Religion et spéculation
C’est un lieu commun de dire à la suite de Heine que la philosophie classique allemande est « la dernière conséquence du protestantisme ». De l’Aufklärung à Feuerbach on peut identifier une séquence historique qui commence par la définition du noyau rationnel de la religion et s’achève dans la négation anthropologique de celle-ci. Entre ces deux limites se trouve un moment particulier où les figures éminentes de la spéculation – Fichte, Schelling , Hegel – intègrent la religion à leur système. Cette séquence a ceci d’original qu’elle ne fait pas de la religion un phénomène atavique dépassé car, par la négation anthropologique de la religion, Feuerbach veut aussi préserver le quid proprium de la religion, ce qu’elle a d’essentiel pour l’homme. La philosophie allemande effectue une rationalisation de la religion qui est plus qu’une critique du fait religieux. La religion permet de critiquer le rationalisme froid des Lumières, puis dans la période des grands systèmes elle a une place particulière dans la pensée de l’Absolu et dans l’économie de la Révélation divine. Cela ne va pas sans un coup de force : la religion est dépossédée de son rôle essentiel, pour devenir une présupposition du discours philosophique autofondateur, ce qui entraîne des résistances de la part de ceux qui soulignent son irréductibilité face à la raison spéculative .