La métaphysique de Théophraste

Une scholie introductive au plus ancien manuscrit de notre texte fait savoir que, dès l’Antiquité, Théophraste était connu de certains comme l’auteur d’un texte relatif à ce que l’on commençait alors à appeler la Métaphysique d’Aristote. S’il semble être ignoré à ce titre des premiers éditeurs d’Aristote, il est en tout cas connu de Nicolas de Damas, lui-même auteur d’un traité sur les livres d’Aristote qui sont au-delà de la Physique. Il ressort aussi du même témoignage que le titre de Métaphysique ne provient pas de Théophraste, pas plus qu’il ne provient d’Aristote pour l’œuvre conservée et regroupée sous ce titre. 

Théophraste avait été choisi par Aristote lui-même pour lui succéder à la tête du Lycée. Aussi son oeuvre a-t-elle assez vite connu une forte autorité dans la tradition aristotélicienne. Parmi ses nombreux écrits, la plupart ont été consacrés à des questions de physique prises au sens large et contenant à son sommet le vivant. Outre ses Caractères, sont restés longtemps célèbres son Historia Plantarum et son De Causis plantarum. On trouve aussi parmi ses ouvrages un De Ventis, un De SudoreDe OdoribusDe LassitudineDe Sensibus. Cet intérêt marqué pour la nature et les questions psycho-physiques a pu être compris comme une confirmation de l’infléchissement de l’école aristotélicienne vers la physique au détriment de l’intérêt pour la philosophie première et la métaphysique. Ce fléchissement qui s’accentuera en effet par la suite dans la tradition de la première école aristotélicienne serait en fait le prolongement de l’évolution d’Aristote lui-même qui se serait progressivement, selon Jaeger, éloigné, à cause d’une sorte de déception face aux résultats accessibles en cette matière, de la philosophie première qu’il cultivait dans sa jeunesse sous l’influence de son maître Platon. On pourrait ainsi comprendre le livre de Théophraste sur la Métaphysique comme une étape dans cet infléchissement et peut-être comme une étape décisive dans la mesure où les questions qu’il poserait à son maître resteraient définitivement sans réponse. On doit pourtant aussi constater immédiatement que l’intérêt de Théophraste se porte d’emblée sur la partie la plus théologique de l’œuvre aristotélicienne et que peut-être ses interrogations n’ont pas une portée aussi négative que celle que l’on pourrait croire à la suite d’une lecture ou trop rapide ou trop influencée par le schéma jaegerien qui repose sur une sorte de dilemme – illustré par le fameux tableau de l’école d’Athènes – entre les préoccupations physiques et les intérêts théologiques. Hegel proposait une alternative en situant la grandeur de l’aristotélisme dans sa capacité à saisir le concret dans le concept et le concept dans le concret. Pourquoi Aristote aussi bien que son disciple préféré, chacun avec leurs nuances, ne seraient-ils pas engagés dans une grandiose entreprise de cette nature ? 

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