La théorie aristotélicienne du lieu
On reproche couramment à la physique aristotélicienne de ne pouvoir être une science authentique, de ne pouvoir être que “ préscientifique ”, du fait qu’elle serait fondée sur une métaphysique, c’est-à-dire, suivant une identification généralement admise aujourd’hui, sur de l’invérifiable. Ce jugement est très équivoque parce qu’il repose sur des définitions et des oppositions étrangères au point de vue d’Aristote lui-même.
Aristote ne distinguait pas les sciences par leur méthode, mais d’abord par leur objet. Si l’on peut parler de la science en général, c’est que, comme vertu intellectuelle, elle est une disposition acquise de l’intelligence qui rend capable d’échapper à l’opinion en produisant des démonstrations. Il n’est pas, pour Aristote, de science qui ne démontre, qui ne prouve certaines conclusions, même si la démonstration comporte dans ses prémisses des propositions empruntées à l’expérience. Et comme il ne saurait y avoir de démonstration des principes d’une preuve démonstrative, comme d’autre part Aristote ne voit, en-dehors du raisonnement déductif, rien qui puisse nous instruire si ce n’est l’induction à partir de l’expérience sensible, il faut en conclure qu’il n’est pour lui aucune science, même des plus abstraites, qui n’entretienne quelque rapport à l’expérience, que ce soit comme source première de ses intuitions fondamentales, comme moyen d’attester ses propositions par l’exemple, voire, et peut-être plus essentiellement, comme moyen de réfutation et d’élimination de théories irrecevables.
Dans cette perspective, où le logique et l’empirique sont distingués sans être encore dissociés, il y a bien une méthodicité caractéristique de la science en tant que telle. Mais la méthode ne diversifie pas la science du fait même qu’elle est constitutive de son essence formelle. Les sciences ne sont dès lors diverses que dans la mesure où il existe du démontrable dans plusieurs ordres. Aristote distingue ainsi ce que les scolastiques dénommeront à sa suite les trois degrés d’abstraction. Ce terme ne désigne pas alors l’universalité qui est le caractère de tous nos concepts, en tant qu’ils sont la représentation unifiée d’une multitude indéterminée, soit de sujets singuliers, soit d’autres concepts. L’abstraction dont il s’agit s’entend par rapport à l’existence matérielle et aux conditions qu’elle implique.