Aequalia esse peccata et recte facta. Les paradoxes des stoïciens, Paradoxes, III, §§ 24-26 (leçon 6)

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[24] « Il n’y a donc pas de différence (car on me fera cette objection) entre tuer son père et tuer son esclave ? » Si l’on posait cette question toute nue, on ne pourrait pas facilement juger quelle est sa nature. Si priver son père de la vie est en soi un crime, les Sagontins furent des parricides, eux qui ont préféré voir les auteurs de leurs jours mourir libres plutôt que de vivre esclaves. On peut donc ôter quelquefois la vie à son père, et souvent on ne peut pas l’ôter à son esclave sans injustice. C’est donc le mobile de l’acte, non sa nature, qui établit la distinction. Et puisque celui-ci, s’ajoutant dans une action, la rend prépondérante, s’il s’ajoute dans les deux, elles deviennent nécessairement égales. [25] Il y a cependant cette différence qu’en tuant un esclave, si on le fait injustement, on ne commet qu’une seule faute ; en portant atteinte à la vie de son père, on en commet de nombreuses. On attente contre celui qui nous a engendré, contre celui qui nous a nourri, contre celui qui nous a éduqué, contre celui qui nous a placé dans un domicile et une famille, dans un Etat. Le parricide l’emporte par le plus grand nombre de fautes, aussi mérite-t-il un plus grand châtiment. Mais nous, dans la vie, ce n’est pas la peine infligée à chaque faute, mais les limites de ce qui est permis à chacun, que nous devons regarder. Tout ce que la loi défend, nous devons le tenir pour crime ; tout ce que les dieux ne permettent pas, pour sacrilège. – Même dans les petites choses ? – Oui !, puisque nous ne pouvons pas imposer une mesure aux choses, nous pouvons garder une mesure dans notre volonté. [26] Un comédien fait-il un léger mouvement hors cadence, ou prononce-t-il un vers avec une syllabe de moins ou de plus, on le siffle, on le hue ! Mais toi, dans la vie qui doit être plus mesurée que tout geste, plus harmonieuse que tout vers, tu prétendras que tu n’as commis qu’une faute …de syllabe ? Je n’écoute pas un poète, dans une œuvre frivole, et, dans le commerce de la vie, j’écouterais un citoyen qui mesure ses fautes avec les doigts ? « Si elles lui semblaient plus petites, lui paraîtraient-elles plus légères ? » Comment le pourraient-elles, puisque toute faute commise trouble la raison et l’ordre, et que, la raison et l’ordre troublés une seule fois, on ne peut rien ajouter pour qu’une faute plus grande semble pouvoir être commise ? » (Cicéron, Les paradoxes des stoïciens, ou PS, III )

Introduction

Il y a paradoxe, car l’opinion commune, mais aussi les autorités dans la cité ou la république ne manquent jamais de considérer qu’il y a une échelle de gravité dans les fautes, à quoi répond une gradation dans la rigueur dans les punitions. Si les stoïciens soutiennent l’égalité des fautes, soutiennent-ils aussi une peine unique pour toutes ? Pour tous, par exemple, l’amende ? Ou pour tous, la mort ?

Cicéron apprécie-t-il ou non ce paradoxe des stoïciens, qui, comme tel, va contre ses convictions et sa pratique ?

Les stoïciens ont-ils raison ?

Pour en parler, relisons ce que rapporte Diogène Laerce : Sont égales les fautes et les bonnes actions. Autrement dit : les fautes sont égales entre elles ; les bonnes actions sont égales entre elles. Il y a, dans l’exposé de Diogène Laërce, une liste de paradoxes des stoïciens, où figure celui qui occupe ici Cicéron.

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