La République VIII – Les cités ou la fable des faux bourdons
Nous sommes, au début du livre VIII de la République, à un moment très délicat : celui où s’opère une bascule. Socrate résume ainsi à Glaucon l’acquis des cinq livres précédents : s’il devait exister une cité bien gouvernée, elle serait commandée par un citoyen excellent en philosophie et supérieur à la guerre ; ce chef installerait un corps de gardiens, hommes et femmes et enfants vivant en communauté, sans biens possédés, sans monnaie d’or ou d’argent ; et il veillerait à l’éducation. Est-ce irréaliste ? En un sens oui car on voit mal la combinaison en un même homme de la philosophie et de la stratégie militaire, puisque ces deux attributs sont contraires ; sous un autre rapport non, car Sparte donnait un modèle vivant de cité puissante qui, depuis l’initiative constitutionnelle de Lycurgue, faisait assumer aux périèques et hilotes, exploitant l’ensemble du territoire, l’entretien d’un corps de « spartiates », citoyens-guerriers, qui mangeaient ensemble, ne se mariaient pas, avaient des enfants élevés en commun, ignorant qui étaient leur père et mère. La seule monnaie, en fer, se présentait sous forme de broches, très encombrantes, car de peu de valeur. L’idée maîtresse de Socrate ici n’est pas originale ou neuve. De plus, Socrate est resté aussi laconique qu’un spartiate : la constitution possible n’a pas été précisée, surtout quant aux institutions de la cité : comment les puissances législatives, exécutives, et judiciaires s’exerceraient-elles, par quels organes de pouvoir ? Quelle serait la réelle activité politique dans cette cité ? Nous n’en savons rien : on pourrait penser que Socrate imagine ce peuple avec ses gardiens et son roi comme n’ayant pas de vie politique effective. C’est le cas de revenir à la métaphore du berger (le roi) qui, grâce à ses chiens bien dressés (les gardiens) ferait paître son troupeau là où il faut.
Que montrent, d’un autre côté, les cités grecques existantes, et même les autres pays ? Socrate y voit quatre, ou plutôt cinq formes de gouvernement : 1 le gouvernement de Crète (royal) puis celui de Lacédémone qui viserait l’honneur et serait une « timarchie » ou une « timocratie » ; 2 l’oligarchie ; 3 la démocratie ; et 4 la tyrannie. C’est très simplifié ; c’est en écho de l’habitude de distinguer les régimes politiques selon le nombre de gouvernants : un, plusieurs, beaucoup selon l’amplitude de l’attribution de la citoyenneté. Et le cycle va de l’un sous figure de roi, à l’un sous figure de tyran.
