Corps et religion : théologie du corps
Heureux soit le matérialisme qui délivre l’humanité du fardeau de la religion, de ses interdits contre le corps et de ses terreurs pour l’esprit. Dieu est mort, vive le corps. Folie de la religion, sagesse du corps. Mais les religions ont-elles la haine du corps ?
L’ascétisme passe pour être l’esprit de la religion et la voie du salut, associant la matière et le mal, l’amour et le péché. La sexualité n’est pas la vie mais le travail de la mort. Le plaisir érotique n’est pas jouissance de vie mais jouissance de mort. La matière fait corps avec la mort, la mort épouse le désir de la chair. Dès lors, pour mourir à la mort, il faut mourir au corps. Ce qui peut se faire par deux types d’ascèse : une ascèse négative qui refuse au corps ses besoins élémentaires pour vivre ou, au contraire, une ascèse positive ou orgiaque qui ne lui refuse rien. Certains mouvements gnostiques des premiers siècles après J.-C. ont pratiqué cette sorte d’ascétisme “hyperbolique”, en soumettant le corps à sa propre loi de l’excès : soustraire le corps à ce qu’il comporte encore de limite pour lui ôter toute satiété, tuer le corps non par la privation mais par la privation de toute limite.
De fait, la théologie et la philosophie ont mêlé leur voix dans la haine du corps. On y trouve, pour les mêmes raisons, le même dégoût pour les odeurs, le mépris pour l’odorat – les contempteurs du corps sont toujours des « contempteurs du nez » — et le même rêve d’un corps si parfait qu’il serait non-mortel, sans désirs, c’est-à-dire chair désincarnée. Le matérialiste hédoniste objectera toujours à qui fait grand cas de la « résurrection des corps » dans le christianisme que le corps glorieux qui « connaîtrait “la suppression des misères et des infirmités qui affligent la vie présente”. Impassibilité, subtilité, agilité, clarté » est une « antimatière, une chair désincarnée, une contradiction dans les termes ». Pour calomnier le corps, la sensualité, l’érotisme, pour identifier la mort et la sexualité, l’esprit métaphysico-religieux invente un corps impossible : corps illuminé après la mort dans la vision béatifique de Dieu, corps androgyne d’avant la séparation des sexes comme dans le mythe évoqué par Aristophane dans le Banquet de Platon , ou corps mutant au terme d’un progrès indéfini des sciences et de la civilisation (Fourier). La rédemption projette dans l’au-delà la perfection du corps avant la chute et le péché, pour mieux oublier le corps ici et maintenant, la chair palpitante de désir et de jouissance mais mortelle.