Montaigne. De la liberté de conscience (Essais, II, 19)
Le chapitre sur la liberté de conscience, d’environ six pages, est court. Il est court et énigmatique en ce que, s’il développe longuement l’histoire de l’empereur Julien, il n’aborde le thème de la liberté de conscience que dans un court paragraphe final. L’histoire, l’histoire méditée, occupe une place majeure ; la réflexion théorique est repoussée à la fin, et elle est très rapide. A la rigueur, ce que fait Montaigne est essentiellement de réhabiliter Julien l’Apostat, en pays chrétien !
Montaigne part d’une réflexion sur le présent : la France est agitée de guerres civiles. Dans ce contexte, il vaudrait mieux, dit-il, « maintenir la religion et la police ancienne du pays » : autrement dit ne pas s’improviser réformateur ni de la religion, ni de la forme de gouvernement. Observons la religion, respectons les lois et les coutumes de notre pays ! Ce dont il faut se méfier, c’est d’un zèle religieux qui serait si enflammé, si passionné, que pour imposer ce qui pourrait partir d’une bonne intention, on agisse avec violence et injustice, fût-ce malgré soi. Autrement dit, même si l’on peut plaider pour la « liberté de conscience », il ne faudrait pas que cela fût suivi d’un plaidoyer pour la liberté des cultes, celle-ci est trop dangereuse. Montaigne préfère la stabilité sociale aux initiatives intempestives qui peuvent être prises au nom de la religion.
Pour faire sentir son idée, Montaigne prend l’exemple de l’empereur « Julian » – nous disons maintenant Julien – qui voulut restaurer les cultes des dieux grecs et romains, dans un empire romain qui était devenu chrétien depuis environ quatre décennies. D’abord il énonça un édit de tolérance ; dans ses actes, il ne persécuta jamais les chrétiens. Puis, en essayant de restaurer les temples et de faire revivre des cultes abandonnés, il déclencha contre lui beaucoup de haine ; et il fut tué dans la fleur de l’âge. « La passion pousse hors les bornes de la raison, et leur fait parfois <aux gens bien intentionnés> prendre des conseils injustes, violents et encore téméraires. » (Essais, II, 19)