du système verbal des langues indo-européennes à partir de la notion de chronogénèse (ou image-temps) développée dans la thèse de Guillaume Temps et verbe, théorie des aspects, des modes et des temps (1929), et l’analytique de la temporalité existentiale présentée dans la deuxième section d’Etre et temps (1927). En premier lieu, nous aborderons la convergence du point de vue de la méthode, que Guillaume comme Heidegger voulait phénoménologique, pour ensuite mettre en lumière l’identité structurale de la tri-ekstatique de la temporalité existentiale avec celle de la systématique des voix et des temps verbaux. A titre d’application, ce parcours sera complété, par la lecture existentielle d’une œuvre littéraire, Beloved de l’écrivain américain Toni Morrison.
Nous ne reprendrons que certains points de la théorie guillaumienne, celle-ci ayant été exposée plus amplement dans l’article de Philopsis paru le 9 décembre 2018 et intitulé « Linguistique et phénoménologie : approche de la temporalité de Gustave Guillaume à Henri Maldiney ». Pour l’heure, il paraît opportun de revenir succinctement sur l’origine du temps linguistique ou univers-temps, selon Guillaume.