Sur quoi la politique fonde-t-elle son droit ?

Dans la mesure où ce qui est interrogé ici n’est ni une méthode, ni une
méthodologie du pouvoir politique (exécutif, législatif, judiciaire), ce n’est
pas une réflexion politique que nous nous proposons ici d’inaugurer, mais
une réflexion de philosophie politique. Or cette remarque introductive
contient plusieurs implications sur le sens du droit censé fonder la politique :

1. Une implication historique.

Si l’on considère tout d’abord la difficulté qu’il y a à considérer
l’existence d’un jusnaturalisme antique, nous pouvons souligner le
présupposé moderne du sujet. Le droit de la politique ne peut en effet
signifier l’expression d’une téléologie immanente, organique, et
inconsciente d’une nature censée se développer en cet être naturel qu’est
la communauté politique.1 Parce que la politique repose désormais sur
un droit, celle-ci épouse désormais la forme d’une extériorisation de la
rationalité d’une décision, d’une norme, ou d’une institution, dans
l’espace de la vie sociale des hommes.

2. Une implication transcendantale.

Les conditions de connaissance de ce droit échappent
nécessairement aux domaines suivants :
– Au logos de la nature, pour autant que lui fait défaut l’action
accomplie par intention consciente.
– A la rationalité juridique, qui désigne plutôt ce que le droit en
question est censé instituer ; car sinon, comme le prétendait Rousseau,
« il faudrait que les hommes fussent avant les lois ce qu’ils doivent
devenir par elles. » (Contrat Social, II, VII).
– A la rationalité morale enfin, pour autant que la morale est certes
susceptible de nous indiquer qu’il faut suivre le Bien, mais sans nous
garantir aucunement d’une position de ce Bien dans la société et dans
l’histoire.

3. Une implication épistémologique.

Ceci apparaît comme la conséquence de ce qui précède : parce
que le droit sur lequel est censé se fonder la politique n’est pas
simplement naturel, n’est pas simplement juridique, n’est pas
simplement moral, sa compréhension requiert une approche qui ne peut
relever ni de la téléologie de la nature, ni de la doctrine du droit, ni de la
doctrine de la vertu. La méthode qui s’impose ici relève de la science
philosophique du droit, susceptible d’interroger les conditions de
légitimité et de possibilité de ce que veulent les hommes pour et dans
leur société.

Parcours bibliographique autour de la notion d’individu

Le parcours bibliographique qui suit n’a pas été conçu comme une bibliographie complète, et qui viserait l’exhaustivité, ni même comme une bibliographie réduite qui resterait représentative des aspects essentiels et des travaux significatifs qui concernent la notion d’individu. Il privilégie plutôt certains « angles d’attaque », par exemple la notion d’individuation, la différence entre individu et personne, la question de la représentation. Mais il ne donne ainsi qu’une vision partielle de la notion, d’autant que l’absence remarquable de certaines références, quand elle ne tient pas à ce choix, doit être comprise comme la manifestation regrettable des lacunes de son rédacteur.

Résurrection ; identité ; survie

Parmi les fresques de la Chapelle Sixtine peintes par Michel-Ange, l’ensemble intitulé Le jugement dernier offre toutes les variations possibles dans la description des corps ressuscités, de ceux qu’on tire de terre, qui ressemblent encore à des cadavres, jusqu’au corps puissant et lumineux du Christ. Le paradoxe tient à ce que la résurrection semble supposer une survie, par delà la mort, afin que soit manifeste l’identité du ressuscité. De la même façon, on constate que certaines approches philosophiques, que nous convoquerons, associent, dans des variations remarquables, les notions de résurrection, d’identité et de survie. Mais comment fixer la limite au-delà de laquelle ces variations tomberaient dans la confusion ? Cette question est-elle même pertinente, et doit-on supposer qu’une notion philosophique possède un sens qui limite l’innovation théorique ?

Le but de cet article est de construire un « appareillage conceptuel » dans lequel ces trois notions seront juxtaposées et comparées. Il s’agira, ensuite, de vérifier que cet appareillage peut constituer un outil efficace pour repérer les enjeux philosophiques des variations que subissent ces trois notions.

Individu et sujet dans la Logique de hegel

Quand on cherche à penser l’individu, on peut être tenté de suivre deux voies qui ne se recoupent pas forcément : la subsomption de l’individu sous la catégorie du singulier ou bien sous la catégorie de sujet, au sens moderne du cogito ou du Ich denke. La première subsomption ouvre la voie à des recherches spécifiques portant sur le statut noétique, logique, épistémologique du singulier : qu’est-ce que le singulier ? Comment le définir ? etc. La seconde subsomption nous renvoie à une diversité d’approches, qu’il s’agisse d’une analyse socio-historique qui s’interroge sur la naissance de l’individualisme, de la formation historique des différents modes de subjectivation, ou encore de la formation de l’identité subjective comme identité narrative. Si on tient compte du fait historique selon lequel la question de l’individu a été avant tout une question portant sur l’individuation, on peut se demander si on n’a pas là un moyen de trouver un lien entre l’individu, le singulier et le sujet – sans s’en tenir à l’habituelle association d’idées qui nous fait tenir ces termes pour équivalents.

Les questions morales de l’Essai sur l’entendement humain : éthique rationaliste ou morale prudentielle ?

Les lecteurs de Locke ainsi que de nombreux commentateurs ont longtemps eu tendance à séparer et à traiter à part deux orientations de sa pensée et de sa recherche : d’une part ses préoccupations concernant les principes, l’origine et la valeur des connaissances humaines et d’autre part, les préoccupations morales et politiques ; l’Essai sur l’entendement humain traiterait principalement des premiers problèmes et les Deux traités du gouvernement des questions politiques ; et il manquerait un traité portant exclusivement sur les questions de morale. Une lecture plus attentive permet de découvrir que la démarche poursuivie dans l’Essai ne sépare jamais radicalement les deux séries de problèmes . Dans son “ Épître au lecteur ” qui introduit l’Essai, Locke indique comment lui est venue l’idée de son entreprise : une discussion difficile entre amis “ sur un point fort différent de celui que je traite dans cet ouvrage… ” le convainc “ qu’avant de nous engager dans ces sortes de recherches, il était nécessaire d’examiner notre propre capacité et de voir quels objets sont à notre portée ou au dessus de notre compréhension ”. Nous ne disposons d’aucune certitude concernant le contenu de la discussion ; mais il est probable qu’il s’agissait de la connaissance de la loi naturelle, question vers laquelle Locke s’était orienté à partir des problèmes politiques dont il traite dans des ouvrages écrits dans les années 1660 – une dizaine d’années avant le début de la conception de l’Essai. En effet, du livre I au livre IV, Locke aborde des questions épistémologiques : critique de l’innéisme des idées et des principes, origine des idées, critique du langage, problèmes de la valeur et des limites de nos connaissances, mais il a soin tout au long de son ouvrage, de tirer les conséquences de ses analyse et de ses investigation aussi bien dans le domaine strict de la connaissance scientifique que dans celui de l’action pratique et de la morale….

La différence éthique dans la pensée de Spinoza

Dans les Recherches sur la liberté humaine Schelling montre que la question du mal est, par excellence, l’aporie de tous les systèmes philosophiques, la question où apparaît le plus nettement l’insuffisance de leurs concepts fondamentaux. Et il souligne que c’est dans le panthéisme, régi par le concept de l’immanence, que l’aporie devient la plus rude. Elle consiste dans l’alternative suivante : ou bien le concept d’un mal effectivement réel est admis, mais l’immanence exige alors de le poser dans la substance infinie ou la volonté originaire, qui ne correspondent plus, dès lors, à l’idée d’un « être le plus parfait de tous ». C’est la destruction de l’idée de Dieu. Ou bien la réalité du mal est refusée, mais avec elle s’évanouit le concept réel de la liberté.

Spinoza, pense Schelling, a nié la réalité du mal. Cette lecture n’est pas sans fondement et peut être illustrée par la lettre XIX de Spinoza à Blyenbergh . Le correspondant de Spinoza formule l’aporie classique : ou bien le mal et le péché n’existent pas, Dieu par qui tout existe ne pouvant en être l’auteur ; ou bien le mal et le péché existent, et Dieu en est l’auteur. Il est nécessaire que l’une de ces deux propositions soit vraie, et pourtant elles sont également impossibles, l’une abolissant toute différence éthique, l’autre rendant Dieu responsable du mal. Spinoza, lui, écarte l’aporie, en montrant qu’elle est née d’une compréhension erronée du mal, celle qui consiste à considérer le mal comme quelque chose de positif.

Pour Spinoza, le mal n’existe pas en qualité de « quelque chose » ; il existe seulement comme privation. Ainsi le mal qui est dans la volonté d’Adam « n’est pas autre chose que la privation d’un état qu’à cause d’elle Adam a dû perdre ». Et cette privation n’appartient pas, en tant que prédicat négatif, à la teneur réelle de l’être auquel nous l’attribuons, ne relève pas de sa constitution intrinsèque ; elle lui est attribuée par un entendement humain qui substitue à la plénitude de la réalité ce que Bergson appellera le vide de son attente ou de son insatisfaction, un entendement qui connaît de l’étant, non ce qu’il est, mais ce qu’il était et n’est plus ou pourrait être. L’imputation d’une privation est donc le résultat d’une comparaison plus ou moins arbitraire d’un étant singulier avec la fiction de ce qu’il serait, s’il était resté identique à lui-même, ou bien s’il possédait toute la perfection du genre dont il relève. Dieu ne forme aucune fiction ; donc Dieu ne peut avoir l’idée d’une privation et du mal. En Dieu ou selon la vérité, le mal n’est rien.

Et cependant, là est le paradoxe de cette lettre XIX, la négation de la réalité du mal n’entraîne nullement l’extinction de toute différence éthique. Une pensée de la différence éthique est impliquée dans le passage de la servitude à la liberté. Le projet de cette étude est d’examiner cette situation, en soulignant trois points :

1/ Le mal, chez Spinoza, n’a de racine ni dans l’essence ni dans l’existence du mode fini ; il a lieu à la jointure de l’essence et de l’existence ; il est un certain mode d’articulation de l’essence et de l’existence : l’oubli de l’intériorité de l’essence dans l’extériorité de l’existence.

2/ Cet oubli, qui est l’existence malheureuse, la servitude, et son contraire, le salut, la liberté ont pour condition commune le double lien, l’identité et la différence de l’âme et du corps.

3/ Le seuil du salut est la compréhension de l’essence de l’être comme puissance d’agir.

La philosophie pratique de Kant

Le cours de François-Xavier Chenet sur la philosophie pratique de Kant est téléchargeable en bas de cette page.

Il comprend une première partie sur la Métaphysique des moeurs et une seconde partie sur la Critique de la raison pratique. S’ajoutent à ce commentaire, des prolongements en Appendices : critiques intrinsèques et extrinsèques de la morale kantienne, mise au point sur le bonheur, difficultés relatives à la doctrine du souverain bien.

Le cours comprend en outre un développement d’une petite centaine de pages sur les critiques de la morale kantienne – reprise de l’appendice I – dans lequel François-Xavier Chenet cite et commente de nombreux textes de Bergson, Schopenhauer, Scheler et bien d’autres.

Ces annexes ne sont pas publiables dans l’immédiat. Nous devons préalablement en vérifier la conformité au droit d’auteur. Nous tenterons de mettre en ligne ultérieurement une version de ce document et invitons les collègues à nous signaler explicitement leur souhait de recevoir ce texte complémentaire.

Les personnes impliquées dans Philopsis travaillant bénévolement sur ce projet en marge de leurs activités professionnelles, nous ne sommes pas en mesure de préciser le délai nécessaire à l’établissement de ce second volet du cours.

Nous publions ci-dessous la précieuse bibliographie de François-Xavier Chenet figurant également à la fin du document pdf.

Descartes Correspondance avec Elisabeth – Commentaire

Dans la correspondance entre Descartes et Élisabeth, les principes de la philosophie cartésienne rencontrent les interrogations et les objections d’une lectrice décidée à « lire – vivre où mènent les mots », animée par une confiance sans faille envers la fécondité pour l’existence de la pensée cartésienne, mais résolue à l’exigence cartésienne de parvenir à l’évidence, avant de donner son acquiescement. Nous assistons ainsi à une sorte de mise à l’épreuve des principes cartésiens, de leur cohérence intrinsèque et de leur pouvoir de fonder des règles pour la vie. La philosophie cartésienne est appréhendée dans sa dimension pratique, et reliée à la grande tradition de la sagesse grecque, pour laquelle l’enjeu de la philosophie est la qualité du vivre.

La matière et l’esprit

Le terme d’esprit désigne habituellement les phénomènes qualifiés de « mentaux » tels que perceptions, sentiments, émotions, volitions, conceptions, jugements. Ces phénomènes ont pour propriété, d’après la façon dont ils se présentent, d’être intentionnels et conscients.
La notion de matière présente de multiples significations. Pour donner une idée de cette multiplicité, il suffit d’observer que cette notion n’a pas exactement le même emploi ni le même sens quand elle est « liée » (quelle que soit la modalité de cette liaison) à la notion de forme ou bien, comme dans le titre de nos réflexions, à la notion d’ « esprit »…

Le cours est téléchargeable à la suite de la bibliographie

La matière

Qu’est-ce que la matière ? C’est l’ensemble de la réalité accessible à
l’expérience ordinaire et scientifique. Ou plutôt la matière c’est le monde ou
ce dont il est fait. Cette différence n’est pas mince : le matérialisme consiste
précisément à soutenir la première thèse en l’identifiant à la seconde. La
matière y joue en effet le double rôle d’objet à expliquer – et il n’y en a pas
d’autre : c’est le réel, sans arrière-monde – et de principe d’explication.
D’où l’heureuse définition qu’Engels donnait du matérialisme :
« l’explication du monde par lui-même (Erklärung der Welt durch sich
selbst) ».

Mais avant d’être chose ou principe de toutes choses, la matière est un
mot et c’est du mot et de son usage qu’il faut partir. La polysémie du mot
« matière » contient sinon tous les problèmes philosophiques de sa notion,
du moins les principaux, en évitant d’en faire immédiatement une question
spécifiquement philosophique ou scientifique. Ou encore le premier
problème philosophique de la « matière » c’est le fait de sa polysémie.

Par matière on veut dire :
– au sens technique, commun entre la philosophie et les sciences, « la
substance qui constitue les corps », la substance corporelle.
– au sens large, le mot « matière » peut désigner n’importe quoi. Tout
objet d’une activité humaine (en matière de …). Il y a autant de matières
que de disciplines ou d’activités auxquelles peut s’appliquer le génie
humain. La matière est ici sans aucune détermination mais en reçoit de
l’activité qui la constitue. On dira qu’une matière se définit comme le
corrélat d’une activité qui la détermine en l’informant. La matière est l’objet
qui correspond à toute espèce d’activité humaine qui joue à son égard une
fonction de transformation ou d’information.
– dans un sens aussi courant et lui-même multiple, on parle de la
matière comme de ce sur quoi se constitue la pensée ou l’action. La pensée
comme l’action prend appui sur quelque chose qui lui sert de base. On parle
ainsi de la matière d’un raisonnement, du contenu matériel de la proposition
en opposition à sa simple forme. On distingue entre la vérité matérielle et la
validité formelle.

La question est alors de savoir comment la « matière » peut signifier à
la fois la substance corporelle (la matière sensible) et le corrélat de l’activité
ou de la forme de la pensée. Cette polysémie est-elle fortuite ou réglée à
partir d’une essence de la matière qu’il s’agirait de dégager ?