L’art de parler dans le PhĂšdre de Platon
https://www.cairn.info/revue-hermes-la-revue-1995-1-page-31.htm?contenu=resume#
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Le PhilĂšbe demeure Ă bien des Ă©gards une terre semi-inconnue du continent platonicien. Ce nâest pas quâon ne puisse le situer avec un haut degrĂ© de vraisemblance dans la constitution de lâĆuvre, mais il reste quâil prĂ©sente, si l’on peut dire, des traits hybrides. Ainsi la discussion sur le plaisir semble prolonger, par-delĂ les « dialogues mĂ©taphysiques », les propos de Socrate et CalliclĂšs dans le Gorgias, et le choix de Socrate comme protagoniste aprĂšs son effacement dans le Sophiste et le Politique a paru Ă certains une sorte de rĂ©activation de la forme des dialogues de la pĂ©riode moyenne. Mais, dâun autre cĂŽtĂ©, une longue tradition de commentaire de G. Rodier Ă L. Robin et de L. Robin Ă A. DiĂšs, insiste sur le parti que tire le PhilĂšbe de la dialectique postĂ©rieure au ParmĂ©nide, dont notre dialogue prĂ©senterait lâultime raffinement.
La question gĂ©nĂ©rale du PhilĂšbe, dialogue sans doute tardif de Platon, est celle du bonheur, autrement dit, selon une assimilation que lâon retrouvera dans lâEthique Ă Nicomaque dâAristote, du souverain bien. Plus prĂ©cisĂ©ment, il sâagit de « montrer quelle capacitĂ© et disposition de lâĂąme est capable de procurer Ă tous les hommes la vie heureuse » (11d, 4-6), c’est-Ă -dire de dĂ©finir un bien qui soit Ă la fois proprement humain, par opposition a celui des bĂȘtes, et Ă la disposition de tous les membres de lâespĂšce, plutĂŽt que rĂ©servĂ© Ă une Ă©lite.
On comprend dĂšs lors que la discussion porte avant tout sur cette thĂšse que lâon peut dĂ©nommer « hĂ©doniste », puisquâelle identifie le bien au plaisir, thĂšse de PhilĂšbe, Ă©noncĂ©e dĂšs le dĂ©but du dialogue dans son opposition Ă la thĂšse « intellectualiste » de Socrate (11b). Le plaisir apparaĂźt en effet comme lâexpĂ©rience Ă la fois la plus immĂ©diate et la plus commune du bien en tant que celui-ci est par nature lâobjet dâun dĂ©sir.
Qu’est-ce que le temps ? Ă cette question, Platon rĂ©pond, en TimĂ©e, 37 d 5, que « le temps est l’image mobile de l’Ă©ternitĂ© ». Cette dĂ©finition platonicienne est commentĂ©e, comme on le sait, par Plotin en EnnĂ©ade, III, 7, 11. Son commentaire ne va cependant pas sans une modification prĂ©alable de la dĂ©finition du temps donnĂ©e par Platon. En effet, si le temps reste bien chez Plotin l’image de l’Ă©ternitĂ©, il n’en est plus l’image mobile. Ainsi enseigne-t-il que le temps est « image de l’Ă©ternitĂ© » et quâil « doit ĂȘtre Ă l’Ă©ternitĂ© comme l’univers sensible est au monde intelligible » (§ 11, 1. 46-47).
Cette « omission » eu Ă©gard Ă la lettre du texte platonicien prend toute son importance si lâon considĂšre la maniĂšre trĂšs particuliĂšre dont Plotin comprend le rĂ©cit de la genĂšse du monde dans le TimĂ©e, et notamment le problĂšme du rapport entre l’intelligible et le sensible, ou entre ce qui est de l’ordre de l’Ă©ternitĂ© idĂ©ale et ce qui rend compte de la temporalitĂ© vivante â bref, ce qu’il est convenu d’appeler la dualitĂ© du monde des IdĂ©es et du monde sensible, telle quâelle se trouve redoublĂ©e dans le TimĂ©e par la dualitĂ© du modĂšle et de son image. Pour Plotin, la mobilitĂ© est le propre de la vie. En dĂ©finissant l’Ă©ternitĂ© comme « vie de l’intelligible » et le temps comme « vie de l’Ăąme », il pose, Ă l’encontre de Platon, que l’Ă©ternitĂ© n’est pas liĂ©e au repos, ni le temps au mouvement. Ainsi s’amorce, chez lui, une comprĂ©hension ontologique du temps qui est liĂ©e Ă la nĂ©cessaire procession des hypostases, en rupture avec le temps cosmologique du TimĂ©e. C’est donc sur le statut trĂšs spĂ©cifique du temps comme « image de l’Ă©ternitĂ© » chez Platon et chez Plotin que portera notre analyse, afin de dĂ©terminer ce qu’il reste d’influence platonicienne dans la recherche plotinienne de l’origine et de la nature du temps en EnnĂ©ade III, 7, 11.
LâunitĂ© du Protagoras est constituĂ©e par la question initiale : quâenseigne un sophiste ? â et la rĂ©ponse Ă cette question : il enseigne lâexcellence . En effet, cette rĂ©ponse entraĂźne une nouvelle question : lâexcellence sâenseigne-t-elle ? Fil directeur du dialogue, cette question met en cause la lĂ©gitimitĂ© de lâactivitĂ© sophistique, puisque le sophiste prĂ©tend enseigner lâexcellence. Or de son cĂŽtĂ© Socrate, qui incarne la figure du philosophe, est celui qui exhorte et convertit Ă lâexcellence â câest-Ă -dire lâenseigne, dâune certaine façon. Lâenjeu profond du Protagoras rĂ©side donc dans lâopposition entre le philosophe et le sophiste, câest-Ă -dire entre deux maniĂšres de concevoir et lâexcellence et son enseignement…
On place traditionnellement le Protagoras parmi les dialogues socratiques, dont il a le caractĂšre aporĂ©tique. Il sâen distingue nĂ©anmoins en ce que lâaporie qui le clĂŽt se double dâune inversion apparente des positions respectives des deux interlocuteurs, Socrate soutenant dâabord que lâexcellence ne sâenseigne pas, puis affirmant finalement quâelle est un savoir, ce qui implique quâelle puisse sâenseigner â tandis que lâĂ©volution du sophiste Protagoras est inverse. Comment interprĂ©ter cette inversion ? Quel sens confĂšre-t-elle au dialogue ?
Avant-propos
LâĆuvre de Platon est composĂ©e de dialogues. Il nâest sans doute pas le crĂ©ateur du genre. Il nâest mĂȘme pas le seul Ă mettre en scĂšne Socrate. Socrate nâest dâailleurs pas le protagoniste nĂ©cessaire de la forme dialoguĂ©e : dans le Sophiste et dans le Politique, le premier rĂŽle est tenu par lâEtranger dâElĂ©e, dans le TimĂ©e par le Pythagoricien du mĂȘme nom, dans les Lois, Socrate est presque totalement absent. Pour autant, la prĂ©sence et lâabsence de Socrate ne constitue pas le critĂšre permettant de distinguer entre un Platon socratique et un Platon platonicien (voir J. Brunet et A. E. Taylor). Car il y a bien des dialogues dont la doctrine est platonicienne, et dont Socrate est le protagoniste (PhilĂšbe).
Michel Crubellier a bien voulu mettre Ă la disposition des lecteurs de Philopsis ces remarques qu’il a rĂ©digĂ©es pour son propre cours d’agrĂ©gation et que nous diffusions ci-dessous en piĂšce jointe.
Pour toute question complémentaire :
Vous pouvez contacter Michel Crubellier via le formulaire de message.
Remarques sur la traduction du Sophiste par Nestor Cordero (Paris, Garnier-Flammarion, 1993)
Je me reÌjouis qu’un texte de philosophie ancienne aussi important et aussi inteÌressant ait eÌteÌ mis au programme pour tous les candidats ; par ailleurs je sais qu’il n’y a rien de plus facile que de critiquer une traduction. Celle de Cordero n’est peut-eÌtre pas plus mauvaise que les autres traductions françaises existantes. Je ne les ai pas confronteÌes systeÌmatiquement, mais j’ai vu aussi des difficulteÌs dans DieÌs et dans Robin, et je crois que le meÌme genre de probleÌme se serait poseÌ si on avait adopteÌ l’une ou l’autre de ces traductions. Les difficulteÌs tiennent avant tout au caracteÌre treÌs minutieux des arguments du Sophiste, dont une bonne part, en outre, s’appuient preÌciseÌment sur des faits de langage
J’ai releveÌ, aÌ l’intention de mes eÌtudiants, tous les points qui me paraissaient difficiles pour une raison ou pour une autre. Ce que j’appelle ici, pour simplifier, âerreursâ, recouvre des faits heÌteÌrogeÌnes : il y a de simples coquilles (mais certaines pourraient produire des effets ravageurs, par ex. en 265c), des omissions, des choix lexicaux contestables, des erreurs sur la syntaxe.
Sommaire du cours
LIVRE V
Situation du livre V
I/ 451c – 457c : examen de la premiĂšre condition de la justice dans la citĂ© : Ă©galitĂ© des hommes et des femmes, intĂ©gration des femmes au corps des gardiens (premiĂšre vague)
II/ 457c – 471c : examen de la seconde condition de la justice dans la citĂ© : la communautĂ© des femmes et des enfants ; examen des avantages de cette communautĂ© (seconde vague).
LIVRE VI
Plan du livre
I/ 484 a – 487 a : le philosophe est le plus apte Ă gouverner
II/ 487b â 502c : objection dâAdimante : les philosophes paraissent inutiles au service des citĂ©s et ils ont une rĂ©putation dĂ©plorable. RĂ©ponse de Socrate
III/ 502c â fin du livre VI : lâĂ©ducation des gouvernants
LIVRE VII
I/ introduction – lâarticulation des livres VI et VII : ligne divisĂ©e et allĂ©gorie de la caverne
II/ 514 a â 517 a : lâallĂ©gorie de la caverne
III/ 521c-531d : la formations « dianoétique » du philosophe gouvernant (les cinq sciences propédeutiques)
IV/ 532a-541b : le terme de lâĂ©ducation, la dialectique
BIBLIOGRAPHIE
« Et quâen est-il Ă son tour de notre recherche sur le politique ? Est-ce avec pour but le politique lui-mĂȘme que nous nous sommes mis sur les bras cette recherche plutĂŽt que pour devenir plus dialecticiens (dialektikĂŽterois) sur tous les sujets ? â Ici encore, Ă©videmment, sur tous les sujets. â Du reste, jâimagine, personne dâintelligent (noĂ»n echĂŽn) ne voudrait se mettre en chasse dâune dĂ©finition (logos) du tissage pour le tissage lui-mĂȘme ».
Cette remarque â ce nâest sĂ»rement pas un hasard â se situe au centre du Politique. Reste Ă la comprendre, et la chose peut paraĂźtre mal aisĂ©e. Une telle assertion est en effet surprenante : voilĂ prĂšs de trente pages que Platon consacre au politique, Ă la recherche de sa dĂ©finition, câest-Ă -dire, en grec, de son logos, de lâĂ©noncĂ© qui correspond Ă son ĂȘtre (ousia), et tout Ă coup il balaie ou semble balayer dâun revers de main tout ce qui a Ă©tĂ© fait et dit, en prĂ©tendant que câest secondaire, quâil sâagit uniquement dâun exercice destinĂ© Ă nous faire devenir plus dialecticiens. Ceci posĂ©, il nâen poursuit pas moins la recherche jusquâau logos final de lâEtranger Ă propos du politique, Ă quoi le jeune Socrate rĂ©pond (et ce sont les derniĂšres paroles du dialogue) : « Tu as merveilleusement achevĂ© Ă son tour le portrait de lâhomme royal et politique, Etranger ».
Le but de cet article est de tenter de donner sens Ă cette remarque, câest-Ă -dire de proposer une interprĂ©tation du dialogue : ce qui est en jeu en effet nâest rien dâautre que ce par quoi doit commencer toute explication, tout commentaire dâun texte, Ă savoir quel est son thĂšme ? quelle est sa thĂšse ? Ces deux questions ne sont pas seulement suscitĂ©es par cette assertion centrale : elles se posent aussi Ă la lecture de lâensemble du dialogue, dont on a maintes fois soulignĂ© la composition compliquĂ©e, alambiquĂ©e, peu claire dans son intention dâensemble. Les rĂ©ponses que lâon tentera ici de dĂ©fendre et dâĂ©tayer sâappuieront donc sur une Ă©tude de cette structure, que je prĂ©supposerai, ici comme toujours concernant Platon, savante â entendez, non pas complexe, mais voulue, intentionnelle et significative. Un second prĂ©supposĂ© (Ă©galement constant) de ma lecture est que les choses doivent ĂȘtre simples, et quâune interprĂ©tation a dâautant plus de chances dâĂȘtre juste, câest-Ă -dire Ă©clairante, quâelle sâappuie sur la littĂ©ralitĂ© du texte, ne suppose pas de dispositifs complexes, sâĂ©nonce simplement, sâimpose avec Ă©vidence, et se comprend de mĂȘme, câest-Ă -dire montre que le texte dit quelque chose de quelque chose, que lâon nâa pas affaire Ă des mots, mais bien Ă des mots qui renvoient Ă des choses concrĂštes, rĂ©elles, simples. En dâautres termes, il ne sâagit pas ici de dĂ©couvrir la lune, mais seulement de lire â câest-Ă -dire retrouver cette « facultĂ© qui exigerait presque que lâon ait la nature dâune vache et non point, en tous cas, celle dâun homme moderne », câest-Ă -dire « la facultĂ© de ruminer ». Il sâagit donc de sâen tenir fermement au plancher des vaches, celui que les « philosophes » ont une fĂącheuse tendance Ă mĂ©priser.
La dialectique, la forme de savoir la plus haute, doit selon Platon se passer
dâimages, moyennant quoi, il la situe au sommet dâune ligne quâil trace et
sectionne ; lâimage de la Ligne est, dans la RĂ©publique, prĂ©cĂ©dĂ©e dâune analogie entre le bien et le soleil et suivie du mythe de la Caverne. Lâacharnement mis
Ă rĂ©clamer et Ă rendre raison de toutes choses nâa chez Platon dâĂ©gal que la
fréquence de son recours à des images, comparaisons, métaphores, allégories
et mythes en tous genres. DâoĂč la dĂ©cision de certains philosophes ou
historiens de la philosophie dâinfliger Ă ses textes une sorte de purification, ne
voyant lĂ que le signe dâun gĂ©nie poĂ©tique en quelque sorte supplĂ©mentaire.
Dans le cas de Nietzsche, chez qui cette sorte de gĂ©nie nâaurait vraiment pas
Ă©tĂ© suffisamment refoulĂ©e, le tri entre le bon grain et lâivraie est plus difficile
et peut mĂȘme conduire Ă faire douter de sa qualitĂ© de philosophe.
