Lecture du Contre Colotès de Plutarque

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Le Contre Colotès (Adversus Colotem) de Plutarque est une œuvre à la fois singulière et fondamentale. Singulière par la complexité de sa structure : Plutarque s’attaque à un épicurien de stricte obédience, Colotès, en se référant non seulement au traité polémique que ce dernier avait composé contre les écoles philosophiques autres que celle d’Épicure, mais aussi aux textes des auteurs attaqués et aux propres positions du Maître du Jardin. Plutarque polémique contre la polémique en dénonçant les présupposés infondés et les incohérences des attaques épicuriennes. Comme en contrepoint, et c’est ce qui en fait un texte fondamental, la querelle tourne à l’apologétique, au service de la tradition platonicienne en particulier, mais aussi au service de la philosophie tout entière, que l’école épicurienne ne ferait que déprécier. Pour l’historien de la philosophie, le Contre Colotès a donc une double dimension : c’est un exemple remarquable de la manière dont se construisent les polémiques philosophiques à l’époque hellénistique et sous la période immédiatement postérieure. C’est aussi une source d’une richesse exceptionnelle sur l’épicurisme, sur la tradition platonicienne et sur tous les auteurs antérieurs (tels Parménide, Empédocle et Démocrite) que cite Plutarqu

Lorsque nous avons entrepris de lire le traité, à l’occasion d’une rencontre internationale qui s’est tenue à l’ENS de Lyon en avril 20101, nous avons pris le parti de ne pas séparer ces deux aspects du traité : l’agencement et l’entrecroisement des polémiques d’une part, la dimension historiographique d’autre part. Trop souvent, comme d’autres traités du Chéronéen, le Contre Colotès a servi de simple réservoir doxographique, de texte source pour les reconstructions des auteurs cités, alors qu’il doit aussi être lu pour lui-même, avec une attention constante à la dynamique et à la stratégie qui lui sont propres. C’est même sous cette seule condition que sa portée informative peut être correctement évaluée.

Le lecteur retrouvera cette intention méthodologique tout au long du dossier qui suit. Nous avons suivi le fil du texte lui-même, dont nous voudrions proposer ici une sorte de guide de lecture. Nous ne prétendons pas épuiser toutes les richesses et les subtilités de ce traité, mais donner un aperçu aussi complet que possible de l’état des recherches sur un texte qui revient actuellement en pleine lumière.

L’étude du Prologue, par Francesco Verde et moi-même, entend montrer la manière dont Plutarque met en place sa propre stratégie, tendant ainsi les fils qui feront la trame du traité. On verra ensuite, avec la contribution de Luca Castagnoli, comment notre auteur démarque Démocrite d’Épicure en sauvant la réputation du premier face aux incohérences et aux erreurs du second. Alain Gigandet examine ensuite en quels termes Plutarque se réfère à Empédocle pour mieux démontrer la faiblesse des principes de la physique atomiste. Mauro Bonazzi présente le traitement de Platon, associé ici à Parménide au nom de la position dualiste qui, selon Plutarque, leur serait commune. Jan Opsomer montre comment ce dernier défend les modes de vie et doctrines respectives de Socrate et Stilpon. James Warren analyse la position de Plutarque concernant les cyrénaïques, que les épicuriens attaquent à juste titre, tout en soutenant pourtant une position similaire. Carlos Lévy examine la façon dont Plutarque réfute les attaques du Jardin contre la Nouvelle Académie, justifiant un rapprochement entre platonisme et scepticisme au sein de l’Académie prise dans sa globalité, tout en retournant contre les épicuriens eux-mêmes l’accusation de l’impasse épistémologique. On verra également, dans la rubrique Varia, comment Aurora Corti entend rendre une certaine consistance, au sein de ce débat, à la figure de Colotès. Geert Roskam, enfin, analyse la partie finale du traité et la polémique menée par Plutarque contre l’incivisme supposé des épicuriens.

https://journals.openedition.org/aitia/599