Edmond Ortigues et le tournant linguistique
Qui nous donnera une vue d’ensemble de l’œuvre d’Edmond Ortigues ou même l’esquisse d’une notice générale de ses travaux ? Pour entreprendre utilement une telle présentation, il faudrait ajouter à une connaissance directe de la philosophie contemporaine plusieurs compétences qui sont rarement réunies dans une seule personne (études bibliques, histoire des religions, linguistique, psychanalyse, etc.). Mon propos dans ce qui suit est certes beaucoup plus modeste : je ne ferai que regrouper quelques réflexions qui me sont venues tandis que je me remémorais l’histoire de mes lectures (répétées) d’un livre qui nous a fait découvrir, à moi comme à beaucoup d’autres, la pensée et la manière propre de philosopher d’Edmond Ortigues. En 1962, Le Discours et le Symbole paraissait aux éditions Aubier, dans une collection intitulée « Philosophie de l’esprit » où nous lisions également la traduction par Hyppolite de la Phénoménologie de l’esprit de Hegel. Nous lisions : ce « nous » désigne ici des étudiants qui découvraient à cette époque l’univers philosophique à travers un double écolage. D’un côté, nous suivions un enseignement à peu près exclusivement centré sur les textes classiques de la philosophie (des Grecs jusqu’à Husserl). D’un autre côté, nous prenions connaissance dans des revues ou de petits cercles intellectuels des controverses mi- savantes, mi-idéologiques qui divisaient alors le milieu philosophique français. À bien des égards, Le Discours et le Symbole a fait l’effet d’un météorite tombé d’ailleurs, ne serait-ce que par la rencontre, dans son vocabulaire, de termes alors associés à l’avant-garde théorique («signifiant», «symbolique», «structure», «loi de l’échange») et d’autres venus d’une tradition théologique ou scolastique dont nos professeurs ne nous parlaient pas, sinon parfois pour annoter les textes de Descartes ou de Spinoza.