La mémoire collective
« …quand nous revenons en une ville où nous avons été précédemment, ce que nous percevons nous aide à reconstituer un tableau dont bien des parties étaient oubliées. Si ce que nous voyons aujourd’hui vient prendre place dans le cadre de nos souvenirs anciens, inversement ces souvenirs s’adaptent à l’ensemble de nos perceptions actuelles. Tout se passe comme si nous confrontions plusieurs témoignages. C’est parce qu’ils s’accordent pour l’essentiel, malgré certaines divergences, que nous pouvons reconstruire un ensemble de souvenirs de façon à le reconnaître.
Certes, si notre impression peut s’appuyer, non seulement sur notre souvenir, mais aussi sur ceux des autres, notre confiance en l’exactitude de notre rappel sera plus grande, comme si une même expérience était recommencée non seulement par la même personne, mais par plusieurs. Lorsque nous rencontrons un ami dont la vie nous a séparé, nous avons quelque peine, d’abord, à reprendre contact avec lui. Mais bientôt, lorsque nous avons évoqué ensemble diverses circonstances dont chacun de nous se souvient, et qui ne sont pas les mêmes bien qu’elles se rapportent aux mêmes événements, ne parvenons-nous point à penser et à nous souvenir en commun, et les faits passés ne prennent-ils pas plus de relief, ne croyons-nous pas les revivre avec plus de force, parce que nous ne sommes plus seuls à nous les représenter, et que nous les voyons maintenant, comme nous les avons vus autrefois, quand nous les regardions, en même temps qu’avec nos yeux, avec ceux d’un autre ?