L’interrogation métaphysique dans l’oeuvre de Kant

Il ne peut être question de présenter en quelques lignes « la métaphysique de Kant » à supposer d’ailleurs (ce dont je doute) qu’elle ait jamais été produite par lui comme un système et encore moins comme un « système de la métaphysique ». Y a t il seulement un « système de Kant » ? De cela on peut aussi douter, si par système on entend le développement uni-total dans l’élément du concept de l’effectivité de l’être, dont pour nous l’Encyclopédie des sciences philosophiques de Hegel est la dernière manifestation et dont l’Ethique de Spinoza était pour l’époque, et Kant en particulier, le modèle ou le repoussoir . Mais on notera dès à présent que ni l’Ethique ni l’Encyclopédie ne se réclament de la métaphysique. Le mot est porteur d’une signification qui renvoie au transcendant et ce système uni-total de la pensée de l’être que produisent tant l’Ethique que l’Encyclopédie exclut en fait le concept même d’un « méta-physique ».

La promesse, la mémoire, l’oubli et le temps : Réflexions sur un passage remarquable de la Généalogie de la morale.

Le texte de Nietzsche qui inaugure la deuxième Dissertation de la Généalogie de la morale élabore à nouveaux frais la compréhension de l’oubli et de la mémoire. Il rattache ses deux facultés à des fonctions psychiques complexes dont le statut général et commun est d’être des modalités de la volonté. Le concept de celle-ci est modifié de même que la compréhension de la conscience et de l’être que nous sommes nous-mêmes. L’articulation générale de ces concepts est orientée sur la socialisation de l’homme, de telle sorte que ce texte porte en amont sur le devenir culturel de l’homme compris d’abord comme être naturel et en aval sur le sens social de toutes les possibilités qui dépendent de la promesse, l’engagement de soi dans un contrat quelconque d’ordre moral ou politique, la responsabilité. Aussi l’analyse de l’oubli et de la mémoire est sous-tendue non seulement par une compréhension déterminée de la vie psychique mais aussi par une compréhension déterminée de l’origine sociale des structures de cette vie psychique.

Continuité et discontinuité dans la critique nietzschéenne de la métaphysique: Réflexions sur « les contempteurs du corps » dans Ainsi parlait Zarathoustra

Dans bien des textes, Nietzsche donne son interprétation des théories philosophiques antiques et classiques de l’essence de l’homme. Cette interprétation se développe selon deux directions, l’une théorique, l’autre historique. Celle-là concerne le fondement théorique ou même métaphysique de l’essence de l’homme. Celle-ci, à partir d’une nouvelle détermination de l’essence de l’homme, donne une interprétation historique du destin de celui-ci. La critique radicale opérée dans cette perspective conduit à considérer l’homme comme l’effet d’un concept métaphysique, comme un être dont l’essence est déterminée par un concept métaphysique de telle sorte que l’être lui-même est modifié par ce concept, par cette façon de se comprendre soi-même. L’originalité de cette pensée consiste dans l’idée que la compréhension de soi, les concepts par lesquels l’homme se comprend lui-même, modifie cet être lui-même . Tout se passe comme si l’essence de l’être que nous appelons homme consistait à modifier cette essence ; et pourtant Nietzsche affirme que cet être a une essence propre, méconnue voire mortifiée par les théories spiritualistes. Il nous appartiendra d’examiner cette difficulté ; il conviendra de savoir en particulier si elle tient à une incohérence de la pensée nietzschéenne ou bien si elle tient à toute entreprise métaphysique, qu’elle soit classique ou qu’elle subvertisse la métaphysique classique. Peut-être l’inversion de la métaphysique classique reste déterminée dans le mode de pensée par cette métaphysique même. Le présent travail a pour objet de vérifier cette hypothèse peu originale sur un texte très précis et au long d’une analyse aussi pointue que possible : il s’agit du texte intitulé Des contempteurs du corps dans le poème philosophique Ainsi parlait Zarathoustra.

Spinoza et le problème de la métaphysique

Il semble qu’il y ait chez Spinoza une assimilation de la métaphysique à la théologie et à la religion, voire à la superstition. C’est ainsi que sont mis le plus souvent dans le même camp les philosophes, les théologiens et le vulgaire. La critique de la métaphysique et de la théologie c’est alors tout aussi bien la critique de la superstition. Par ailleurs, métaphysique et théologie sont également des entreprises de légitimation d’un pouvoir despotique qui tend pour se maintenir à alimenter la superstition. Donc non seulement les doctes et le vulgaire disent la même chose, mais les premiers se servent de ces préjugés pour légitimer un pouvoir despotique et assurer du même coup leur propre position de domination. Cela permet de situer la métaphysique dans une logique spécifique de domination et de concevoir du même coup la philosophie comme un travail de libération à la fois éthique et politique…

Aristote : la science non démonstrative

La théorie aristotélicienne de la démonstration, exposée dans les Seconds Analytiques, peut être considérée comme une explicitation complète de la définition platonicienne de la science. La démonstration (apodeïxis) est un cas particulier du syllogisme, dont la théorie est exposée dans les Premiers Analytiques. Celle-ci montre à quelles conditions formelles une conclusion s’ensuit nécessairement de certaines prémisses : elle enseigne donc les règles qu’il faut respecter chaque fois que l’on veut rendre raison de la vérité d’une proposition quelconque, qui autrement serait l’objet d’une simple opinion. Mais ce qui spécifie la démonstration dans le genre syllogisme, c’est qu’elle doit permettre d’établir le caractère nécessairement vrai d’une conclusion, et non pas seulement sa dépendance nécessaire par rapport à des prémisses. Or, comme Platon l’avait fortement souligné, des prémisses simplement hypothétiques, c’est-à-dire, en grec, présupposées, ne peuvent engendrer qu’une conclusion tout aussi hypothétique qu’elles : il y avait donc pour lui une escroquerie intellectuelle à parer du nom de science ce qui ne serait, comme on dit aujourd’hui, qu’une démarche hypothético-déductive…

Collaborer avec le destin : un abandon de toute volonté ?

Prétendre retrouver dans la philosophie antique ce qui constitue notre notion moderne de volonté serait sans doute a priori peu convaincant, et, dans le stoïcisme en particulier, où tout événement résulte du destin, un tel projet semble irrémédiablement voué à l’échec. Il n’empêche : dire que les Stoïciens n’avaient pas la même conception de la volonté que nous ne signifie pas qu’ils n’en avaient pas du tout. Or, en règle générale, nous ne savons pas très bien nous-mêmes ce que nous entendons par volonté, et il peut être tout à fait intéressant de s’interroger sur ce que nous comprenons communément lorsque nous disons « je veux ». C’est tout l’objet de la présente enquête d’analyser une réaction classique de doute voire de rejet, presque instinctifs, à la lecture de certains passages des écrits des Stoïciens, et en répondant aux interrogations que cette réaction soulève, de critiquer notre notion de volonté, et de comprendre ce que les Stoïciens veulent dire lorsqu’ils assurent que seul le sage fait ce qu’il veut, tout en ajoutant qu’il ne veut que ce que veut dieu pour lui…

Reprendre aujourd’hui les voies du travail engagé par Aristote dans la Métaphysique ?

Martin Heidegger est loin d’être le seul en ce siècle à avoir tenu un discours, et cela en vue de la «dépasser», sur la métaphysique. Ainsi, par exemple, Rudolf Carnap écrivant en 1932, dans une perspective assurément différente de celle de «l’histoire de l’être», un article intitulé «Le dépassement de la métaphysique dans l’analyse logique du langage». Et c’est déjà sur la métaphysique que s’exprimait l’auteur des Prolégomènes à toute métaphysique future qui se présentera comme science. Ceux-là mêmes toutefois qui nous invitent à entreprendre à leur suite de rejeter ou «dépasser» la métaphysique n’en viendraient-ils pas à induire en nous le souhait de d’abord tenter d’y entrer ?

La logique ou l’art de penser

Explication du texte d’Arnauld et Niclole, Quatrième partie, Ch. I « L’utlité que l’on peut tirer des ces spéculations…. fin. »

« Texte traversé par un certain nombre de paradoxes : d’abord la démonstration y est considérée comme ce qui atteste de la faiblesse de la raison, là où habituellement on en fait une preuve de sa puissance. Elle renvoie l’homme à ses limites quand elle sert au contraire, chez Descartes par exemple, à lui ouvrir un champ illimité du savoir. Elle ruine ses prétentions à une connaissance absolue en toute chose alors qu’elle fournit des raisons d’être certain ».

Deux études sur Frege : entre mathématiques et linguistique

L’œuvre de Frege est très brève, incisive, quasi minérale en sa sobriété, comme une sorte d’aérolithe d’abord méconnu puis admiré, enfin commenté minutieusement et religieusement dans la deuxième moitié du XXe siècle. Pour lui faire droit, en manifester la force, l’originalité et la fécondité aux yeux de philosophes moins rompus aux exercices de la philosophie analytique, il paraît utile de retracer les liens étroits qui l’unissent aux mathématiques de son temps d’une part, et à la réflexion traditionnelle sur les langues d’autre part, entre mathématiques et linguistique. Les contours de la logique, ce territoire bien difficile à dessiner, en ressortiront peut-être plus nets.
Dans le vaste mouvement qui à la fin du XIXe siècle ébranle les bases mêmes des sciences mathématiques et oblige les penseurs à chercher un sol stable par delà les traditionnelles assurances de la géométrie euclidienne et de l’échafaudage des nombres, Frege occupe une place à part, très novateur et très archaïque à la fois. Attaché aux certitudes de l’intuition géométrique – pas question d’admettre une géométrie non-euclidienne à titre provisoire ou hypothétique, car « nul ne peut servir deux maîtres » -, soucieux inlassablement de garantir une référence à toutes les expressions – pas question de jouer en irresponsable avec des écritures, comme une monnaie sans étalon or -, il creuse patiemment pour atteindre le sol logique, ce qu’il pense être le roc : les lois de la pensée pure, sur lesquelles pourraient se bâtir une part des constructions mathématiques.

Russell, Critique de Kant

Tout en reconnaissant l’importance historique de Kant présenté à plusieurs reprises comme le fondateur de l’épistémologie moderne, Russell n’a cessé d’émettre tout au long de sa carrière philosophique, des jugements très sévères sur l’auteur de la Critique de la Raison pure. Ces jugements peuvent paraître excessifs, hâtifs, à l’emporte pièce (« Kant fut une pure calamité », « Kant me rend malade ») mais rien ne serait plus erroné que d’y voir l’expression d’une méconnaissance, voire le fruit d’une lecture hâtive de l’oeuvre kantienne. Le jeune Russell, comme en témoigne l’Essai sur les Fondements de la Géométrie de 1897, avait étudié avec grand soin la philosophie critique, s’était efforcé de l’ « évaluer » à l’aune de ce qui constituait à l’époque la « modernité », à savoir la « métagéométrie » et la logique néo-hégélienne de Bradley et de Bosanquet. Le trait remarquable c’est que le jugement porté sur Kant par Russell demeurera à peu près le même dans ses grandes lignes lors même que Russell aura abandonné l’ »idéalisme » de sa jeunesse, aura profondément modifié ses conceptions philosophiques et aura trouvé de nouvelles raisons de s’opposer à la philosophie kantienne.