L’art de parler dans le PhĂšdre de Platon

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L’examen du plaisir dans PhilĂšbe

Le PhilĂšbe demeure Ă  bien des Ă©gards une terre semi-inconnue du continent platonicien. Ce n’est pas qu’on ne puisse le situer avec un haut degrĂ© de vraisemblance dans la constitution de l’Ɠuvre, mais il reste qu’il prĂ©sente, si l’on peut dire, des traits hybrides. Ainsi la discussion sur le plaisir semble prolonger, par-delĂ  les « dialogues mĂ©taphysiques », les propos de Socrate et CalliclĂšs dans le Gorgias, et le choix de Socrate comme protagoniste aprĂšs son effacement dans le Sophiste et le Politique a paru Ă  certains une sorte de rĂ©activation de la forme des dialogues de la pĂ©riode moyenne. Mais, d’un autre cĂŽtĂ©, une longue tradition de commentaire de G. Rodier Ă  L. Robin et de L. Robin Ă  A. DiĂšs, insiste sur le parti que tire le PhilĂšbe de la dialectique postĂ©rieure au ParmĂ©nide, dont notre dialogue prĂ©senterait l’ultime raffinement.

PhilĂšbe – Commentaire de texte (20d-21d)

La question gĂ©nĂ©rale du PhilĂšbe, dialogue sans doute tardif de Platon, est celle du bonheur, autrement dit, selon une assimilation que l’on retrouvera dans l’Ethique Ă  Nicomaque d’Aristote, du souverain bien. Plus prĂ©cisĂ©ment, il s’agit de « montrer quelle capacitĂ© et disposition de l’ñme est capable de procurer Ă  tous les hommes la vie heureuse » (11d, 4-6), c’est-Ă -dire de dĂ©finir un bien qui soit Ă  la fois proprement humain, par opposition a celui des bĂȘtes, et Ă  la disposition de tous les membres de l’espĂšce, plutĂŽt que rĂ©servĂ© Ă  une Ă©lite.
On comprend dĂšs lors que la discussion porte avant tout sur cette thĂšse que l’on peut dĂ©nommer « hĂ©doniste », puisqu’elle identifie le bien au plaisir, thĂšse de PhilĂšbe, Ă©noncĂ©e dĂšs le dĂ©but du dialogue dans son opposition Ă  la thĂšse « intellectualiste » de Socrate (11b). Le plaisir apparaĂźt en effet comme l’expĂ©rience Ă  la fois la plus immĂ©diate et la plus commune du bien en tant que celui-ci est par nature l’objet d’un dĂ©sir.

Plotin exégÚte de Platon ? La question du temps

Qu’est-ce que le temps ? À cette question, Platon rĂ©pond, en TimĂ©e, 37 d 5, que « le temps est l’image mobile de l’Ă©ternitĂ© ». Cette dĂ©finition platonicienne est commentĂ©e, comme on le sait, par Plotin en EnnĂ©ade, III, 7, 11. Son commentaire ne va cependant pas sans une modification prĂ©alable de la dĂ©finition du temps donnĂ©e par Platon. En effet, si le temps reste bien chez Plotin l’image de l’Ă©ternitĂ©, il n’en est plus l’image mobile. Ainsi enseigne-t-il que le temps est « image de l’Ă©ternitĂ© » et qu’il « doit ĂȘtre Ă  l’Ă©ternitĂ© comme l’univers sensible est au monde intelligible » (§ 11, 1. 46-47).

Cette « omission » eu Ă©gard Ă  la lettre du texte platonicien prend toute son importance si l’on considĂšre la maniĂšre trĂšs particuliĂšre dont Plotin comprend le rĂ©cit de la genĂšse du monde dans le TimĂ©e, et notamment le problĂšme du rapport entre l’intelligible et le sensible, ou entre ce qui est de l’ordre de l’Ă©ternitĂ© idĂ©ale et ce qui rend compte de la temporalitĂ© vivante — bref, ce qu’il est convenu d’appeler la dualitĂ© du monde des IdĂ©es et du monde sensible, telle qu’elle se trouve redoublĂ©e dans le TimĂ©e par la dualitĂ© du modĂšle et de son image. Pour Plotin, la mobilitĂ© est le propre de la vie. En dĂ©finissant l’Ă©ternitĂ© comme « vie de l’intelligible » et le temps comme « vie de l’Ăąme », il pose, Ă  l’encontre de Platon, que l’Ă©ternitĂ© n’est pas liĂ©e au repos, ni le temps au mouvement. Ainsi s’amorce, chez lui, une comprĂ©hension ontologique du temps qui est liĂ©e Ă  la nĂ©cessaire procession des hypostases, en rupture avec le temps cosmologique du TimĂ©e. C’est donc sur le statut trĂšs spĂ©cifique du temps comme « image de l’Ă©ternitĂ© » chez Platon et chez Plotin que portera notre analyse, afin de dĂ©terminer ce qu’il reste d’influence platonicienne dans la recherche plotinienne de l’origine et de la nature du temps en EnnĂ©ade III, 7, 11.

La question de l’enseignement de la vertu dans le Protagoras

L’unitĂ© du Protagoras est constituĂ©e par la question initiale : qu’enseigne un sophiste ? – et la rĂ©ponse Ă  cette question : il enseigne l’excellence . En effet, cette rĂ©ponse entraĂźne une nouvelle question : l’excellence s’enseigne-t-elle ? Fil directeur du dialogue, cette question met en cause la lĂ©gitimitĂ© de l’activitĂ© sophistique, puisque le sophiste prĂ©tend enseigner l’excellence. Or de son cĂŽtĂ© Socrate, qui incarne la figure du philosophe, est celui qui exhorte et convertit Ă  l’excellence – c’est-Ă -dire l’enseigne, d’une certaine façon. L’enjeu profond du Protagoras rĂ©side donc dans l’opposition entre le philosophe et le sophiste, c’est-Ă -dire entre deux maniĂšres de concevoir et l’excellence et son enseignement…

On place traditionnellement le Protagoras parmi les dialogues socratiques, dont il a le caractĂšre aporĂ©tique. Il s’en distingue nĂ©anmoins en ce que l’aporie qui le clĂŽt se double d’une inversion apparente des positions respectives des deux interlocuteurs, Socrate soutenant d’abord que l’excellence ne s’enseigne pas, puis affirmant finalement qu’elle est un savoir, ce qui implique qu’elle puisse s’enseigner – tandis que l’évolution du sophiste Protagoras est inverse. Comment interprĂ©ter cette inversion ? Quel sens confĂšre-t-elle au dialogue ?

Lectures platoniciennes : Thèmes et dialogues

Avant-propos
L’Ɠuvre de Platon est composĂ©e de dialogues. Il n’est sans doute pas le crĂ©ateur du genre. Il n’est mĂȘme pas le seul Ă  mettre en scĂšne Socrate. Socrate n’est d’ailleurs pas le protagoniste nĂ©cessaire de la forme dialoguĂ©e : dans le Sophiste et dans le Politique, le premier rĂŽle est tenu par l’Etranger d’ElĂ©e, dans le TimĂ©e par le Pythagoricien du mĂȘme nom, dans les Lois, Socrate est presque totalement absent. Pour autant, la prĂ©sence et l’absence de Socrate ne constitue pas le critĂšre permettant de distinguer entre un Platon socratique et un Platon platonicien (voir J. Brunet et A. E. Taylor). Car il y a bien des dialogues dont la doctrine est platonicienne, et dont Socrate est le protagoniste (PhilĂšbe).

Notes sur la traduction du Sophiste

Michel Crubellier a bien voulu mettre Ă  la disposition des lecteurs de Philopsis ces remarques qu’il a rĂ©digĂ©es pour son propre cours d’agrĂ©gation et que nous diffusions ci-dessous en piĂšce jointe.

Pour toute question complémentaire :

Vous pouvez contacter Michel Crubellier via le formulaire de message.

Remarques sur la traduction du Sophiste par Nestor Cordero (Paris, Garnier-Flammarion, 1993)

Je me réjouis qu’un texte de philosophie ancienne aussi important et aussi intéressant ait été mis au programme pour tous les candidats ; par ailleurs je sais qu’il n’y a rien de plus facile que de critiquer une traduction. Celle de Cordero n’est peut-être pas plus mauvaise que les autres traductions françaises existantes. Je ne les ai pas confrontées systématiquement, mais j’ai vu aussi des difficultés dans Diès et dans Robin, et je crois que le même genre de problème se serait posé si on avait adopté l’une ou l’autre de ces traductions. Les difficultés tiennent avant tout au caractère très minutieux des arguments du Sophiste, dont une bonne part, en outre, s’appuient précisément sur des faits de langage

J’ai relevé, à l’intention de mes étudiants, tous les points qui me paraissaient difficiles pour une raison ou pour une autre. Ce que j’appelle ici, pour simplifier, ‘erreurs’, recouvre des faits hétérogènes : il y a de simples coquilles (mais certaines pourraient produire des effets ravageurs, par ex. en 265c), des omissions, des choix lexicaux contestables, des erreurs sur la syntaxe.

Platon, RĂ©publique – Livres 5, 6 et 7

Sommaire du cours

LIVRE V

Situation du livre V

I/ 451c – 457c : examen de la premiĂšre condition de la justice dans la citĂ© : Ă©galitĂ© des hommes et des femmes, intĂ©gration des femmes au corps des gardiens (premiĂšre vague)

II/ 457c – 471c : examen de la seconde condition de la justice dans la citĂ© : la communautĂ© des femmes et des enfants ; examen des avantages de cette communautĂ© (seconde vague).

LIVRE VI

Plan du livre

I/ 484 a – 487 a : le philosophe est le plus apte Ă  gouverner

II/ 487b – 502c : objection d’Adimante : les philosophes paraissent inutiles au service des citĂ©s et ils ont une rĂ©putation dĂ©plorable. RĂ©ponse de Socrate

III/ 502c – fin du livre VI : l’éducation des gouvernants

LIVRE VII

I/ introduction – l’articulation des livres VI et VII : ligne divisĂ©e et allĂ©gorie de la caverne

II/ 514 a – 517 a : l’allĂ©gorie de la caverne

III/ 521c-531d : la formations « dianoétique » du philosophe gouvernant (les cinq sciences propédeutiques)

IV/ 532a-541b : le terme de l’éducation, la dialectique

BIBLIOGRAPHIE

Science politique et science dialectique dans le Politique de Platon

« Et qu’en est-il Ă  son tour de notre recherche sur le politique ? Est-ce avec pour but le politique lui-mĂȘme que nous nous sommes mis sur les bras cette recherche plutĂŽt que pour devenir plus dialecticiens (dialektikĂŽterois) sur tous les sujets ? – Ici encore, Ă©videmment, sur tous les sujets. – Du reste, j’imagine, personne d’intelligent (noĂ»n echĂŽn) ne voudrait se mettre en chasse d’une dĂ©finition (logos) du tissage pour le tissage lui-mĂȘme ».

Cette remarque – ce n’est sĂ»rement pas un hasard – se situe au centre du Politique. Reste Ă  la comprendre, et la chose peut paraĂźtre mal aisĂ©e. Une telle assertion est en effet surprenante : voilĂ  prĂšs de trente pages que Platon consacre au politique, Ă  la recherche de sa dĂ©finition, c’est-Ă -dire, en grec, de son logos, de l’énoncĂ© qui correspond Ă  son ĂȘtre (ousia), et tout Ă  coup il balaie ou semble balayer d’un revers de main tout ce qui a Ă©tĂ© fait et dit, en prĂ©tendant que c’est secondaire, qu’il s’agit uniquement d’un exercice destinĂ© Ă  nous faire devenir plus dialecticiens. Ceci posĂ©, il n’en poursuit pas moins la recherche jusqu’au logos final de l’Etranger Ă  propos du politique, Ă  quoi le jeune Socrate rĂ©pond (et ce sont les derniĂšres paroles du dialogue) : « Tu as merveilleusement achevĂ© Ă  son tour le portrait de l’homme royal et politique, Etranger ».

Le but de cet article est de tenter de donner sens Ă  cette remarque, c’est-Ă -dire de proposer une interprĂ©tation du dialogue : ce qui est en jeu en effet n’est rien d’autre que ce par quoi doit commencer toute explication, tout commentaire d’un texte, Ă  savoir quel est son thĂšme ? quelle est sa thĂšse ? Ces deux questions ne sont pas seulement suscitĂ©es par cette assertion centrale : elles se posent aussi Ă  la lecture de l’ensemble du dialogue, dont on a maintes fois soulignĂ© la composition compliquĂ©e, alambiquĂ©e, peu claire dans son intention d’ensemble. Les rĂ©ponses que l’on tentera ici de dĂ©fendre et d’étayer s’appuieront donc sur une Ă©tude de cette structure, que je prĂ©supposerai, ici comme toujours concernant Platon, savante – entendez, non pas complexe, mais voulue, intentionnelle et significative. Un second prĂ©supposĂ© (Ă©galement constant) de ma lecture est que les choses doivent ĂȘtre simples, et qu’une interprĂ©tation a d’autant plus de chances d’ĂȘtre juste, c’est-Ă -dire Ă©clairante, qu’elle s’appuie sur la littĂ©ralitĂ© du texte, ne suppose pas de dispositifs complexes, s’énonce simplement, s’impose avec Ă©vidence, et se comprend de mĂȘme, c’est-Ă -dire montre que le texte dit quelque chose de quelque chose, que l’on n’a pas affaire Ă  des mots, mais bien Ă  des mots qui renvoient Ă  des choses concrĂštes, rĂ©elles, simples. En d’autres termes, il ne s’agit pas ici de dĂ©couvrir la lune, mais seulement de lire – c’est-Ă -dire retrouver cette « facultĂ© qui exigerait presque que l’on ait la nature d’une vache et non point, en tous cas, celle d’un homme moderne », c’est-Ă -dire « la facultĂ© de ruminer ». Il s’agit donc de s’en tenir fermement au plancher des vaches, celui que les « philosophes » ont une fĂącheuse tendance Ă  mĂ©priser.

Platon, Nietzsche et les images

La dialectique, la forme de savoir la plus haute, doit selon Platon se passer
d’images, moyennant quoi, il la situe au sommet d’une ligne qu’il trace et
sectionne ; l’image de la Ligne est, dans la RĂ©publique, prĂ©cĂ©dĂ©e d’une analogie entre le bien et le soleil et suivie du mythe de la Caverne. L’acharnement mis
Ă  rĂ©clamer et Ă  rendre raison de toutes choses n’a chez Platon d’égal que la
fréquence de son recours à des images, comparaisons, métaphores, allégories
et mythes en tous genres. D’oĂč la dĂ©cision de certains philosophes ou
historiens de la philosophie d’infliger à ses textes une sorte de purification, ne
voyant lĂ  que le signe d’un gĂ©nie poĂ©tique en quelque sorte supplĂ©mentaire.
Dans le cas de Nietzsche, chez qui cette sorte de gĂ©nie n’aurait vraiment pas
Ă©tĂ© suffisamment refoulĂ©e, le tri entre le bon grain et l’ivraie est plus difficile
et peut mĂȘme conduire Ă  faire douter de sa qualitĂ© de philosophe.