A plusieurs siècles de distance il est frappant de voir deux penseurs, aussi éloignés soient-ils par leur formation respective et leur trajectoire philosophique, recourir au même champ sémantique pour désigner un obstacle qui obstrue le chemin de la pensée. Dans Foi et Savoir Hegel assimile l’idéalisme transcendantal à une opération qui consiste à vider de son sang la « statue » de l’objectivité de sorte qu’il ne reste plus qu’une « chose intermédiaire entre forme et matière, odieuse à regarder (…) » . Dans l’Observation préliminaire au Formalisme en Ethique Scheler affirme qu’il est urgent de dépasser le « barrage constitué par l’éthique kantienne » , de débarrasser la route philosophique de ce « colosse d’airain » que constitue l’éthique formelle kantienne. Dans un cas c’est la statue qui s’affaisse, dans l’autre c’est le colosse qui empêche de passer mais à chaque fois il y a un obstacle: les ruines d’une statue détruite ou bien la taille imposante du colosse. Si on approfondit les deux images dans un cas on a la statue de l’objectivité qui subit une hémorragie puisque tout son sang, toute son animation lui viennent de la subjectivité transcendantale – la matière est pour ainsi dire informée de l’extérieur et sans cette forme elle se pulvérise. Dans le second cas le colosse domine et écrase par sa présence monolithique, comme la loi et la norme morales qui intimident le sujet et le soumettent à leur tyrannie. On reconnaît bien ici deux façons d’exprimer une même hostilité de principe à l’égard du formalisme kantien. Le propos qui suit a pour but de montrer les raisons d’une telle hostilité d’abord chez Hegel en partant de quelques moments choisis de son œuvre, puis dans le Formalisme en éthique de Scheler. Chez Hegel la critique du formalisme se fait par une subordination de la pensée d’entendement à la raison spéculative qui fait de la négation ou de la différence un moment constitutif de l’identité abstraite, tant dans le domaine théorique que dans le domaine pratique. Dans son éthique Scheler critique le formalisme, le légalisme, le normativisme kantien menaçant de virer au pharisaïsme au nom de la phénoménologie qui dé-couvre une nouvelle dimension entre l’a priori intellectuel et l’a posteriori, « l’intuitivisme émotionnel », « l’apriorisme matérial ».
https://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/12/max-scheler-philopsis-e1608313174798.jpg290267Giassi Laurenthttps://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/02/logo_philopsis3-300x107.pngGiassi Laurent2013-03-22 16:58:552022-03-24 10:52:26La critique du formalisme kantien chez Hegel et Scheler
I/ 451c – 457c : examen de la première condition de la justice dans la cité : égalité des hommes et des femmes, intégration des femmes au corps des gardiens (première vague)
II/ 457c – 471c : examen de la seconde condition de la justice dans la cité : la communauté des femmes et des enfants ; examen des avantages de cette communauté (seconde vague).
LIVRE VI
Plan du livre
I/ 484 a – 487 a : le philosophe est le plus apte à gouverner
II/ 487b – 502c : objection d’Adimante : les philosophes paraissent inutiles au service des cités et ils ont une réputation déplorable. Réponse de Socrate
III/ 502c – fin du livre VI : l’éducation des gouvernants
LIVRE VII
I/ introduction – l’articulation des livres VI et VII : ligne divisée et allégorie de la caverne
II/ 514 a – 517 a : l’allégorie de la caverne
III/ 521c-531d : la formations « dianoétique » du philosophe gouvernant (les cinq sciences propédeutiques)
IV/ 532a-541b : le terme de l’éducation, la dialectique
L’opuscule est la transcription d’une conversation entre Leibniz et un Conseiller à la Cour de Brandebourg, de janvier 1695. Le titre indique clairement les deux objets de cette conversation. Le premier est d’établir que la prescience divine et la détermination complète du monde ne contredisent pas la liberté humaine (car cette détermination complète n’exclut pas la contingence, qui est l’assise ontologique de la liberté de l’homme). Le second est d’établir que le mal (en particulier le mal moral) ne contredit ni la toute-puissance, ni la bonté divine. Les réflexions de Leibniz relèvent donc d’une Théodicée. Il s’agit de justifier Dieu ou de rendre justice à Dieu, en établissant que le mal ne réfute ni l’existence, ni la toute-puissance, ni la bonté de Dieu.
L’interrogation sur l’origine du mal est religieuse avant d’être philosophique. Elle est la trame de tous les « drames de création » où est mis en scène l’affrontement d’un principe du bien et d’un principe du mal, elle est aussi la trame de la grande tragédie grecque et de sa théologie de l’aveuglement (le divin comme puissance de salut et de perdition).
https://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/11/Gottfried-Wilhelm-Leibniz-philopsis-e1604505131835.jpg479407Pascal Dupondhttps://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/02/logo_philopsis3-300x107.pngPascal Dupond2012-12-29 15:01:432024-08-11 16:14:06Remarques sur l’opuscule de Leibniz, « Dialogue effectif sur la liberté de l’homme et l’origine du mal » (1695)
Le livre XI est une méditation sur l’éternité, le temps et leur rapport. Comment cette méditation sur l’éternité et le temps est-elle introduite ?
1/ Avant de parler sur l’éternité, le livre XI commence par une immense prière à l’éternité ; cette prière d’ailleurs souligne d’emblée ce qu’il y a d’aporétique – et même de doublement aporétique – dans une parole adressée à Dieu (“pourquoi dès lors vous raconter tout le détail de ces faits…… ? ”) :
a) Dieu est omniscient ; il ne peut donc rien apprendre de nous ; si la parole adressée à Dieu prétend lui communiquer une information, elle est évidemment vaine ; il en résulte que la parole adressée à Dieu n’a pas pour fin de communiquer, elle n’a pas pour fin de changer Dieu ; en parlant à Dieu, nous nous changeons nous-mêmes ; c’est un acte de parole qui vaut par sa propre profération.
b) la prière s’adresse à un Dieu éternel depuis le temps ; ce qui conduit à se demander comment le temporel peut se rapporter à l’éternel. C’est tout le thème du livre XI
2/ La prière, par sa forme même, nous jette dans la dramatique du temps ; l’être qui prie se saisit comme temporel de part en part. La méditation augustinienne ne part pas d’un concept du temps, mais du temps comme dimension de l’existence, de l’expérience ; la méditation existentielle ouvre la voie à la méditation conceptuelle. Nous avons là d’ailleurs un fil conducteur du livre XI : nous sommes jetés dans le temps avant de réfléchir sur lui, nous avons avec le temps une connivence, une complicité ; nous avons toujours déjà un savoir non thématique, marginal, silencieux du temps, une pré-compréhension du temps, qui d’ailleurs se dérobe dès que nous cherchons à la fixer en un concept explicite.
3/ Le chapitre. 2 annonce le projet des trois derniers livres : “méditer sur votre Loi”, c’est-à-dire méditer sur l’Ecriture. Dans le ch 3 s’engage une méditation sur le début de la Genèse : “dans le principe, Dieu a créé le ciel et la terre” – ici Augustin se livre à une fiction où il lui serait donné de pouvoir questionner Moïse, le rédacteur inspiré de la Genèse. Mais pour savoir si Moïse dit vrai, il faudrait comparer son discours dans l’âme avec la Vérité elle-même. Si l’Ecriture est l’autorité, la mesure de la vérité de l’autorité est la Vérité intérieure. D’emblée Augustin suggère le lien entre création et parole à condition de distinguer le discours humain (ici représenté par la voix de Moïse) et le Verbe divin identique à la vérité intérieure.
https://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/11/Saint-Augustin-philopsis.jpg24231576Collectifhttps://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/02/logo_philopsis3-300x107.pngCollectif2012-10-28 11:36:202024-04-29 09:43:22L’éternité et le temps – Confessions St Augustin Livre XI
Commentaire d’un texte de Bergson, Evolution créatrice, PUF 1941, ISBN 2 13 043786 9, 8e édition, Quadrige, juin 1998, p. 9 à 11 : “ Pourtant la succession est un fait incontestable, même dans le monde matériel […] Mais le second, qui correspond à un travail intérieur de maturation ou de création, dure essentiellement, et impose son rythme au premier, qui en est inséparable ”.
Dans les pages précédant le passage de l’Evolution créatrice que nous allons lire, Bergson a souligné que le temps présente un statut fondamentalement différent dans la vie de la conscience et dans les systèmes matériels que le physicien étudie.
Dans la vie de la conscience, nous faisons l’expérience d’une durée continue où les instants ne sont pas des parties du temps mais des césures tracées sur le fil continu de la durée. Cette durée continue est à la fois une multiplicité d’interpénétration (où la variation et l’invariance sont inséparables, ce que Bergson appelle “ substantialité du changement ”) et une croissance…
https://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/03/Henri-Bergson-philopsis.jpg200200Pascal Dupondhttps://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/02/logo_philopsis3-300x107.pngPascal Dupond2012-10-28 11:28:232021-10-25 13:58:33Commentaire d’un texte de l’Evolution créatrice
Dans la Phénoménologie de la perception, Merleau-Ponty cherche à penser une articulation entre le concept de subjectivité qui se construit au fil des analyses de l’être au monde perceptif et le concept de temps qui s’est élaboré à travers Kant, Husserl et Heidegger. De cette situation résulte une tension initiale : alors que le temps a été le plus souvent compris, et en particulier chez ces trois philosophes, comme une dimension de la subjectivité ou de la vie de l’esprit, la pensée du temps, dans l’ouvrage de 1945 se porte d’emblée, comme l’exige la perception, vers l’écart et la suture du Soi et du monde, du temps naturel et du temps historique. Remontant ainsi jusqu’au cœur du débat entre le temps « cosmique » d’Aristote et le temps de l’âme de St Augustin, Merleau-Ponty cherche à comprendre pourquoi on doit dire ensemble que « le monde […] est le noyau du temps » (PP 383) et que « la subjectivité est le temps lui-même » (PP 278). Le temps n’est pas une chose, une substance fluente comme une rivière, le temps est inséparable du sujet ; et pourtant « on dit qu’il y a un temps comme il y a un jet d’eau » (PP 482) ; si cette image fait sens, si elle met bien sur la voie d’une pensée juste du temps, comme le pense Merleau-Ponty, elle souligne, en faisant du temps une forme dynamique, une poussée continue dans l’être, que le temps est le style du phénomène du monde, la forme constante de son apparaître et se tient donc à la jointure du monde et de la perception.
https://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/12/merleau_ponty-philopsis-e1608719395415.jpg374320Pascal Dupondhttps://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/02/logo_philopsis3-300x107.pngPascal Dupond2012-09-29 11:23:232021-12-13 18:25:26Note sur la question du temps chez Merleau-Ponty
Le chapitre consacré à la temporalité occupe dans la Phénoménologie de la perception une place centrale, il constitue le point où se rassemblent les descriptions de l’être-au-monde, il en délivre le sens comme il ouvre à la compréhension de l’exister et de la liberté. L’opposition de l’intellectualisme et de l’empirisme qui animait les chapitres précédents y est dépassée pour laisser place à une pensée qui se cherche, au-delà des Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps, dans les prémonitions d’une voie ontologique.
A l’autre bout de l’œuvre du philosophe, les notes de travail qui préparaient Le Visible et l’Invisible reprennent et radicalisent ces intuitions, elles esquissent ce qui aurait été l’un des axes principaux de l’ontologie de Merleau-Ponty, une méditation sur le temps comme chiasme.
De l’un à l’autre, et dans l’écart qui les sépare, quelle est l’unité de cette pensée ? Dans quelle mesure la Phénoménologie de la Perception amorce-t-elle ici, à propos du temps, un mouvement qui ne sera repris que dans la dernière œuvre ? Et, dans le chemin parcouru de l’un à l’autre, quelle place occupe cette question pour qu’ainsi le début et la fin s’y répondent ?
https://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/12/merleau_ponty-philopsis-e1608719395415.jpg374320Leconte Patrickhttps://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/02/logo_philopsis3-300x107.pngLeconte Patrick2012-09-29 11:18:192021-10-25 15:54:48Notes sur la temporalité chez Merleau-Ponty
Les conceptions relatives à l’espace et au temps exposées dans la Cri-tique de la raison pure sont le résultat d’une évolution s’échelonnant sur une vingtaine d’années. Kant a pensé qu’à la question: que sont l’espace et le temps ? – quatre réponses et quatre seulement sont possibles: ils sont soit des substances, soit des accidents, soit des relations réelles, soit des relations relevant de la constitution subjective de l’esprit. La solution de la Critique (idéalité transcendantale et réalité empirique de l’espace et du temps) est la quatrième. Kant l’a patiemment mûrie. Dans cette élaboration, une importance particulière revient à la Dissertation de 1770 . S’y affirme en effet pour la première fois en toute clarté le thème de la subjectivité de l’espace et du temps. Le titre de la thèse est: la forme et les principes du monde sensible et du monde intelligible . D’entrée de jeu, le concept de monde vient au premier plan. Kant le définit comme « un tout qui n’est plus une partie », en contre-point du simple, défini comme la partie qui n’est plus un tout. Kant précise en outre qu’il y a une double genèse possible des objets pensés sous les concepts de monde et de simple…
https://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/11/Kant_gemaelde_3-1-e1605711006426.jpg740576Pascal Dupondhttps://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/02/logo_philopsis3-300x107.pngPascal Dupond2012-09-03 23:32:162022-03-24 10:52:41Observations sur la conception kantienne du temps
Si les philosophes doivent, comme le veut Nietzsche, « devenir la mauvaise conscience de leur temps », et s’ils doivent pour cela oser mettre en examen les propositions que leur époque tient habituellement pour vraies, on peut penser qu’il nous incombe de réexaminer certaines positions kan-tiennes que Nietzsche, à l’instar de beaucoup d’autres, a plutôt admises que discutées. On peut mesurer le succès historique de Kant à ce que, en dépit des efforts des idéalistes allemands ses successeurs, les penseurs de notre époque la définissent volontiers comme « l’âge post-métaphysique ». Peut-être ne reste-t-il plus grand chose du détail de la Critique de la Raison pure dans la science et l’épistémologie contemporaines. Il est en revanche une thèse qu’elle passe pour avoir définitivement accréditée, et qui fonctionne parfois comme une condition de respectabilité intellectuelle : qu’il ne saurait y avoir de connaissance au-delà de ces disciplines que nous avons pris l’habitude d’appeler nos sciences, à l’instar de Kant lui-même, qui refusait ce titre à la métaphysique pour la raison qu’elle ne peut connaître ni comme les mathématiques, ni comme la physique expérimentale…
https://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/11/Kant_gemaelde_3-1-e1605711006426.jpg740576Nodé-Langlois Michelhttps://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/02/logo_philopsis3-300x107.pngNodé-Langlois Michel2012-09-03 23:30:332022-03-24 10:52:51Une régression ptoléméenne en philosophie ? Kant et la question du temps
La question de l’essence du temps a connu un profond remaniement avec la publication de Etre et temps, en 1927. Deux points centraux y apparaissent. L’un est l’idée que la pensée métaphysique dans son ensemble a oblitéré le temps ou du moins a omis de l’interroger sous l’angle qui est seul capable d’atteindre son essence, c’est-à-dire sous l’angle de son rapport avec l’être. Il en est ainsi parce que la pensée métaphysique, qui est, certes, depuis son origine, orientée vers l’être, s’en enquiert cependant sous un angle qui ne permet pas de développer la question de l’être (et celle également de son rapport au temps) en toute son ampleur et sa radicalité ; elle s’enquiert de l’être à partir de l’étant qu’elle trouve dans le monde, et qui est l’objet de notre préoccupation quotidienne, l’étant intra-mondain. Cet être de l’étant intra-mondain, les Grecs l’ont appelé ousia, littéralement “étantité”. Ousia est un mot qui est très proche, par le sens, du mot parousia, qui signifie présence, par opposition à apousia, qui signifie absence. Le rapprochement ousia-parousia a suggéré à Heidegger l’idée que le mot qui désigne en grec l’être de l’étant implique une référence, une référence implicite, oblitérée, méconnue, au temps ; l’étant, « métaphysiquement compris », est le présent; il est saisi quant à son être comme présence déployée ; il est compris par référence à un mode déterminé du temps: le présent ponctuel; et cette compréhension va pour ainsi dire de soi; elle est soustraite à toute interrogation explicite. On peut donc dire que le temps a dans la pensée métaphysique traditionnelle une fonction ontologique fondamentale, puisque l’être est compris dans un horizon foncièrement temporel; mais la métaphysique comme telle ne s’interroge jamais expressément sur cette fonction dévolue au temps dans la compréhension de l’être : « le temps lui-même est pris pour un étant parmi d’autres étants, et l’on tente de le saisir dans sa structure d’être à partir de l’horizon d’une compréhension de l’être orientée sur lui de façon inexprimée et naïve”. D’où l’interrogation de Heidegger : est-il possible de s’affranchir de la compréhension « métaphysique » de l’être, du temps et de leur lien – est-il possible de penser l’être indépendamment de la compréhension métaphysique (implicite) de l’être comme présence déployée ? le lien de l’être et du temps peut-il devenir vraiment, explicitement, problématique, de telle sorte que la question du « sens de l’être » soit à nouveau ouverte ? Telle est l’interrogation de Heidegger, qui lie solidairement la question de l’être et la question du temps: l’être et le temps sont si étroitement intriqués que l’un ne peut pas être compris sans l’autre.
https://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/04/aristote-philopsis.jpg230200Pascal Dupondhttps://philopsis.fr/wp-content/uploads/2020/02/logo_philopsis3-300x107.pngPascal Dupond2012-08-05 19:38:072021-10-24 09:19:31La question du temps chez Aristote
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La critique du formalisme kantien chez Hegel et Scheler
Hegel, Kant, La morale, SchelerA plusieurs siècles de distance il est frappant de voir deux penseurs, aussi éloignés soient-ils par leur formation respective et leur trajectoire philosophique, recourir au même champ sémantique pour désigner un obstacle qui obstrue le chemin de la pensée. Dans Foi et Savoir Hegel assimile l’idéalisme transcendantal à une opération qui consiste à vider de son sang la « statue » de l’objectivité de sorte qu’il ne reste plus qu’une « chose intermédiaire entre forme et matière, odieuse à regarder (…) » . Dans l’Observation préliminaire au Formalisme en Ethique Scheler affirme qu’il est urgent de dépasser le « barrage constitué par l’éthique kantienne » , de débarrasser la route philosophique de ce « colosse d’airain » que constitue l’éthique formelle kantienne. Dans un cas c’est la statue qui s’affaisse, dans l’autre c’est le colosse qui empêche de passer mais à chaque fois il y a un obstacle: les ruines d’une statue détruite ou bien la taille imposante du colosse. Si on approfondit les deux images dans un cas on a la statue de l’objectivité qui subit une hémorragie puisque tout son sang, toute son animation lui viennent de la subjectivité transcendantale – la matière est pour ainsi dire informée de l’extérieur et sans cette forme elle se pulvérise. Dans le second cas le colosse domine et écrase par sa présence monolithique, comme la loi et la norme morales qui intimident le sujet et le soumettent à leur tyrannie. On reconnaît bien ici deux façons d’exprimer une même hostilité de principe à l’égard du formalisme kantien. Le propos qui suit a pour but de montrer les raisons d’une telle hostilité d’abord chez Hegel en partant de quelques moments choisis de son œuvre, puis dans le Formalisme en éthique de Scheler. Chez Hegel la critique du formalisme se fait par une subordination de la pensée d’entendement à la raison spéculative qui fait de la négation ou de la différence un moment constitutif de l’identité abstraite, tant dans le domaine théorique que dans le domaine pratique. Dans son éthique Scheler critique le formalisme, le légalisme, le normativisme kantien menaçant de virer au pharisaïsme au nom de la phénoménologie qui dé-couvre une nouvelle dimension entre l’a priori intellectuel et l’a posteriori, « l’intuitivisme émotionnel », « l’apriorisme matérial ».
Platon, République – Livres 5, 6 et 7
Agrégation externe, Platon, Textes français ou traduits en françaisSommaire du cours
LIVRE V
Situation du livre V
I/ 451c – 457c : examen de la première condition de la justice dans la cité : égalité des hommes et des femmes, intégration des femmes au corps des gardiens (première vague)
II/ 457c – 471c : examen de la seconde condition de la justice dans la cité : la communauté des femmes et des enfants ; examen des avantages de cette communauté (seconde vague).
LIVRE VI
Plan du livre
I/ 484 a – 487 a : le philosophe est le plus apte à gouverner
II/ 487b – 502c : objection d’Adimante : les philosophes paraissent inutiles au service des cités et ils ont une réputation déplorable. Réponse de Socrate
III/ 502c – fin du livre VI : l’éducation des gouvernants
LIVRE VII
I/ introduction – l’articulation des livres VI et VII : ligne divisée et allégorie de la caverne
II/ 514 a – 517 a : l’allégorie de la caverne
III/ 521c-531d : la formations « dianoétique » du philosophe gouvernant (les cinq sciences propédeutiques)
IV/ 532a-541b : le terme de l’éducation, la dialectique
BIBLIOGRAPHIE
Remarques sur l’opuscule de Leibniz, « Dialogue effectif sur la liberté de l’homme et l’origine du mal » (1695)
Agrégation externe 2025 le hasard et la nécessité, La liberté, LeibnizL’opuscule est la transcription d’une conversation entre Leibniz et un Conseiller à la Cour de Brandebourg, de janvier 1695. Le titre indique clairement les deux objets de cette conversation. Le premier est d’établir que la prescience divine et la détermination complète du monde ne contredisent pas la liberté humaine (car cette détermination complète n’exclut pas la contingence, qui est l’assise ontologique de la liberté de l’homme). Le second est d’établir que le mal (en particulier le mal moral) ne contredit ni la toute-puissance, ni la bonté divine. Les réflexions de Leibniz relèvent donc d’une Théodicée. Il s’agit de justifier Dieu ou de rendre justice à Dieu, en établissant que le mal ne réfute ni l’existence, ni la toute-puissance, ni la bonté de Dieu.
L’interrogation sur l’origine du mal est religieuse avant d’être philosophique. Elle est la trame de tous les « drames de création » où est mis en scène l’affrontement d’un principe du bien et d’un principe du mal, elle est aussi la trame de la grande tragédie grecque et de sa théologie de l’aveuglement (le divin comme puissance de salut et de perdition).
L’éternité et le temps – Confessions St Augustin Livre XI
Agrégation externe, Agrégation externe 2025 - St Augustin, Augustin, La religion, Le tempsLe livre XI est une méditation sur l’éternité, le temps et leur rapport. Comment cette méditation sur l’éternité et le temps est-elle introduite ?
1/ Avant de parler sur l’éternité, le livre XI commence par une immense prière à l’éternité ; cette prière d’ailleurs souligne d’emblée ce qu’il y a d’aporétique – et même de doublement aporétique – dans une parole adressée à Dieu (“pourquoi dès lors vous raconter tout le détail de ces faits…… ? ”) :
a) Dieu est omniscient ; il ne peut donc rien apprendre de nous ; si la parole adressée à Dieu prétend lui communiquer une information, elle est évidemment vaine ; il en résulte que la parole adressée à Dieu n’a pas pour fin de communiquer, elle n’a pas pour fin de changer Dieu ; en parlant à Dieu, nous nous changeons nous-mêmes ; c’est un acte de parole qui vaut par sa propre profération.
b) la prière s’adresse à un Dieu éternel depuis le temps ; ce qui conduit à se demander comment le temporel peut se rapporter à l’éternel. C’est tout le thème du livre XI
2/ La prière, par sa forme même, nous jette dans la dramatique du temps ; l’être qui prie se saisit comme temporel de part en part. La méditation augustinienne ne part pas d’un concept du temps, mais du temps comme dimension de l’existence, de l’expérience ; la méditation existentielle ouvre la voie à la méditation conceptuelle. Nous avons là d’ailleurs un fil conducteur du livre XI : nous sommes jetés dans le temps avant de réfléchir sur lui, nous avons avec le temps une connivence, une complicité ; nous avons toujours déjà un savoir non thématique, marginal, silencieux du temps, une pré-compréhension du temps, qui d’ailleurs se dérobe dès que nous cherchons à la fixer en un concept explicite.
3/ Le chapitre. 2 annonce le projet des trois derniers livres : “méditer sur votre Loi”, c’est-à-dire méditer sur l’Ecriture. Dans le ch 3 s’engage une méditation sur le début de la Genèse : “dans le principe, Dieu a créé le ciel et la terre” – ici Augustin se livre à une fiction où il lui serait donné de pouvoir questionner Moïse, le rédacteur inspiré de la Genèse. Mais pour savoir si Moïse dit vrai, il faudrait comparer son discours dans l’âme avec la Vérité elle-même. Si l’Ecriture est l’autorité, la mesure de la vérité de l’autorité est la Vérité intérieure. D’emblée Augustin suggère le lien entre création et parole à condition de distinguer le discours humain (ici représenté par la voix de Moïse) et le Verbe divin identique à la vérité intérieure.
Commentaire d’un texte de l’Evolution créatrice
BergsonCommentaire d’un texte de Bergson, Evolution créatrice, PUF 1941, ISBN 2 13 043786 9, 8e édition, Quadrige, juin 1998, p. 9 à 11 : “ Pourtant la succession est un fait incontestable, même dans le monde matériel […] Mais le second, qui correspond à un travail intérieur de maturation ou de création, dure essentiellement, et impose son rythme au premier, qui en est inséparable ”.
Dans les pages précédant le passage de l’Evolution créatrice que nous allons lire, Bergson a souligné que le temps présente un statut fondamentalement différent dans la vie de la conscience et dans les systèmes matériels que le physicien étudie.
Dans la vie de la conscience, nous faisons l’expérience d’une durée continue où les instants ne sont pas des parties du temps mais des césures tracées sur le fil continu de la durée. Cette durée continue est à la fois une multiplicité d’interpénétration (où la variation et l’invariance sont inséparables, ce que Bergson appelle “ substantialité du changement ”) et une croissance…
Note sur la question du temps chez Merleau-Ponty
Le temps, Merleau-PontyDans la Phénoménologie de la perception, Merleau-Ponty cherche à penser une articulation entre le concept de subjectivité qui se construit au fil des analyses de l’être au monde perceptif et le concept de temps qui s’est élaboré à travers Kant, Husserl et Heidegger. De cette situation résulte une tension initiale : alors que le temps a été le plus souvent compris, et en particulier chez ces trois philosophes, comme une dimension de la subjectivité ou de la vie de l’esprit, la pensée du temps, dans l’ouvrage de 1945 se porte d’emblée, comme l’exige la perception, vers l’écart et la suture du Soi et du monde, du temps naturel et du temps historique. Remontant ainsi jusqu’au cœur du débat entre le temps « cosmique » d’Aristote et le temps de l’âme de St Augustin, Merleau-Ponty cherche à comprendre pourquoi on doit dire ensemble que « le monde […] est le noyau du temps » (PP 383) et que « la subjectivité est le temps lui-même » (PP 278). Le temps n’est pas une chose, une substance fluente comme une rivière, le temps est inséparable du sujet ; et pourtant « on dit qu’il y a un temps comme il y a un jet d’eau » (PP 482) ; si cette image fait sens, si elle met bien sur la voie d’une pensée juste du temps, comme le pense Merleau-Ponty, elle souligne, en faisant du temps une forme dynamique, une poussée continue dans l’être, que le temps est le style du phénomène du monde, la forme constante de son apparaître et se tient donc à la jointure du monde et de la perception.
Notes sur la temporalité chez Merleau-Ponty
Le temps, Merleau-PontyLe chapitre consacré à la temporalité occupe dans la Phénoménologie de la perception une place centrale, il constitue le point où se rassemblent les descriptions de l’être-au-monde, il en délivre le sens comme il ouvre à la compréhension de l’exister et de la liberté. L’opposition de l’intellectualisme et de l’empirisme qui animait les chapitres précédents y est dépassée pour laisser place à une pensée qui se cherche, au-delà des Leçons pour une phénoménologie de la conscience intime du temps, dans les prémonitions d’une voie ontologique.
A l’autre bout de l’œuvre du philosophe, les notes de travail qui préparaient Le Visible et l’Invisible reprennent et radicalisent ces intuitions, elles esquissent ce qui aurait été l’un des axes principaux de l’ontologie de Merleau-Ponty, une méditation sur le temps comme chiasme.
De l’un à l’autre, et dans l’écart qui les sépare, quelle est l’unité de cette pensée ? Dans quelle mesure la Phénoménologie de la Perception amorce-t-elle ici, à propos du temps, un mouvement qui ne sera repris que dans la dernière œuvre ? Et, dans le chemin parcouru de l’un à l’autre, quelle place occupe cette question pour qu’ainsi le début et la fin s’y répondent ?
Observations sur la conception kantienne du temps
Kant, Le tempsLes conceptions relatives à l’espace et au temps exposées dans la Cri-tique de la raison pure sont le résultat d’une évolution s’échelonnant sur une vingtaine d’années. Kant a pensé qu’à la question: que sont l’espace et le temps ? – quatre réponses et quatre seulement sont possibles: ils sont soit des substances, soit des accidents, soit des relations réelles, soit des relations relevant de la constitution subjective de l’esprit. La solution de la Critique (idéalité transcendantale et réalité empirique de l’espace et du temps) est la quatrième. Kant l’a patiemment mûrie. Dans cette élaboration, une importance particulière revient à la Dissertation de 1770 . S’y affirme en effet pour la première fois en toute clarté le thème de la subjectivité de l’espace et du temps.
Le titre de la thèse est: la forme et les principes du monde sensible et du monde intelligible . D’entrée de jeu, le concept de monde vient au premier plan. Kant le définit comme « un tout qui n’est plus une partie », en contre-point du simple, défini comme la partie qui n’est plus un tout. Kant précise en outre qu’il y a une double genèse possible des objets pensés sous les concepts de monde et de simple…
Une régression ptoléméenne en philosophie ? Kant et la question du temps
Kant, Le tempsSi les philosophes doivent, comme le veut Nietzsche, « devenir la mauvaise conscience de leur temps », et s’ils doivent pour cela oser mettre en examen les propositions que leur époque tient habituellement pour vraies, on peut penser qu’il nous incombe de réexaminer certaines positions kan-tiennes que Nietzsche, à l’instar de beaucoup d’autres, a plutôt admises que discutées.
On peut mesurer le succès historique de Kant à ce que, en dépit des efforts des idéalistes allemands ses successeurs, les penseurs de notre époque la définissent volontiers comme « l’âge post-métaphysique ». Peut-être ne reste-t-il plus grand chose du détail de la Critique de la Raison pure dans la science et l’épistémologie contemporaines. Il est en revanche une thèse qu’elle passe pour avoir définitivement accréditée, et qui fonctionne parfois comme une condition de respectabilité intellectuelle : qu’il ne saurait y avoir de connaissance au-delà de ces disciplines que nous avons pris l’habitude d’appeler nos sciences, à l’instar de Kant lui-même, qui refusait ce titre à la métaphysique pour la raison qu’elle ne peut connaître ni comme les mathématiques, ni comme la physique expérimentale…
La question du temps chez Aristote
AristoteLa question de l’essence du temps a connu un profond remaniement avec la publication de Etre et temps, en 1927. Deux points centraux y apparaissent.
L’un est l’idée que la pensée métaphysique dans son ensemble a oblitéré le temps ou du moins a omis de l’interroger sous l’angle qui est seul capable d’atteindre son essence, c’est-à-dire sous l’angle de son rapport avec l’être. Il en est ainsi parce que la pensée métaphysique, qui est, certes, depuis son origine, orientée vers l’être, s’en enquiert cependant sous un angle qui ne permet pas de développer la question de l’être (et celle également de son rapport au temps) en toute son ampleur et sa radicalité ; elle s’enquiert de l’être à partir de l’étant qu’elle trouve dans le monde, et qui est l’objet de notre préoccupation quotidienne, l’étant intra-mondain. Cet être de l’étant intra-mondain, les Grecs l’ont appelé ousia, littéralement “étantité”. Ousia est un mot qui est très proche, par le sens, du mot parousia, qui signifie présence, par opposition à apousia, qui signifie absence. Le rapprochement ousia-parousia a suggéré à Heidegger l’idée que le mot qui désigne en grec l’être de l’étant implique une référence, une référence implicite, oblitérée, méconnue, au temps ; l’étant, « métaphysiquement compris », est le présent; il est saisi quant à son être comme présence déployée ; il est compris par référence à un mode déterminé du temps: le présent ponctuel; et cette compréhension va pour ainsi dire de soi; elle est soustraite à toute interrogation explicite. On peut donc dire que le temps a dans la pensée métaphysique traditionnelle une fonction ontologique fondamentale, puisque l’être est compris dans un horizon foncièrement temporel; mais la métaphysique comme telle ne s’interroge jamais expressément sur cette fonction dévolue au temps dans la compréhension de l’être : « le temps lui-même est pris pour un étant parmi d’autres étants, et l’on tente de le saisir dans sa structure d’être à partir de l’horizon d’une compréhension de l’être orientée sur lui de façon inexprimée et naïve”. D’où l’interrogation de Heidegger : est-il possible de s’affranchir de la compréhension « métaphysique » de l’être, du temps et de leur lien – est-il possible de penser l’être indépendamment de la compréhension métaphysique (implicite) de l’être comme présence déployée ? le lien de l’être et du temps peut-il devenir vraiment, explicitement, problématique, de telle sorte que la question du « sens de l’être » soit à nouveau ouverte ? Telle est l’interrogation de Heidegger, qui lie solidairement la question de l’être et la question du temps: l’être et le temps sont si étroitement intriqués que l’un ne peut pas être compris sans l’autre.