Les « fragments » de l’ancien stoïcisme: une introduction

L’école stoïcienne est l’une des écoles de philosophie de l’Antiquité qui a la plus longue histoire : fondée par Zénon de Citium à Athènes vers 300 av. J.-C., elle s’éteint après 260 de notre ère. Mais, en tant qu’école institutionnelle, à Athènes, elle a une vie plus courte, qui s’identifie à la succession de ses sept « scolarques » ou chefs d’école : Zénon de Citium (334/3-262/1), Cléanthe d’Assos (331/0-230/229), Chrysippe de Soles (280/276-208/204), Zénon de Tarse, Diogène de Séleucie (env. 230-150/140), Antipater de Tarse (env. 210-env. 129), Panétius (185/180-110/109). Après Panétius il semble que l’école ait perduré en tant que courant philosophique, mais qu’elle n’ait pas perduré en tant qu’institution, du moins à Athènes : elle a peut-être été « décentralisée » à Rhodes par Posidonius , mais de toute façon, toute trace de l’enseignement stoïcien à Athènes semble disparaître avec la conquête romaine (Athènes est prise par Sylla en 86 av. J.-C.). L’enseignement du stoïcisme va alors rapidement se répandre dans tout l’Empire romain : précepteurs, écoles, chaires publiques se multiplient dans les premiers siècles de l’Empire. Pour toutes les premières générations de stoïciens jusqu’à Posidonius, leurs écrits sont perdus. Nous n’avons conservé en tradition directe que les écrits de stoïciens plus tardifs, dont les œuvres les plus anciennes datent du Ier s. apr. J.-C., cinq auteurs en tout : Sénèque, Cornutus, Musonius Rufus, Epictète et Marc Aurèle. Pour tous les autres auteurs stoïciens, nous n’avons à notre disposition que les témoignages d’autres auteurs antiques, soit ce qu’on appelle des « doxographes » (c’est-à-dire des auteurs qui proposent des recueils d’opinions, classés par thème, et qui donnent sur chaque thème l’opinion des différentes écoles philosophiques), soit des historiens de la philosophie, comme Diogène Laërce, qui racontent la vie des principaux philosophes et résument leur doctrine en les présentant par écoles ou courants, soit d’autres philosophes ou auteurs, qui appartiendront soit eux-mêmes à l’école stoïcienne, soit à d’autres écoles philosophiques, ou seront des apologistes chrétiens. Si les deux premiers types d’auteurs peuvent faire preuve d’une certaine objectivité, les autres sont souvent polémiques et, pour les besoins de la polémique, peuvent déformer la pensée des auteurs qu’ils citent, analysent et, souvent, attaquent ou réfutent.

L’intime, l’abri du sujet

Pour interroger la notion de « l’intime », je propose trois orientations.
1. La notion de « l’intime » est une façon d’entrer dans la question du « sujet ».
Le concept de « sujet » est d’origine philosophique, mais il n’est pas étranger à la pensée psychanalytique, il lui est même absolument nécessaire.
Le travail que je vous propose sera surtout philosophique ou à l’interface de la philosophie et de la psychanalyse. Il y a eu une époque – je pense, pour donner un exemple, au début des années 60, avec le livre de Ricœur De l’interprétation et le Colloque de Bonneval sur « l’Inconscient », où la philosophie s’expliquait avec la psychanalyse autant que la psychanalyse avec la philosophie. C’est un peu dans cet esprit que je chercherai ce que la notion de l’intime peut apporter à la question du sujet.
2. L’intime ne découvre jamais mieux sa structure que dans les moments où il est menacé ou frappé d’effraction. Cette effraction – ou une de ses formes – est la honte. Je chercherai comment la honte, que je comprendrai comme rupture de réversibilité, peut nous mettre sur la voie de la constitution du sujet
3. La notion de l’intime me paraît avoir un noyau de sens disons relativement invariant. Mais cela n’exclut pas qu’il y ait des différences, selon les époques, quant à la manière dont l’intime se définit et opère dans la vie sociale comme dans la vie psychique. Qu’en est-il aujourd’hui ? Je me demande si certains aspects « panoptiques » du fonctionnement social aujourd’hui, par exemple les « réseaux sociaux » ne viennent pas brouiller les frontières qui délimitaient les domaines du public, du privé, et de l’intime. Si on l’admet, et si on admet aussi qu’il y a, sinon une isomorphie du moins une co-variance entre l’espace social et l’espace psychique, on pourrait tenter d’articuler ce brouillage des frontières dans l’espace social et l’importance prise aujourd’hui par ce que certains ont appelé la ou les pathologies des limites.

Remarques sur la cinquième des Méditations cartésiennes

Dans l’histoire critique des idées que trace la Philosophie première (p. 9-10), comme dans la Krisis, Husserl reconnaît une importance insigne à Platon et à Descartes. A Platon revient la création de l’idée de la philosophie et de sa méthode. A Descartes, «…génie originellement fondateur de toute la philosophie moderne » (K 85), revient la claire conscience que l’idée de la philosophie ne peut s’accomplir que sous la forme d’une philosophie transcendantale, impliquant une reconstruction de l’unité universelle des sciences sur un fondement absolument certain. Descartes est l’inventeur de la philosophie transcendantale, du subjectivisme transcendantal. Comme le dit Paul Ricœur, « la grandeur de Descartes, selon Husserl, est d’avoir fait le projet d’une philosophie qui soit à la fois une science et le fondement de toutes les sciences dans le système d’une science universelle ».
Les Conférences de Paris et les Méditations cartésiennes reprennent l’initiative cartésienne mais en se proposant de la rectifier dans son propre sens : Descartes a manqué le motif transcendantal qu’il avait en vue. Le doute méthodique cartésien va devenir chez Husserl une réduction ; l’évidence du cogito va devenir l’évidence apodictique de la subjectivité transcendantale. Le déplacement, considérable, peut être appréhendé de plusieurs points de vue…

Commentaire du § 20 des Méditations cartésiennes de Husserl

Le texte que nous étudions reprend le problème directeur du paragraphe, celui de l’exposition de la spécificité de « l’analyse de la conscience, entendue comme analyse intentionnelle, [qui] diffère totalement de son analyse au sens ordinaire et naturel du terme ». Il s’agit d’un problème de méthode. Le mot apparaît d’ailleurs dans le passage. Un mot qu’il faut prendre au sens étymologique de poursuite, d’ouverture d’un chemin de manière ordonnée par l’esprit, et non au sens normatif de la préconception d’un plan à suivre en vue d’une fin prédéterminée, comme le définissait Descartes dans Le Discours de la méthode.
Chez Husserl, il ne s’agit pas d’accroître des sciences existant déjà mais de développer une autre science, « la science universelle » aux fondements absolument certains. Après avoir conquis, au cours de la première et deuxième Méditation, le « domaine transcendantal » de l’ego comme le seul fondement apodictique de cette science, il s’agit maintenant de s’orienter pour mener à bien l’investigation de ce domaine. Ce souci, Husserl l’exprime en réfléchissant sur la spécificité phénoménologique de l’analyse de la conscience.

Présentation générale des quatre premières Méditations cartésiennes de Edmund Husserl

Prononcées a Paris dans les murs de la Sorbonne en février 1929, les dites «Conférences parisiennes» forment la matrice initiale de ce qui s’appellera plus tard les Méditations cartésiennes. Or ce texte, remanié à plusieurs reprises entre 1929 et 1932, acquiert un volume que Husserl était loin d’anticiper au départ. Si l’on compare en effet, dans l’édition originale, les Pariser Vorträge qui précèdent les Cartesianische Meditationen et la version allemande des « Méditations » dont nous disposons dans cette même édition, on s’aperçoit que la cellule germinale est constituée de 40 pages, tandis que le texte définitif ne comprend pas moins de 146 pages.

Ecouter Augustin

La parole est sans conteste le point le plus fondamental dans l’œuvre d’Augustin, que ce soit dans sa dimension rhétorique, spécialité dont il possédait une maîtrise accomplie et reconnue de tous, ou en sa dimension philosophique qu’il convient de bien interpréter. Elle recouvre volontiers la multiplicité des sens que peut recevoir le terme grec logos. Elle est un avertissement extérieur rendant attentif à une signification qu’éclaire la lumière de la vérité, elle est aussi la raison qui donne une densité particulière à cette signification saisie intérieurement, elle est en outre la réalité transcendante à laquelle renvoie cette raison, permettant la constitution de la sagesse comme science des choses divines et humaines. Enfin elle est le lieu même de l’unité de ces réalités transcendantes, la source de toute connaissance et de toute intellection, l’origine de tout être : le Verbe qui était au commencement. La richesse du sens de la Parole pour Augustin nécessite donc qu’elle soit écoutée selon les divers sens que ce vocable recèle. D’une part comme réception d’un signe audible auquel il faut prêter une attention réelle et d’autre part – ainsi que l’on sait s’écouter entre amis, comme accueil de la signification qu’il porte, ce qui demande un goût minimal pour la vérité et le désir de n’être étranger à aucun élément constitutif de l’humain. Ensuite comme saisie de cette signification même, comme compréhension – prise en soi-même – de ce qu’elle porte et de sa capacité de transformation. Enfin l’accomplissement de cette parole, dans l’évidence de la vérité qu’elle porte, permet une connaissance de soi qui n’est possible que par une connaissance de Dieu qui en est la condition.

Quelques remarques à propos de l’Enquête sur l’entendement humain

Le titre de la première section n’annonce pas une spécification de la philosophie selon ses différentes branches ou ses différents objets (physique, logique, éthique), ni non plus selon ses fins : divertissements (salons), instruction (école), réforme (politique) mais selon les différentes manières de pratiquer la philosophie : philosophie facile versus philosophie abstruse, entre lesquelles Hume fait passer la voie empiriste qu’il préconise.

Variations sur l’existence

Le mot et le concept d’existence sont apparus dans la langue et la conscience philosophiques pour exprimer le sens verbal du mot être, pour réactiver la différence entre le sens verbal et le sens nominal du mot être . Au sens verbal, être = einai = esse, le fait même qu’une chose soit. Au sens nominal, être = un être, un étant, on, ens, l’une quelconque des choses sont on dit qu’elles sont.

Le monde dans la pensée de Schopenhauer

Dans cet article on se propose de montrer comment s’effectue la réintroduction du concept de monde dans la philosophie classique allemande après la critique kantienne qui normalement aurait dû rendre son utilisation impossible. La Critique de la raison pure avait en effet réglé le sort de la question du monde en en faisant une Idée régulatrice de la raison, ce qui supposait l’abandon de tout espoir de connaître le monde comme totalité. Schopenhauer de façon provocatrice en fait le titre même de son opus magnum, die Welt als Wille und Vorstellung. Le concept de Welt chez Schopenhauer ne renvoie pas à la thèse kantienne et n’est pas non plus un retour à la cosmologie de la métaphysique classique : l’idéalisme transcendantal non-kantien de Schopenhauer s’oppose à la pensée de la transcendance divine qui forme l’arrière-plan de toute cosmologie. Le titre choisi par Schopenhauer est explicite : Schopenhauer pense le monde à partir de Vorstellung, plus précisément le principe de raison suffisante – et à partir de Wille, la volonté séparée de la raison.

Y a-t-il à se demander pourquoi il y a quelque chose plutôt que rien?

Quelle est « la première question qu’on a le droit de faire » ? Ou plutôt, quelle est la première question qu’on a le droit de faire à partir du moment où l’on a posé « le grand principe, peu employé communément, qui porte que rien ne se fait sans raison suffisante» ? Si l’on en croit l’auteur que nous venons de citer, c’est-à-dire Leibniz, cette question est la suivante : « Pourquoi il y a plutôt quelque chose que rien ? » Notre auteur qualifie cette question de « métaphysique » pour désigner le fait qu’elle consiste à «s’élever » au-dessus de la physique : la soif d’explication qui anime la recherche des physiciens débouche sur une question à laquelle la physique est par définition incapable de répondre. Leibniz parle ici de « droit » de poser cette question, et non de devoir ; il ne présente explicitement la question que comme légitime, non comme obligatoire. Cependant, ce qui la rend légitime à ses yeux est qu’elle découle logiquement du «principe » selon lequel « rien ne se fait sans raison suffisante ». Or, face à un principe digne de ce nom, la raison n’a pas d’autre attitude légitime que de s’y soumettre : ne pas reconnaître une loi de la raison serait se renier. C’est donc parce que la question est logiquement obligatoire qu’elle est légitime.