Le principe chez Hegel

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Selon Tom Rockmore, il y aurait dans l’histoire de la philosophie deux formes fondamentales de justification : un type linéaire et un type circulaire. Le premier type partirait d’un principe sans présuppositions, suffisamment riche pour permettre la déduction de toutes les propositions vraies. Quant au second type, la valeur des premières propositions dépendrait de leur relation aux propositions ultérieures dans la chaîne du raisonnement. Hegel semble relever du deuxième type, d’autant que dans sa philosophie, on trouve de nombreuses occurrences du terme de « cercle », surtout le terme mathématique de Kreis, au lieu de Ring et de Zirkel. T. Rockmore souligne aussi que la pensée hégélienne représente « une alternative épistémologique » par rapport aux modèles existants en philosophie, comme l’approche intuitionniste des grecs ou le rationalisme cartésien moderne et son approche déductive, linéaire. On se propose de montrer comment la signification du cercle est étroitement liée chez Hegel à une critique de l’usage des principes en philosophie. Cela permettra de mieux comprendre le sens de cette alternative dont parle Rockmore.

Dans la tradition philosophique, le terme de principe a deux acceptions : le sens gnoséologique et le sens ontologique. Est principe ce qui est la source de connaissances et aussi ce dont tout dérive, ce que résume à lui seul le terme si controversé d’ontothéologie, où le principe des êtres, l’être des êtres, est censé donner en même temps le moyen de fonder le discours sur l’être. Kant distingue les principes logiques comme les principes d’identité et de contradiction qui n’ont qu’une valeur de critère, les principes (Grundsätze) d’entendement, constitutifs d’une science et d’une métaphysique de la nature, et les principes (Prinzipien) de la raison, sorte de « maximes » de la raison destinées à unifier de façon systématique les connaissances. En allemand, principe se traduit dans le lexique du Satz, du Grundsatz et du Prinzip et cette remarque n’a rien de formel, pour comprendre la façon dont Hegel critique la conception statique du principe. Dans Satz, on reconnaît en effet le déverbal formé à partir du verbe Setzen, qui signifie poser, ce qui n’est pas sans conséquences. Si Hegel pense l’être comme positio sui et non plus comme position au sens de donné irréductible et indéductible, alors il est difficile de penser le principe comme ce qu’on pose en amont de tout discours. Dans une philosophie comme celle de Hegel, où l’être est pensé comme un Soi, il est difficile de distinguer la saisie philosophique de l’être et la présentation de l’être lui-même dans le Discours. Si l’être se dit dans le Discours, ce n’est plus la subjectivité humaine qui peut arbitrairement décider ce qui est premier et ce qui est second, ce qui est principe, principal ou principiel et ce qui est dérivé, second, secondaire. En d’autres termes, Hegel remet en cause à la fois la priorité et la primauté du principe, en remettant en cause l’obligation de passer par l’énonciation de principes, afin de fonder la connaissance philosophique.

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