Duns Scot. De principio individuationis, Ordinatio II d.3 p.1 q.1-7

L’Ordinatio est un commentaire des Sentences de Pierre Lombard revu par son auteur et destiné à la publication. Tel est le statut du texte de Jean Duns Scot. D’autres textes consacrés à la question de l’individuation se trouvent dans la Lectura II. d.3, les Reportata Parisiensa II d.12, et les Quaestiones in metaphysicam aristotelis VII. Si Ordinatio désigne un cours revu par son auteur, Lectura désigne un cours non revu et Reportata désigne des notes d’étudiants. Il s’agit bien en effet d’un cours portant sur les Sentences de Pierre Lombard dispensé à la faculté de théologie. Le texte portant sur l’individuation que nous examinons ici est donc un texte avant tout théologique, ce qui n’est pas le cas de celui des Quaestiones in Metaphysicam aristotelis qui appartient lui aux œuvres philosophiques de Duns Scot.

La logique de la religion dans la Phénoménologie de l’esprit

On présentera ici deux moments : d’abord on rappellera comment à Francfort la religion représente pour Hegel un domaine irréductible à la réflexion et au concept qui ne peut penser la vie infinie. C’est la dimension supralogique de la religion que Hegel souligne alors. Ensuite on montrera comment la réconciliation de la vie et du concept a lieu à Iéna, dans la Phénoménologie de l’Esprit sous la forme d’une logique dialectique de l’Esprit absolu. L’abandon du paradigme esthétique privilégiant la beauté comme unité des différences se traduit dans le développement phénoménologique par la revalorisation du christianisme non pas comme Révélation d’une transcendance irréductible mais comme religion où le concept se réalise comme concept. Hegel se déprend d’une certaine fascination pour la belle totalité grecque et la comparaison entre Athènes et Jérusalem perd de sa pertinence. S’amorce ainsi dans le texte de Hegel ce qu’on trouvera dans les Leçons sur la philosophie de la religion, la prise en compte d’un matériau abondant permettant de penser la logique du fait religieux dans son histoire.

Comment la Phénoménologie de la perception comprend-elle la question de la vérité?

Pour situer la question d’aujourd’hui, je partirai de l’héritage cartésien.
Descartes nous apprend que les objets de notre pensée relèvent d’une des trois notions primitives de l’esprit.
Les deux premières, qui distinguent l’âme et le corps, ouvrent le chemin que l’esprit doit suivre pour trouver la vérité.
La troisième, qui les réunit en un seul être, est la dimension de la vie.
La perception sensible relève de la troisième notion primitive dans la mesure où le monde qui s’ouvre à elle est celui d’une âme unie à un corps.
Quel que soit son rôle dans la vie et même dans la connaissance, la perception sensible souffre d’un préjugé fondamental consistant à attribuer sans critique aux choses ce qui en apparaît dans l’union. « La principale erreur et la plus ordinaire », dit la 3e Méditation, « consiste en ce je juge que les idées qui sont en moi sont semblables ou conformes à des choses qui sont hors de moi » (Alquié II, 334).

De la perception à l’œuvre de culture. L’itinéraire philosophique de Maurice Merleau-Ponty

La perception est pour Merleau-Ponty notre ouverture, notre initiation au monde et à l’être, elle est une lumière naturelle à laquelle le monde apparaît comme une sorte d’unité de l’être et du sens.
Cette unité de l’être et du sens est à la fois impérieuse, irrécusable, mais elle est aussi, dans le même temps, ouverte, présomptive, toujours en attente de sa confirmation : le monde, selon le mot de Malebranche, est un « ouvrage inachevé ». Et une vie humaine n’est peut-être rien d’autre que « l’acte même par lequel nous reprenons ce monde inachevé pour essayer de le totaliser et de le penser ».

La question du « corps de l’esprit » dans la philosophie de Merleau-Ponty

Les rapports du corps et de l’esprit1 se prêtent à deux lectures opposées, dualiste ou moniste. Chacune peut invoquer en sa faveur, comme Descartes le montre, une sorte d’évidence. En faveur du dualisme, on fera valoir que « les actes intellectuels n’ont aucune affinité avec les actes corporels », dans la mesure où « la pensée qui est la raison commune en laquelle ils conviennent, diffère totalement de l’extension qui est la raison commune des autres ». En faveur du monisme on alléguera l’expérience de la vie, qui témoigne du lien le plus intime entre l’intériorité subjective et l’extériorité matérielle.

La théorie aristotélicienne du temps nombre du mouvement et sa critique plotinienne

La définition du temps comme « nombre du mouvement selon l’antérieur et le postérieur » permet à Aristote de montrer que la réalité du temps dépend de la conjonction du mouvement physique et de l’acte de l’âme. En effet, selon le Stagirite, le temps est ce qui, dans le mouvement, est nombré par l’âme. Or, cette découverte explicite et consciente de la quiddité du temps, donnant lieu à sa définition, suppose, outre la perception du mouvement et celle du temps, la perception concomitante de l’acte de l’âme nombrant le mouvement. C’est qu’en effet, pour Aristote, la réalité du temps comme mouvement et comme acte de l’âme est immédiatement présente à la conscience qui perçoit le temps. L’âme qui définit le temps connaît ainsi simultanément le mouvement, sa propre place dans le mouvement qu’elle connaît et la transcendance de son acte par rapport au mouvement qu’elle nombre. Ainsi, les deux pôles de la réalité du temps aristotélicien s’impliquent d’une manière particulière dans la perception du temps puisque l’un d’eux, l’âme qui nombre, est engagé dans la réalité même du mouvement perçu. Ce qui revient à dire que, chez le Stagirite, l’ontologie du temps implique nécessairement une psychologie ou, pour l’exprimer encore autrement, que le temps, en se manifestant grâce à l’âme comme du nombrable propre au mouvement, acquiert par là même une certaine objectivité.

Dans son traité 45, De l’Éternité et du Temps, Plotin rattache lui aussi l’âme au temps, mais il fait de celui-ci la vie de l’âme, donnant ainsi une définition totalement originale du temps

Phénoménologie et Encyclopédie : une même philosophie de l’esprit ?

C’est au moment même où Hegel commence la révision de la Phénoménologie de l’Esprit en vue d’une nouvelle publication que sa mort met brutalement fin au projet, laissant ainsi imaginer à ses élèves, à ses commentateurs, enfin à la postérité, ce qu’aurait pu être l’œuvre. Ce qui va nous intéresser ici ce n’est pas ce qu’aurait pu être cette œuvre une fois corrigée en fonction des développements ultérieurs de la pensée de Hegel mais la correspondance possible entre la Phénoménologie et l’Encyclopédie sous sa version définitive. Il s’agira de montrer comment, sous une forme et une présentation diverses, Hegel met en œuvre une même philosophie de l’esprit, attestant ainsi du rapport privilégié existant entre l’œuvre de 1807 et l’œuvre de 1830. Hegel est un philosophe qui s’est toujours moqué de ceux qui voulaient fonder la philosophie au lieu de philosopher, préliminaire aussi absurde que celui qui consiste à critiquer la faculté de connaître avant et au lieu de connaître. Or une introduction à la philosophie risque toujours de rentrer dans ce cas de figure : soit elle annonce le contenu de l’œuvre sous une forme narrative ou descriptive, en tout cas de façon non systématique, soit elle fait partie de l’œuvre et dans ce cas ce n’est pas une introduction. Hegel a rencontré ce problème dans ses grandes œuvres, aussi bien dans la Phénoménologie de l’Esprit, qu’au début de la Grande Logique ou de l’Encyclopédie dans des contextes à chaque fois différents.

L’équivoque du phénomène

La phénoménologie s’est instituée comme une nouvelle attitude philosophique, ayant pour ambition la refondation de l’ensemble du savoir. Aux yeux de Husserl – et son constat demeure de nos jours tout aussi, et même plus encore, valable – la science souffre de sa spécialisation et de la dispersion des différents ordres du savoir qui s’ignorent les uns les autres. L’ambition de la phénoménologie est de refonder le savoir, d’instituer une nouvelle Théorie de la science, capable de donner les fondements par lesquels les savoirs éclatés pourront se réunifier.

Ce lieu de fondation, Husserl n’hésite pas, parfois, à convoquer à son propos les « Mères de la connaissance » goethéennes. Elles sont les dimensions originaires qui portent toute représentation humaine, qu’elle soit scientifique, commune ou triviale. Certaines expériences fondent la pensée humaine et, par là-même, sa relation au monde. La phénoménologie se donne pour tâche de les faire apparaître. Tel est le sens du mot d’ordre si souvent repris presque comme un slogan : « Aux choses mêmes » (« Zur Sache selbst »). Il ne s’agit pas de considérer les objets (Objekte) de l’expérience, ou les choses perçues (Dinge) mais les expériences de la subjectivité par lesquelles le monde se donne.

Le phénomène dans la Phénoménologie de l’esprit

Chez Kant la phénoménalité du réel est une conséquence des conditions subjectives de la connaissance humaine : depuis la Dissertation de 1770 il est acquis que la phénoménalité constitue la base de l’expérience et par là même de la connaissance objective . Dans la Phénoménologie de l’esprit la phénoménalité du réel ne découle pas de la nature de l’intuition humaine finie mais de l’expérience même de la conscience qui découvre que le sens de son expérience est autre que ce qu’elle croyait, ce qui correspond à l’émergence d’un nouveau phénomène, un nouvel objet de la conscience. A l’intérieur de l’œuvre elle-même consacrée à l’étude de l’apparaître de l’Esprit, le phénomène comme tel apparaît à l’intérieur de la section consacrée à la conscience : c’est le moment où les phénomènes de la conscience coïncident avec la conscience du phénomène en tant que tel, de la phénoménalité de l’être. L’analyse de cette séquence phénoménologique est intéressante car elle permet de voir comment Hegel thématise le phénomène avant la Doctrine de l’Essence (1812).

J.L. Austin et le langage : ce que la parole fait

Le langage semble être l’objet privilégié de la philosophie déployée par J. L. Austin. Connu pour être l’inventeur du concept de « performatif » et avoir pratiqué une « philosophie du langage ordinaire », il semble logique de voir avant tout en lui un philosophe du langage. Pourtant, l’analyse du langage n’était pas une fin en soi pour Austin : rappelons, à titre de premiers indices, qu’il occupait à l’Université d’Oxford une chaire de philosophie morale et qu’il a toujours déclaré vouloir bâtir, en analysant l’efficacité du langage, une « théorie générale de l’action ». C’est un préalable si l’on veut bien comprendre les analyses qu’il offre du langage dans son œuvre. En réalité, pour lui, comme pour nombre de ses contemporains, la philosophie du langage joue le rôle de philosophie première, en tant qu’elle permet de repérer ce que l’on peut dire à propos de ce qui est et, dès lors, de déterminer ce que l’on peut penser.