Etre et monde. Le développement de la pensée de Heidegger de 1923 à 1930
Lorsque Heidegger publie son œuvre majeure, Etre et temps, sa pensée a déjà connu un développement important. Ses premiers travaux ont en effet été consacrés, sous l’impulsion husserlienne, à la logique, il s’est ensuite intéressé, essentiellement pour des raisons de carrière, à la philosophie médiévale, à laquelle il a consacré sa thèse d’habilitation, et les premiers cours qu’il donne à Freiburg entre 1919 et 1923 sont dominés par la problématique, d’inspiration diltheyenne, de la « faktische Leben », de la vie facticielle, dont va progressivement émerger la notion de Dasein, qui constituera le centre des recherches menées à partir de 1923. Nous disposons aujourd’hui d’une grande partie des cours de Heidegger, qui ont été publiés dans le cadre de l’édition complète de ses œuvres entreprise du vivant de celui-ci, en 1975, ce qui permet de reconstituer avec précision la genèse de son œuvre. C’est de 1923 à 1930 que s’étend la période de l’élaboration de Etre et temps, dont seules deux sections sur les six originellement prévues sont publiés en 1927 : les cours des années 1923 à 1926, année où la rédaction de Etre et temps s’achève, sont en grande partie consacrés à l’élaboration de la problématique de l’analyse existentiale exposée dans ces deux sections, et ceux qui suivent la publication de ces dernières sont destinés à la préparation de ce qui aurait dû constituer le contenu des sections manquantes. On peut légitimement considérer que tout le travail de Heidegger jusqu’en 1930, à travers ses cours et ses publications, avait pour but l’achèvement de Etre et temps. Son cours du semestre d’été 1927, Les problèmes fondamentaux de la phénoménologie, se présente en effet comme « une nouvelle élaboration de la troisième section de la première partie de Etre et temps ». Quant à l’ensemble de la deuxième partie projetée en 1927 concernant les « Traits fondamentaux d’une destruction phénoménologique de l’histoire de l’ontologie selon le fil conducteur de la problématique de la Temporalité », elle n’a jamais été élaborée sous cette forme, ce qui ne veut nullement dire que la « destruction » que Heidegger se proposait comme tâche n’ait pas été accomplie : elle l’a en fait été sous une autre forme, dans ses cours de Marbourg et de Fribourg, avant et après la parution de Etre et temps. Indiquons brièvement que la destruction phénoménologique de l’ontologie kantienne a été accomplie non seulement dans le livre de 1929, Kant et le problème de la métaphysique, mais dans les cours de 1925-26 (Logik, Die Frage nach der Wahrheit), de 1927 (Les problèmes fondamentaux de la phénoménologie), de 1927-28 (Interprétation phénoménologique de la « Critique de la raison pure » de Kant) et de 1930 (De l’essence de la liberté humaine). La destruction de l’ontologie cartésienne a été accomplie dans le cours de 1923-24, Einführung in die phänomenologische Forschung, qui contient une longue interprétation critique des Méditations de Descartes, et également dans le cours de 1927 sur Les problèmes fondamentaux de la phénoménologie. Enfin la destruction phénoménologique de l’ontologie antique et aristotélicienne a été accomplie principalement dans les cours de 1924-25 sur le Sophiste de Platon, de 1925-26 sur Logik, et de 1927 sur Les problèmes fondamentaux de la phénoménologie.