Publications par Ducros Paul

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Le corps propre et son auto-motricité constituante dans la phénoménologie de Husserl

La phénoménologie, la science des phénomènes, est l’étude descriptive des phénomènes, c’est-à-dire des formes d’apparition des étants. Pour le phénoménologue chaque étant apparaît et l’enjeu est de décrire les formes d’apparition essentielles des étants. Ainsi la chose perçue apparaîtra selon une guise spécifique : la présence en chair et en os ; ce même objet – qu’une […]

La psychanalyse est-elle une chose du passé ?

Un sentiment particulier ne peut que s’emparer de celui qui reste attaché à une certaine tradition propre au XXe siècle. Ce sentiment porte sur le devenir d’une invention culturelle majeure : la psychanalyse. Il concerne le sort qui lui est à présent réservé. La psychanalyse n’est désormais réellement prisée que de quelques-uns, qui relèvent directement d’elle. […]

De la phénoménologie à la métaphysique. Impression originaire et flux. La relativisation du temps chez Michel Henry

Phénoménologie matérielle est un texte pivot dans l’itinéraire de pensée de Henry. Ce livre reprend l’ensemble des acquis conceptuels que ses ouvrages précédents de philosophie fondamentale avaient établis. On retrouve en effet les thèmes porteurs de la pensée henryenne : la critique de la pensée philosophique traditionnelle fondée sur le primat de l’ek-statique, la caractérisation de la vie comme auto-affection, l’identité de soi à soi dans le sentir originaire, etc.
Par ailleurs Phénoménologie matérielle prolonge l’attitude critique qui apparaissait déjà dans L’essence de la manifestation et qui a été méthodiquement adoptée dans Généalogie de la psychanalyse. Dans ce livre, Henry établit une lecture des grands jalons de la pensée moderne et contemporaine (de Descartes jusqu’à Freud) afin de montrer comment l’immanence de la vie est à la fois opérante et oubliée. La pensée pressent la pure intériorité affective et non ek-statique de la subjectivité originaire, mais l’oublie tout autant et dans le même geste car elle demeure animée par le modèle de pensée prégnant depuis les Grecs, qui met en place la primauté de l’extériorité. À l’intériorité silencieuse de l’épreuve interne de soi comme affect et qui est pourtant l’originaire, la pensée, jusqu’à nous, préfère la lumière qui donne un monde externe au regard.

« L’inconscient n’existe pas ». Michel Henry lecteur de Freud

« L’inconscient n’existe pas ». Tel est l’énoncé qui conclut le dernier chapitre de Généalogie de la psychanalyse . Avec Michel Henry, penser la psychanalyse ne peut que mener à l’affirmation de l’inexistence de l’inconscient.
Toutefois – et pour se prémunir dès le début contre tout faux sens concernant cette affirmation qui peut sembler abrupte – l’inexistence de l’inconscient n’implique pas l’inanité de la psychanalyse. La critique de Henry ne doit en rien être confondue avec celles d’Alain et de Sartre pour qui le concept d’inconscient, tel qu’il est découvert par Freud, n’a aucune portée . À leurs yeux la théorie de Freud – qu’ils prennent à la lettre – refuse un primat de la conscience et consiste bien à mettre en place une prévalence de l’inconscient psychique. C’est elle qui est insuffisante. Pour Henry, et il s’agit bien d’un paradoxe mais dont il faudra rendre raison, le fond de la pensée freudienne est l’affirmation de l’inexistence de l’inconscient. Alors que beaucoup – Freud le premier, mais aussi sa postérité et sa critique, jusque dans les formes les plus violentes de contestation – pensent que la psychanalyse est, à tort ou à raison, une pensée de l’inconscient, Henry, lui, affirme que la plus authentique découverte de Freud est que «L’inconscient n’existe pas ». Cet énoncé – qui ne peut apparaître que comme un paradoxe mais qui possède, dans le cadre de la phénoménologie matérielle, toute sa cohérence – est le résultat de l’ensemble de l’évaluation critique de la psychanalyse menée par Henry.

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Le droit de mourir et le sens de l’existence

Aux yeux de Hans Jonas, la question éthique ne peut se légitimer de la seule volonté. La volonté bonne ne peut plus être le principe de l’éthique . Si elle fut le fondement de la moralité pour la modernité, elle doit à présent être dépassée. Cette nécessité ne tient pas à une valorisation du progrès ou à l’historicisme. Si la modernité peut avoir confiance dans la volonté de l’homme, dans la possibilité pour lui d’agir rationnellement, c’est parce que, au même titre que les Anciens, elle s’inscrit dans un monde qu’elle se représente comme durablement stable . La modernité, pour moderne qu’elle soit, reste liée à un modèle ancien, à la fois religieux et philosophique, qui suppose que les conditions d’existence de l’homme demeureront les mêmes. Ayant toujours eu des configurations semblables, elles continueront de les avoir. Si le monde apparaît comme identique à lui-même dans le temps, l’homme qui y trouve sa place ne peut errer. Et s’il commet quelque faute il pourra la corriger par la seule référence à la stabilité du monde.

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Vie et mort dans la Phénoménologie

L’histoire de la phénoménologie possède – nous l’avons déjà écrit – sa logique et sa finalité : s’éloigner de Husserl . Presque tout phénoménologue part de Husserl, dont il reprend les concepts, la méthodologie descriptive, mais pour (presque) toujours rompre avec lui. La raison de cette démarcation à l’égard de son initiateur réside, pour la phénoménologie, dans un reproche radical : Husserl ne remplirait pas le programme qu’il s’était pourtant imposé. Le fondateur de la phénoménologie préconise de rompre avec les constructions métaphysiques pour saisir, dans l’immanence même de sa concrétude, l’expérience vécue la plus concrète. Il retombe cependant dans les travers de la métaphysique en instituant, à partir des Ideen I, un idéalisme transcendantal fondé sur un sujet absolu. Rien n’est plus métaphysique que le sujet. Se fonder sur lui ne peut qu’éloigner le penseur de la compréhension interne de l’expérience la plus originaire. Se fonder sur la subjectivité est une rupture avec la phénoménologie.

Le problème d’une phénoménologie asubjective

La phénoménologie possède désormais une histoire, son histoire, qui n’est peut-être pas achevée et qui obéit à sa logique interne. Celle-ci préside à son déroulement : on peut affirmer que le développement de la phénoménologie consiste en grande partie dans le retournement de la postérité husserlienne contre le virage transcendantal que Husserl a donné à la phénoménologie. Si beaucoup de philosophes sont devenus phénoménologues à la lecture des Recherches logiques, la plupart se sont détournés de l’infléchissement idéaliste institué par Husserl, probablement dès 1903 , qui apparaissait déjà en 1907 dans L’idée de la phénoménologie , et qui est explicitement posé en 1913 lors de la publication des Ideen I .
Selon un apparent paradoxe ces penseurs n’ont pourtant pas abandonné leur foi phénoménologique. Si Husserl leur paraissait insuffisant il n’en allait pas de même pour la phénoménologie. Elle restait au contraire la vraie voie philosophique mais c’était précisément Husserl qui, à leurs yeux, l’avait trahie par l’institution de l’idéalisme transcendantal.

Du flux au tourbillon. Merleau-Ponty entre Husserl et Freud

Tout philosophe, tout vrai philosophe, institue et fonde sa pensée propre dans un rapport à la tradition, fait de reprise et aussi de rejet. Merleau-Ponty ne déroge pas à cette loi, et si le rapport à ses contemporains (à Sartre notamment) consiste essentiellement en un rejet, il est beaucoup plus subtil, plus ambigu à l’égard de Husserl, dont il reprend la démarche mais pour la prolonger au point de la dépasser. Si, en tant que phénoménologue, Merleau-Ponty est husserlien il s’oppose à la dimension encore idéaliste de la pensée de Husserl et veut prolonger la phénoménologie – pour qu’elle trouve sa vérité – au-delà de Husserl. Dès lors il n’est peut- être pas exagéré de dire que toute la pensée de Merleau-Ponty est une explication avec Husserl, dans laquelle le phénoménologue affirme sa dette à l’égard de Husserl mais aussi souligne les insuffisances de ce dernier pour indiquer le point vers lequel la phénoménologie doit se diriger…

L’équivoque du phénomène

La phénoménologie s’est instituée comme une nouvelle attitude philosophique, ayant pour ambition la refondation de l’ensemble du savoir. Aux yeux de Husserl – et son constat demeure de nos jours tout aussi, et même plus encore, valable – la science souffre de sa spécialisation et de la dispersion des différents ordres du savoir qui s’ignorent les uns les autres. L’ambition de la phénoménologie est de refonder le savoir, d’instituer une nouvelle Théorie de la science, capable de donner les fondements par lesquels les savoirs éclatés pourront se réunifier.

Ce lieu de fondation, Husserl n’hésite pas, parfois, à convoquer à son propos les « Mères de la connaissance » goethéennes. Elles sont les dimensions originaires qui portent toute représentation humaine, qu’elle soit scientifique, commune ou triviale. Certaines expériences fondent la pensée humaine et, par là-même, sa relation au monde. La phénoménologie se donne pour tâche de les faire apparaître. Tel est le sens du mot d’ordre si souvent repris presque comme un slogan : « Aux choses mêmes » (« Zur Sache selbst »). Il ne s’agit pas de considérer les objets (Objekte) de l’expérience, ou les choses perçues (Dinge) mais les expériences de la subjectivité par lesquelles le monde se donne.