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Science politique et science dialectique dans le Politique de Platon

« Et qu’en est-il à son tour de notre recherche sur le politique ? Est-ce avec pour but le politique lui-même que nous nous sommes mis sur les bras cette recherche plutôt que pour devenir plus dialecticiens (dialektikôterois) sur tous les sujets ? – Ici encore, évidemment, sur tous les sujets. – Du reste, j’imagine, personne d’intelligent (noûn echôn) ne voudrait se mettre en chasse d’une définition (logos) du tissage pour le tissage lui-même ».

Cette remarque – ce n’est sûrement pas un hasard – se situe au centre du Politique. Reste à la comprendre, et la chose peut paraître mal aisée. Une telle assertion est en effet surprenante : voilà près de trente pages que Platon consacre au politique, à la recherche de sa définition, c’est-à-dire, en grec, de son logos, de l’énoncé qui correspond à son être (ousia), et tout à coup il balaie ou semble balayer d’un revers de main tout ce qui a été fait et dit, en prétendant que c’est secondaire, qu’il s’agit uniquement d’un exercice destiné à nous faire devenir plus dialecticiens. Ceci posé, il n’en poursuit pas moins la recherche jusqu’au logos final de l’Etranger à propos du politique, à quoi le jeune Socrate répond (et ce sont les dernières paroles du dialogue) : « Tu as merveilleusement achevé à son tour le portrait de l’homme royal et politique, Etranger ».

Le but de cet article est de tenter de donner sens à cette remarque, c’est-à-dire de proposer une interprétation du dialogue : ce qui est en jeu en effet n’est rien d’autre que ce par quoi doit commencer toute explication, tout commentaire d’un texte, à savoir quel est son thème ? quelle est sa thèse ? Ces deux questions ne sont pas seulement suscitées par cette assertion centrale : elles se posent aussi à la lecture de l’ensemble du dialogue, dont on a maintes fois souligné la composition compliquée, alambiquée, peu claire dans son intention d’ensemble. Les réponses que l’on tentera ici de défendre et d’étayer s’appuieront donc sur une étude de cette structure, que je présupposerai, ici comme toujours concernant Platon, savante – entendez, non pas complexe, mais voulue, intentionnelle et significative. Un second présupposé (également constant) de ma lecture est que les choses doivent être simples, et qu’une interprétation a d’autant plus de chances d’être juste, c’est-à-dire éclairante, qu’elle s’appuie sur la littéralité du texte, ne suppose pas de dispositifs complexes, s’énonce simplement, s’impose avec évidence, et se comprend de même, c’est-à-dire montre que le texte dit quelque chose de quelque chose, que l’on n’a pas affaire à des mots, mais bien à des mots qui renvoient à des choses concrètes, réelles, simples. En d’autres termes, il ne s’agit pas ici de découvrir la lune, mais seulement de lire – c’est-à-dire retrouver cette « faculté qui exigerait presque que l’on ait la nature d’une vache et non point, en tous cas, celle d’un homme moderne », c’est-à-dire « la faculté de ruminer ». Il s’agit donc de s’en tenir fermement au plancher des vaches, celui que les « philosophes » ont une fâcheuse tendance à mépriser.

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Sur quoi la politique fonde-t-elle son droit ?

Dans la mesure où ce qui est interrogé ici n’est ni une méthode, ni une
méthodologie du pouvoir politique (exécutif, législatif, judiciaire), ce n’est
pas une réflexion politique que nous nous proposons ici d’inaugurer, mais
une réflexion de philosophie politique. Or cette remarque introductive
contient plusieurs implications sur le sens du droit censé fonder la politique :

1. Une implication historique.

Si l’on considère tout d’abord la difficulté qu’il y a à considérer
l’existence d’un jusnaturalisme antique, nous pouvons souligner le
présupposé moderne du sujet. Le droit de la politique ne peut en effet
signifier l’expression d’une téléologie immanente, organique, et
inconsciente d’une nature censée se développer en cet être naturel qu’est
la communauté politique.1 Parce que la politique repose désormais sur
un droit, celle-ci épouse désormais la forme d’une extériorisation de la
rationalité d’une décision, d’une norme, ou d’une institution, dans
l’espace de la vie sociale des hommes.

2. Une implication transcendantale.

Les conditions de connaissance de ce droit échappent
nécessairement aux domaines suivants :
– Au logos de la nature, pour autant que lui fait défaut l’action
accomplie par intention consciente.
– A la rationalité juridique, qui désigne plutôt ce que le droit en
question est censé instituer ; car sinon, comme le prétendait Rousseau,
« il faudrait que les hommes fussent avant les lois ce qu’ils doivent
devenir par elles. » (Contrat Social, II, VII).
– A la rationalité morale enfin, pour autant que la morale est certes
susceptible de nous indiquer qu’il faut suivre le Bien, mais sans nous
garantir aucunement d’une position de ce Bien dans la société et dans
l’histoire.

3. Une implication épistémologique.

Ceci apparaît comme la conséquence de ce qui précède : parce
que le droit sur lequel est censé se fonder la politique n’est pas
simplement naturel, n’est pas simplement juridique, n’est pas
simplement moral, sa compréhension requiert une approche qui ne peut
relever ni de la téléologie de la nature, ni de la doctrine du droit, ni de la
doctrine de la vertu. La méthode qui s’impose ici relève de la science
philosophique du droit, susceptible d’interroger les conditions de
légitimité et de possibilité de ce que veulent les hommes pour et dans
leur société.

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La fin du politique

S’il y a une fin du politique, au sens d’une finalité, d’un but ultime qui lui confèrerait son sens, il est légitime d’envisager qu’il y en ait une fin, au sens d’une cessation définitive. Le politique, et la politique, disparaissant une fois leur mission historique accomplie, l’humanité peut passer à autre chose. Autre chose de plus intéressant que cette activité que Sartre définissait comme la lutte menée en commun par des hommes contre d’autres hommes. On peut avoir autre chose à faire, quand on est humain, que se battre contre d’autres humains, que ce combat mette aux prises des ennemis à abattre ou simplement des adversaires à défaire. Surtout quand on sait à quel point – je cite Alain – « la politique est une chose ennuyeuse, médiocre et laide ». Chose, ajoute-t-il, « dont il faut pourtant s’occuper, comme de tant d’autres choses ennuyeuses, médiocres et laides » (Dédicace à Henri Mondor).
Qu’on définisse la politique comme une lutte d’hommes contre d’autres hommes, ou simplement comme la conduite des affaires de la cité, il semble que le politique comme instance s’articule toujours à une institution : l’État, où s’accomplit la tâche de conduire les affaires publiques, et dont la conquête est l’enjeu de la lutte dont parle Sartre. Qu’il n’y ait plus d’État, et il n’y aura plus de politique. Or, la disparition de l’État est bien l’objet de deux politiques au moins : l’anarchiste et la communiste. La première visant sa suppression, la seconde travaillant, par-delà sa conquête, à son dépérissement.