Les deux Gygès (République, livre II)

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Nous possédons deux versions de l’histoire de Gygès le lydien. La première est dans les Enquêtes d’Hérodote ; et la seconde au livre II de la République de Platon. Donnons-nous un résumé de chacune, pour les avoir nettement sous les yeux.

Première histoire : Candaule était tyran de Sardes. Eperdument épris de son épouse, il était persuadé d’avoir la femme la plus belle du monde. Son garde favori était Gygès : il lui confiait tous ses secrets, et plus particulièrement lui vantait la beauté de sa femme. Or Candaule un jour dit à Gygès « Il me semble que tu ne me crois pas quand je te parle de la beauté de ma femme : les hommes ont moins confiance dans leurs oreilles que dans leurs yeux. Il faut que tu la voies toute nue. » Gygès refuse ; il avance que « chacun ne doit regarder que ce qui est à lui », que cet acte serait impudique et coupable. Mais Candaule est déterminé à l’introduire dans la chambre conjugale, à le cacher derrière un rideau et à lui permettre de la voir se déshabiller ; « quand elle ira de la chaise vers le lit et qu’elle te tournera le dos, alors à toi de franchir la porte sans qu’elle te voie. » Gygès se résigna à obéir. Et un soir, il se cache dans la chambre, il voit, et se glisse vers la porte : mais la femme l’aperçoit quand il s’esquive. Elle comprend que son mari a voulu cet incident, et ne laisse rien paraître de sa honte. Le lendemain matin, elle convoque Gygès. Elle lui dit : « Gygès, deux routes s’ouvrent maintenant devant toi, je te laisse choisir celle que tu veux : tue Candaule et prends-moi, et le royaume de Lydie avec moi ; ou bien il te faut périr sur l’heure, sans recours, ainsi tu n’auras plus l’occasion d’obéir à Candaule et de voir ce que tu ne dois point voir. » Frappé de stupeur par ce discours, Gygès supplia la reine de ne pas lui imposer ce choix. Mais il ne put l’émouvoir et se vit contraint ou de tuer son maître ou de périr lui-même. Il choisit de vivre : tu me contrains de tuer Candaule malgré moi, lui dit-il ; mais comment ? Dans son sommeil, dit-elle : là où il m’a montré à toi. Gygès ne pouvait se dérober. La nuit venue, elle lui mit un poignard en main, le cacha dans la chambre. Quand Candaule s’endormit, Gygès le poignarda, et prit possession de sa femme et de son trône. Son pouvoir fut confirmé par l’oracle de Delphes. C’est ainsi qu’il devint roi. (Hérodote : L’Enquête, I, 7-13)

Deuxième histoire : Gygès était un berger au service du roi de Lydie. A la suite d’un orage et d’un tremblement de terre, le sol se fend. Il aperçoit une grande ouverture, descend dans le trou, aperçoit un cheval d’airain, creux ; à travers une petite porte, il voit un homme mort, très grand, nu, portant un anneau d’or à la main. Gygès prend l’anneau et sort. Les bergers s’assemblent alors, comme chaque mois, pour faire au roi leur rapport sur l’état des troupeaux. Gygès vient à l’assemblée, portant l’anneau. Il tourne par hasard le chaton de la bague vers la paume de sa main, et les bergers parlent de lui comme s’il n’était pas là : serait-il devenu invisible à ses voisins ? En maniant de nouveau la bague, tournant le chaton en dehors, il redevient visible. Après quelques essais, il comprend le pouvoir de la bague. « Sûr de son fait, il se fit mettre au nombre des bergers que l’on députait au roi. Il se rendit au palais, séduisit la reine, et avec son aide, attaqua et tua le roi, puis s’empara du trône. » (Platon, République, II, 359b-360b. Glaucon parle.)

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