La réalisation de soi dans l’art: une lecture daseinsanalytique de Solness le Constructeur

Commentant une pièce intitulée Solness le constructeur, le psychiatre suisse L. Binswanger prend pour thème la réalisation de soi ainsi que le sérieux, la véracité, le refus des demi-mesures, que, selon Ibsen, la réalisation de soi exige.
L’opération de la forme artistique, la Gestaltung, est un des chemins fondamentaux de la véracité et de la réalisation de soi.
L’art est une Gestaltung et ouvre la voie d’une réalisation de soi pour autant que s’y croisent l’horizontalité – la direction de sens de l’expérience et de l’amplification de soi -, et la verticalité – la direction de sens de l’amour et de l’ascension ; il y a Gestaltung là où une re-prise véritable du passé dans le présent ouvre un avenir, là où hauteur et profondeur communiquent, là où se composent et se nouent l’éternité du beau et la patience du travail de l’œuvre.
Mais l’art ne peut ainsi ouvrir la voie d’une réalisation de soi qu’en s’approchant au plus près, en faisant l’épreuve de l’ennemi intime qui le menace – de l’intérieur. Cette menace, Binswanger l’appelle présomption . La présomption survient au moment où la proportion se rompt entre l’horizontal et le vertical, l’ample et le haut, au moment où la hauteur devient une sorte d’abîme qui attire et emporte celui qui monte, jusqu’au point où il s’effondre dans le vide. La passion de la forme pure peut en venir à oublier la vie.
L’art est une voie de la réalisation de soi pour autant qu’il sait être, non une négation, mais une catharsis de la vie.

Phénoménologie et psychanalyse: trois lectures de Freud

On se propose d’étudier quels ont été les foyers et les enjeux de la rencontre entre phénoménologie et psychanalyse dans les travaux de trois auteurs majeurs du courant phénoménologique : Maurice Merleau-Ponty, Paul Ricœur et Michel Henry. Cette rencontre présente une double face : elle est, du côté de la psychanalyse ou plutôt du côté d’une pensée qui se met à l’école de la psychanalyse, une mise en question de certains concepts fondamentaux de la phénoménologie (l’intentionnalité, la conscience donatrice de sens, la signification du cogito) ; elle est aussi, symétriquement, du côté de la phénoménologie, un examen critique des concepts psychanalytiques et, en particulier du double langage de la psychanalyse, de sa double référence constante à l’ordre du sens et à l’ordre de la force, à des rapports de motivation et à des rapports de causalité.

Notes de lecture sur « Puissance ou impuissance de la subjectivité » de Hans Jonas

Le Principe responsabilité est traversé par deux grandes questions dont on doit préciser l’importance pour la pensée de Hans Jonas.
La première concerne l’ontologie. Dualisme et monisme sont, selon Hans Jonas, les deux tentations permanentes de l’ontologie.
Le dualisme est inévitable sur le plan phénoménal : « les actes intellectuels, disait Descartes, n’ont aucune affinité avec les actes corporels » ; et Jonas précise : « on ne peut tout simplement pas additionner d’un côté les grandeurs dans l’espace et de l’autre le sentir ; aucun dénominateur commun ne permet d’unir dans un champ théorique homogène, malgré leur co-appartenance manifeste, “étendue” et “conscience” » .
Mais le dualisme est impossible sur le plan ontologique : « la voix de la subjectivité, dans l’animal et dans l’homme a émergé des tourbillons muets de la matière et continue d’y être liée » ; la vie organique témoigne du lien le plus intime entre l’intériorité subjective et l’extériorité matérielle et le dualisme doit être abandonné. Le monisme n’offre cependant pas une meilleure issue s’il se présente simplement comme la réduction violente de l’un des deux termes à l’autre.

Le flux originaire. Pensée husserlienne du sujet et métaphysique phénoménologique

La phénoménologie de Husserl, surtout lorsqu’elle se fait idéalisme transcendantal, est une pensée de la subjectivité. Le sujet est transcendantal au sens où il est la condition de possibilité de ce qui se donne, de ce qui apparaît. Cette dimension transcendantale est thématisée par le concept de constitution. C’est en tant qu’elle est constituante que […]

Commentaire du livre IV de la Physique

« La nature est principe de mouvement et de changement » (Ph III, 200b10) ; il est donc impossible de connaître la nature sans questionner le mouvement ; or on « prétend » (opinion commune ou opinion savante) que « sans lieu , sans vide et sans temps il est impossible qu’il y ait du mouvement » (b20, p. 160) ; cela rend nécessaire de les étudier ; le lieu est étudié aux ch. 1 à 5, le vide aux chap. 6 à 9, le temps dans la suite du livre IV…

Commentaire du livre III de la Physique

Les deux premiers livres établissent les conditions de possibilité d’une science de la nature. Le premier a justifié dialectiquement la réalité de l’objet de la physique: la nature comme principe de mouvement et de repos, en particulier contre les apories qu’avait soulevées les Eléates à l’encontre du mouvement. Le second a formulé les concepts fondamentaux de la physique et en particulier les différentes figures de la causalité et de la nécessité. On en vient, avec le livre III, à l’objet propre de la physique : si la nature est principe de mouvement, il est nécessaire d’étudier le mouvement : « l’ignorer, c’est nécessairement aussi ignorer la nature ». Aristote traite d’abord du mouvement lui-même (III et IV), puis de la division du mouvement quant à ses espèces (V) ou bien ses parties quantitatives (VI), puis le mouvement est considéré « relativement à son moteur », c’est-à-dire le premier moteur (VII et VIII)

Commentaire du livre I de la Physique

Trois catalogues des œuvres d’Aristote sont parvenus jusqu’à nous.
Diogène Laërce (doxographe grec qui a vécu probablement au 3e s ap JC) recense 146 titres. Hésichios de Milet en recense 192, dont 132 déjà cités par Diogène Laërce.
Un 3e catalogue a été transmis par des auteurs arabes du 13e s. d’après des documents remontant à Andronicos de Rhodes (1e siècle avant JC), un scholarque du Lycée qui avait édité l’œuvre d’Aristote.
De ces œuvres très peu nous sont parvenues.
Rien ne nous est parvenu de ce qu’Aristote a écrit pendant les 20 années de sa présence à l’Académie et nous ne savons donc rien des modalités de la distance prise par rapport à Platon : dans les écrits qui nous sont parvenus, les références à l’enseignement de l’Académie ne sont pas nombreuses (la plus célèbre se trouve en EN, I, 4, 1096a11).

Quatre commentaires de l’Ethique

Extrait du scolie de la proposition 49, Ethique II, ce texte est la réponse à une objection adressée à la thèse qui affirme l’identité de la volonté et de l’entendement (II, 49, corollaire). Cette thèse clôt l’argumentation par laquelle Spinoza a établi 1) qu’il n’y a pas de volonté libre, mais que l’on est toujours déterminé à vouloir par une cause qui est elle-même déterminée (prop.48) ; 2) que la volition par laquelle l’âme donne son assentiment à ce que l’entendement lui présente n’est rien d’autre que la puissance affirmative de l’idée elle-même (prop.49). Il suit de là que la volonté n’est pas une «faculté » distincte de l’entendement et que le jugement n’est pas l’acte d’une volonté libre et indépendante, ainsi que l’entend, p.ex., Descartes. L’objection recourt à un fait d’expérience : la suspension volontaire du jugement. N’est-il pas commun que nous pouvons « ne pas assentir aux choses perçues par nous » ? Si cette expérience est irrécusable, alors ne doit-on pas admettre l’existence d’une volonté distincte de l’entendement et d’une liberté capable de s’affirmer dans le refus d’adhérer aux idées que l’entendement lui propose ? Il s’agit, pour Spinoza, de répondre à cette objection.

Du flux au tourbillon. Merleau-Ponty entre Husserl et Freud

Tout philosophe, tout vrai philosophe, institue et fonde sa pensée propre dans un rapport à la tradition, fait de reprise et aussi de rejet. Merleau-Ponty ne déroge pas à cette loi, et si le rapport à ses contemporains (à Sartre notamment) consiste essentiellement en un rejet, il est beaucoup plus subtil, plus ambigu à l’égard de Husserl, dont il reprend la démarche mais pour la prolonger au point de la dépasser. Si, en tant que phénoménologue, Merleau-Ponty est husserlien il s’oppose à la dimension encore idéaliste de la pensée de Husserl et veut prolonger la phénoménologie – pour qu’elle trouve sa vérité – au-delà de Husserl. Dès lors il n’est peut- être pas exagéré de dire que toute la pensée de Merleau-Ponty est une explication avec Husserl, dans laquelle le phénoménologue affirme sa dette à l’égard de Husserl mais aussi souligne les insuffisances de ce dernier pour indiquer le point vers lequel la phénoménologie doit se diriger…

Traité de l’âme – II, 1-5 ; III, 3-4

Le Peri psychés est un texte déroutant. C’est un traité de l’âme, ce qui pour nous à l’époque des sciences cognitives a quelque chose d’exotique. Mais en outre il parle de l’âme d’un point de vue auquel la tradition de la métaphysique classique nous a déshabitués, qui, dans la tradition cartésienne a défini l’âme comme substance pensante. Or l’approche aristotélicienne est naturaliste, biologique : l’âme est principe de vie. Voilà donc un double anachronisme: traiter de l’âme en y cherchant l’explication scientifique de la vie.
Au début du XXè siècle, on a pris l’habitude de définir la philosophie d’Aristote par la doctrine “hylèmorphique”, c’est-à-dire la théorie selon laquelle l’être est constitué de deux principes complémentaires, la matière et la forme. C’est bien sur le modèle de la relation entre la forme et la matière qu’est pensée la relation de l’âme et du corps : l’âme est au corps, ce que la forme est à la matière. Cette thèse qui a pour but d’établir l’inséparabilité entre l’âme et le corps nous oblige à une sorte de « psychanalyse » du cartésianisme, c’est-à-dire en l’occurrence : 1/ penser l’âme et le corps à partir de leur unité plutôt que de leur distinction : ce qui est substance, c’est l’âme informant la matière du corps, là où Descartes envisage l’union de l’âme et du corps comme l’union (mystérieuse ?) de deux substances séparées ; 2/ ne pas identifier l’âme à la pensée ou à l’esprit (mind) en termes plus modernes.