Diderot et la physiologie de la sensibilité

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La physiologie des Lumières s’est développée d’après le modèle de l’anatome animata et a reçu d’Albrecht von Haller son expression canonique. Dans un travail antérieur, je me suis précisément employé à retracer, au 18e siècle, cette genèse de la physiologie comme science des processus de l’être vivant. Autonome par l’objet et les méthodes d’analyse, cette science, dans la forme que lui donne le travail hallerien, vise à identifier les propriétés vitales suivant l’analogie des propriétés universelles irréductibles de la physique newtonienne, et il s’agit d’établir la corrélation de ces propriétés suivant l’ordre même des élément structuraux composant l’organisme. La nouvelle physiologie se développe surtout après la publication en 1753 du mémoire de Haller sur l’irritabilité et la sensibilité. Résolument expérimentale et analytique, cette conception originale infléchit les éditions subséquentes du manuel d’enseignement que sont les Primæ Linæ physiologiæ de Haller; mais le grand exposé synthétique en est fourni dans les Elementa physiologiæ corporis humani (1757-1766). Certes Haller ne fut ni le seul initiateur, ni le seul artisan de ce courant novateur. Des chercheurs, tels que Jacques Roger et Roselyne Rey, nous ont appris l’importance et la spécificité des contributions de Théophile de Bordeu et des « vitalistes » de Montpellier, Henri Bouquet, Jean-Jacques Ménuret de Chambeau et plus tard Paul-Joseph Barthez, à une science de l’être vivant considéré en son fonctionnement normal comme en ses déviances pathologiques. A la même époque, l’histoire naturelle et la théorie de la génération connaissaient une refonte majeure avec Maupertuis, Buffon et John Turberville Needham et s’écartaient de la méthodologie de simple description corrélative des spéculations métaphysiciennes de la physicothéologie. Diderot fut le témoin enthousiaste de cet essor sans précédent de la pensée biologique, au point d’y voir, comme nous le savons, un dépassement programmatique des mathématiques et de la physique, parvenues à l’état de maturité et peu susceptibles désormais de mutation profonde…

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