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La notion d’interprétation à l’épreuve de la pratique instrumentale

Rares sont les notions aussi protéiformes ou équivoques que celle d’interprétation. Cette notion concerne aussi bien les fausses sciences (astrologie, divination, numérologie, etc.) que les savoirs relevant de ce que Carlo Ginzburg appelle le « paradigme indiciaire » (psychanalyse, enquêtes policières, authentifications en matière d’œuvres d’art, etc.). Elle concerne les sciences philologiques, juridiques, historiques ou sociales, l’exégèse religieuse, et, bien sûr, le vaste champ, lui-même très diversifié et même conflictuel, de l’herméneutique. Elle est centrale pour l’ensemble des arts de performance (le théâtre, la rhétorique entendue comme l’art des discours proférés en public, la danse, la musique, le mime, les arts de jonglerie, etc.). Elle est enfin, elle est d’abord, une catégorie de la théorisation spontanée de l’expérience quotidienne : on interprète une mimique, un silence, une attitude, une phrase, et on interprète l’interprétation que l’autre fait (ou que l’on suppose que l’autre fait) de nos propres mimiques, silences, attitudes et phrases. Cette interprétation spontanée et sauvage précède toute interprétation réfléchie et savante, et plus encore toute théorie de l’interprétation. L’homme est un animal qui interprète, qui ne peut pas s’empêcher d’interpréter, comme Nietzsche l’a bien vu.

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Le paradigme de l’interprétation chez Schleiermacher et Dilthey

Par commodité et souvent par hésitation face au massif touffu de certains textes de Dilthey on réduit souvent la contribution épistémologique de ce dernier à deux acquis, bien fragiles d’ailleurs. Le premier aurait été l’invention malheureuse du terme « Geisteswissenschaft » pour définir un domaine du savoir distinct de la métaphysique et des sciences de la nature, les futures sciences humaines et sociales. Le second aurait été, du point de vue gnoséologique, la distinction tranchée entre comprendre (Verstehen) et expliquer (Erklären) : on expliquerait des phénomènes en découvrant leurs déterminations causales ou en les subsumant sous des lois. Si la physique est la langue des sciences de la nature, la psychologie serait celle des sciences morales ou sciences de l’esprit. On comprendrait l’homme qui est avant tout sujet conscient de soi et qui agit de façon sensée, à partir des fins, des valeurs que l’analyse peut reconstituer. Dans un cas l’objet est étranger au sujet, dans le second cas le sujet étudie un autre sujet et ses œuvres. La tentative de fonder les sciences de l’esprit sur la psychologie aurait abouti au psychologisme, qui, avec l’empirisme, est chargé de tous les péchés face au rationalisme dans l’épistémologie moderne. Et c’est ainsi que Dilthey se survit dans la mémoire philosophique collective : la dualité explication/compréhension, le reproche de psychologisme résument sa contribution.

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Trois questions sur l’interprétation

A propos de l’interprétation, trois questions seront successivement examinées :
1- Pourquoi l’interprétation s’impose-t-elle ?
2- Comment s’effectue-t-elle ?
3- Existe-t-il des critères de vérité qui lui soient spécifiques?
La première question cherchera à déterminer ce qui, dans la réalité ou dans son expérience, nous contraint ou nous condamne à en passer par l’interprétation. La détermination de l’origine de cette nécessité supposée oblige à nous interroger sur les limites du concept et de l’activité d’interprétation. Qui interprète et pourquoi ? Suffit-il qu’il y ait signe (c’est-à-dire renvoi par une chose ou par la trace d’une chose à une autre chose absente) pour qu’il y ait aussi, et du même coup, interprétation ? Si oui, elle n’est pas une activité exclusivement humaine car certains animaux peuvent, par exemple, induire d’une odeur, d’un bruit, d’une trace, l’existence non immédiatement perceptible d’une proie ou d’un prédateur. Est-ce un abus de langage d’affirmer qu’ils interprètent des signes ? Et si l’on admet que le simple renvoi par une entité, quelle qu’elle soit, à une autre entité absente, pourvu que ce renvoi fournisse une information non actuellement existante, suffit à constituer l’interprétation, alors le concept et l’activité tendent à se diluer par une extension au moins corrélative au vivant. Dans les processus épigénétiques, est-il abusif d’affirmer que les gènes interprètent les changements de l’environnement ? Où passe la frontière entre la supposée simple transmission d’informations (sans activité du récepteur, sans déperdition durant le transport, sans danger d’erreur de réaction etc.) et l’interprétation « en bonne et due forme » ou, du moins, repérable en tant qu’activité spécifique ? La définition passerait alors par le tracé de limites et de frontières dont il faudrait, alors, légitimer l’autorité.

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Les limites de l’interprétation

Le rapport de signification, semble-t-il, procède du partage de l’être en choses et signes ou, selon le vocabulaire de la Logique de Port Royal, en « idées des choses » et « idées des signes » (ch. IV). Pourtant la diversité des signes – du symptôme au signe arbitraire, en passant par le symbole – vient confondre la distinction de l’être représenté (chose) et de l’être représentant (signe). Il y a des cas où une chose devient signe, successivement figurante et figurée, cachant comme « chose ce qu’elle découvre comme signe » (p. 81). Le savoir humaniste, notamment dans sa forme alchimique, avait admis une analogie universelle des êtres, tour à tour choses ou signes, signifiés et signifiants, signes d’autres signes. La nature y était conçue comme un livre où tout se tient par le jeu des signes. Les choses s’entre-signifient, par ressemblance et sympathie généralisées. Mais loin de fixer la connaissance, cette « doctrine des signatures » succombe au « démon de la sémiosis hermétique » (U. Eco, Les limites de l’interprétation, p. 86) et condamne le langage et le savoir à l’incertitude. Aucune ressemblance n’est fixée puisque la justification de la moindre analogie exigerait de parcourir le monde entier (cf. M. Foucault, Les mots et les choses, p. 45). Plus radicalement, si tout est signe, si l’idée de signe est co-extensive à l’idée d’être, si donc la signification précède et déborde la vérité, alors il faut reconnaître dans l’interprétation un phénomène absolument premier et universel, potentiellement sans limites. L’interprétation dans son illimitation ne fait que traduire l’ouverture symbolique de l’être sur l’être. Mais la signification implique-t-elle l’interprétation et l’interprétation l’illimitation ? Limiter l’interprétation est-ce supprimer l’équivocité foncière du langage en soumettant la richesse du sens à la logique de la vérité, ou bien, assurer la compréhension en déterminant la signification, là où les signes sont animés d’une « structure intentionnelle de second degré » (Ricœur, De l’interprétation, p. 22) ? Comment donc interpréter l’idée de limites de l’interprétation ?

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Qu’est-ce que l’interprétation?

On aimerait commencer par dire de l’interprétation ce qu’Aristote a si souvent affirmé de l’être dans ses écrits de métaphysique : pollachôs legetai, elle se prend en plusieurs acceptions. Même si une analyse philosophique ne remplit sa tâche que si elle cherche à cerner un foyer unitaire de signification, elle ne peut y parvenir, comme le démontre encore une fois l’exemple d’Aristote, qu’en faisant d’abord ressortir l’ampleur de ses manifestations possibles. Dans quels contextes et de quelle manière parle-t-on d’interprétation ?