Cicéron. Qu’est-ce que la nature ? (2)
Introduction
Dans Les lois, chacun des deux premiers livres commence à la manière du Phèdre de Platon : Socrate et Phèdre étaient sortis de la ville, marchaient et devisaient dans un coin de campagne, s’asseyaient sous un platane, parlaient d’amour, des discours séducteurs. Cicéron lui aussi, à Arpinium, imagine son frère et lui-même, et leur ami Atticus, se promenant au bord de la rivière Liris et de la rivière Fibrène ; il y a un bois sacré, un chêne, une île, de l’eau très fraîche… (Les Lois, 1) Mais pourquoi ce paysage et comment est-il ressenti ? Comme un lieu, sans doute, et plus précisément comme un lieu de « mémoire ». Cicéron a fréquenté là Marius, qui a décrit ces lieux en poète : ainsi les lieux parlent de ce poète. C’est donc sous l’angle symbolique, le chêne-de-Marius étant plus durable dans la mémoire que le chêne réel, là, près du bois, que les éléments du paysage sont « lus », sous le rapport de la mémoire poétique, et non pas perçus pour eux-mêmes – « Est-ce que ce sont tes vers qui ont semé le chêne ? » – Et ils sont présentés comme lieu sacré aussi, car un temple a été érigé là.
Dans le second prologue, l’île est décrite comme un bon endroit pour venir réfléchir, lire, écrire. Atticus, là, oppose aux canaux des grandes villas les rivières qu’il voit ; et dans ce contexte, l’opposition de l’artificiel au naturel s’impose. Il poursuit :
« Si bien que, comme tout à l’heure, quand tu faisais la théorie de la loi et du droit, tu ramenais tout à la nature, ainsi, dans ces objets où nous cherchons un délassement et un agrément pour l’esprit, c’est la nature qui est reine.- Natura dominatur –» (Des Lois, DL, II, I, 2)
Ce que les canaux sont aux rivières, « lex et ius » le sont à « natura ». Cicéron a référé tout le droit à la nature : comme à un existant antérieur, dont il serait en quelque sorte une copie artificielle. Et pour nous, la surprise théorique est là : alors que le génie du poète fait germer et croître un chêne littéraire plus résistant au temps, plus parfait que le chêne réel, le droit et la loi seraient des copies de la nature, mais ne seraient-elles pas dégradées par rapport à ce qui est plus grand et plus beau qu’eux ? Mais de quelle nature parle-t-on ? Qu’est-ce que cela veut dire ? Pourquoi Cicéron, l’homme du droit et de la loi, présente-t-il ce qu’il aime et pratique comme une pâle imitation de la « nature » ?
Qu’est-ce que Cicéron entend par « natura » ? Nous savons d’expérience à quel point le mot est équivoque, en particulier selon les opposés (art ou technique, culture, convention, ville ….). Pourquoi Cicéron affirme-t-il que c’est sur la nature que repose le droit ? Est-ce au sens d’une nature interprétée comme morale, ou divine, ou comme droit naturel, pour un vivant, de persévérer dans l’existence ? C’est à cette exploration, pas à pas, de ce qu’est la nature pour Cicéron que ce travail est consacré.