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Par commodité et souvent par hésitation face au massif touffu de certains textes de Dilthey on réduit souvent la contribution épistémologique de ce dernier à deux acquis, bien fragiles d’ailleurs. Le premier aurait été l’invention malheureuse du terme « Geisteswissenschaft » pour définir un domaine du savoir distinct de la métaphysique et des sciences de la nature, les futures sciences humaines et sociales. Le second aurait été, du point de vue gnoséologique, la distinction tranchée entre comprendre (Verstehen) et expliquer (Erklären) : on expliquerait des phénomènes en découvrant leurs déterminations causales ou en les subsumant sous des lois. Si la physique est la langue des sciences de la nature, la psychologie serait celle des sciences morales ou sciences de l’esprit. On comprendrait l’homme qui est avant tout sujet conscient de soi et qui agit de façon sensée, à partir des fins, des valeurs que l’analyse peut reconstituer. Dans un cas l’objet est étranger au sujet, dans le second cas le sujet étudie un autre sujet et ses œuvres. La tentative de fonder les sciences de l’esprit sur la psychologie aurait abouti au psychologisme, qui, avec l’empirisme, est chargé de tous les péchés face au rationalisme dans l’épistémologie moderne. Et c’est ainsi que Dilthey se survit dans la mémoire philosophique collective : la dualité explication/compréhension, le reproche de psychologisme résument sa contribution.

Le cas de Sénèque est sans doute unique dans l’histoire de la philosophie. A vrai dire, c’est peut-être déjà le stoïcisme lui-même qui est original, qui aura pu être indifféremment la philosophie d’un esclave affranchi (Epictète, qui n’est pas un nom propre mais qui signifie « homme acheté, serviteur, esclave »), d’un empereur (Marc-Aurèle) ou du conseiller richissime (Sénèque précisément) d’un autre empereur (Néron) dont la cruauté est restée légendaire (assassinats familiaux, incendie de Rome, persécution des chrétiens). La doctrine morale passe pour sévère et, de fait, cette sagesse qui hérite de la pensée grecque le problème du bonheur et l’idéal du sage, se propose comme une morale de l’ascétisme, un enseignement de la tension de l’âme, contre l’épicurisme qui engage surtout à se libérer des faux besoins et des craintes illusoires. Or Sénèque est un homme de la cour des Césars, précepteur de Néron, dont la réussite sociale et la richesse sont sans égal. C’est un des quatre ou cinq provinciaux (il est né à Cordoue vers l’an 1) à parvenir au Sénat et même au titre de consul, honneur suprême généralement réservé aux Italiens. Formé à la rhétorique mais très tôt attiré par la philosophie, il s’initie au stoïcisme et fait finalement profession de philosophie stoïcienne. Mais la philosophie ne lui suffit pas et il entreprend, tardivement, une carrière politique qui le conduit, après avoir été écarté par Claude et condamné à un exil forcé en Corse, à Rome où son ascension est irrésistible. Il devient le citoyen le plus célèbre de son temps, le plus grand prosateur vivant (il écrit en latin) et, tout en se faisant l’apôtre de la philosophie et du stoïcisme, il accroît son énorme fortune.

Une interprétation traditionnelle, contestée par Michel Foucault, voit dans le stoïcisme impérial une transition, avant que la sagesse chrétienne ne prenne le relais de la sagesse païenne. La position de Foucault est sans doute très marquée par son rapport peut-être névrotique à ce qu’il pense être la conception chrétienne de la sexualité, d’où sa volonté d’opposer radicalement les deux sagesses en voyant dans la seconde essentiellement une hantise de la chair, une diabolisation du plaisir, ce qui est un contresens répandu mais étonnant de la part d’un savant.
La sagesse chrétienne n’est pas avant tout une diabolisation de la chair, mais une éthique de la responsabilité personnelle, dominée par la notion de liberté qui est inhérente à l’idée fondamentale de création.
Si les deux sagesses s’opposent, c’est d’abord en ce que la sagesse païenne a d’abord été dominée, elle, par l’idée de destin et de nécessité, ainsi qu’en témoignent les tragédies grecques et certains mythes platoniciens. L’école stoïcienne a fait dès ses débuts de l’affirmation du destin l’un de ses dogmes fondamentaux.
La contestation de cette idée avait cependant été un aspect majeur de la philosophie naissante, chez Platon et plus encore chez Aristote, qui a donné la première théorie philosophique de la notion de responsabilité personnelle, en faisant de l’homme, de par sa conscience rationnelle, le « principe » de ses actes. Il restera quelque chose de cette affirmation dans les notions stoïciennes d’hégémonikon (principe directeur), et d’authexousion (pouvoir sur soi).

L’école stoïcienne est l’une des écoles de philosophie de l’Antiquité qui a la plus longue histoire : fondée par Zénon de Citium à Athènes vers 300 av. J.-C., elle s’éteint après 260 de notre ère. Mais, en tant qu’école institutionnelle, à Athènes, elle a une vie plus courte, qui s’identifie à la succession de ses sept « scolarques » ou chefs d’école : Zénon de Citium (334/3-262/1), Cléanthe d’Assos (331/0-230/229), Chrysippe de Soles (280/276-208/204), Zénon de Tarse, Diogène de Séleucie (env. 230-150/140), Antipater de Tarse (env. 210-env. 129), Panétius (185/180-110/109). Après Panétius il semble que l’école ait perduré en tant que courant philosophique, mais qu’elle n’ait pas perduré en tant qu’institution, du moins à Athènes : elle a peut-être été « décentralisée » à Rhodes par Posidonius , mais de toute façon, toute trace de l’enseignement stoïcien à Athènes semble disparaître avec la conquête romaine (Athènes est prise par Sylla en 86 av. J.-C.). L’enseignement du stoïcisme va alors rapidement se répandre dans tout l’Empire romain : précepteurs, écoles, chaires publiques se multiplient dans les premiers siècles de l’Empire. Pour toutes les premières générations de stoïciens jusqu’à Posidonius, leurs écrits sont perdus. Nous n’avons conservé en tradition directe que les écrits de stoïciens plus tardifs, dont les œuvres les plus anciennes datent du Ier s. apr. J.-C., cinq auteurs en tout : Sénèque, Cornutus, Musonius Rufus, Epictète et Marc Aurèle. Pour tous les autres auteurs stoïciens, nous n’avons à notre disposition que les témoignages d’autres auteurs antiques, soit ce qu’on appelle des « doxographes » (c’est-à-dire des auteurs qui proposent des recueils d’opinions, classés par thème, et qui donnent sur chaque thème l’opinion des différentes écoles philosophiques), soit des historiens de la philosophie, comme Diogène Laërce, qui racontent la vie des principaux philosophes et résument leur doctrine en les présentant par écoles ou courants, soit d’autres philosophes ou auteurs, qui appartiendront soit eux-mêmes à l’école stoïcienne, soit à d’autres écoles philosophiques, ou seront des apologistes chrétiens. Si les deux premiers types d’auteurs peuvent faire preuve d’une certaine objectivité, les autres sont souvent polémiques et, pour les besoins de la polémique, peuvent déformer la pensée des auteurs qu’ils citent, analysent et, souvent, attaquent ou réfutent.

Pour interroger la notion de « l’intime », je propose trois orientations.
1. La notion de « l’intime » est une façon d’entrer dans la question du « sujet ».
Le concept de « sujet » est d’origine philosophique, mais il n’est pas étranger à la pensée psychanalytique, il lui est même absolument nécessaire.
Le travail que je vous propose sera surtout philosophique ou à l’interface de la philosophie et de la psychanalyse. Il y a eu une époque – je pense, pour donner un exemple, au début des années 60, avec le livre de Ricœur De l’interprétation et le Colloque de Bonneval sur « l’Inconscient », où la philosophie s’expliquait avec la psychanalyse autant que la psychanalyse avec la philosophie. C’est un peu dans cet esprit que je chercherai ce que la notion de l’intime peut apporter à la question du sujet.
2. L’intime ne découvre jamais mieux sa structure que dans les moments où il est menacé ou frappé d’effraction. Cette effraction – ou une de ses formes – est la honte. Je chercherai comment la honte, que je comprendrai comme rupture de réversibilité, peut nous mettre sur la voie de la constitution du sujet
3. La notion de l’intime me paraît avoir un noyau de sens disons relativement invariant. Mais cela n’exclut pas qu’il y ait des différences, selon les époques, quant à la manière dont l’intime se définit et opère dans la vie sociale comme dans la vie psychique. Qu’en est-il aujourd’hui ? Je me demande si certains aspects « panoptiques » du fonctionnement social aujourd’hui, par exemple les « réseaux sociaux » ne viennent pas brouiller les frontières qui délimitaient les domaines du public, du privé, et de l’intime. Si on l’admet, et si on admet aussi qu’il y a, sinon une isomorphie du moins une co-variance entre l’espace social et l’espace psychique, on pourrait tenter d’articuler ce brouillage des frontières dans l’espace social et l’importance prise aujourd’hui par ce que certains ont appelé la ou les pathologies des limites.

Dans l’histoire critique des idées que trace la Philosophie première (p. 9-10), comme dans la Krisis, Husserl reconnaît une importance insigne à Platon et à Descartes. A Platon revient la création de l’idée de la philosophie et de sa méthode. A Descartes, «…génie originellement fondateur de toute la philosophie moderne » (K 85), revient la claire conscience que l’idée de la philosophie ne peut s’accomplir que sous la forme d’une philosophie transcendantale, impliquant une reconstruction de l’unité universelle des sciences sur un fondement absolument certain. Descartes est l’inventeur de la philosophie transcendantale, du subjectivisme transcendantal. Comme le dit Paul Ricœur, « la grandeur de Descartes, selon Husserl, est d’avoir fait le projet d’une philosophie qui soit à la fois une science et le fondement de toutes les sciences dans le système d’une science universelle ».
Les Conférences de Paris et les Méditations cartésiennes reprennent l’initiative cartésienne mais en se proposant de la rectifier dans son propre sens : Descartes a manqué le motif transcendantal qu’il avait en vue. Le doute méthodique cartésien va devenir chez Husserl une réduction ; l’évidence du cogito va devenir l’évidence apodictique de la subjectivité transcendantale. Le déplacement, considérable, peut être appréhendé de plusieurs points de vue…

Le texte que nous étudions reprend le problème directeur du paragraphe, celui de l’exposition de la spécificité de « l’analyse de la conscience, entendue comme analyse intentionnelle, [qui] diffère totalement de son analyse au sens ordinaire et naturel du terme ». Il s’agit d’un problème de méthode. Le mot apparaît d’ailleurs dans le passage. Un mot qu’il faut prendre au sens étymologique de poursuite, d’ouverture d’un chemin de manière ordonnée par l’esprit, et non au sens normatif de la préconception d’un plan à suivre en vue d’une fin prédéterminée, comme le définissait Descartes dans Le Discours de la méthode.
Chez Husserl, il ne s’agit pas d’accroître des sciences existant déjà mais de développer une autre science, « la science universelle » aux fondements absolument certains. Après avoir conquis, au cours de la première et deuxième Méditation, le « domaine transcendantal » de l’ego comme le seul fondement apodictique de cette science, il s’agit maintenant de s’orienter pour mener à bien l’investigation de ce domaine. Ce souci, Husserl l’exprime en réfléchissant sur la spécificité phénoménologique de l’analyse de la conscience.

Prononcées a Paris dans les murs de la Sorbonne en février 1929, les dites «Conférences parisiennes» forment la matrice initiale de ce qui s’appellera plus tard les Méditations cartésiennes. Or ce texte, remanié à plusieurs reprises entre 1929 et 1932, acquiert un volume que Husserl était loin d’anticiper au départ. Si l’on compare en effet, dans l’édition originale, les Pariser Vorträge qui précèdent les Cartesianische Meditationen et la version allemande des « Méditations » dont nous disposons dans cette même édition, on s’aperçoit que la cellule germinale est constituée de 40 pages, tandis que le texte définitif ne comprend pas moins de 146 pages.

La parole est sans conteste le point le plus fondamental dans l’œuvre d’Augustin, que ce soit dans sa dimension rhétorique, spécialité dont il possédait une maîtrise accomplie et reconnue de tous, ou en sa dimension philosophique qu’il convient de bien interpréter. Elle recouvre volontiers la multiplicité des sens que peut recevoir le terme grec logos. Elle est un avertissement extérieur rendant attentif à une signification qu’éclaire la lumière de la vérité, elle est aussi la raison qui donne une densité particulière à cette signification saisie intérieurement, elle est en outre la réalité transcendante à laquelle renvoie cette raison, permettant la constitution de la sagesse comme science des choses divines et humaines. Enfin elle est le lieu même de l’unité de ces réalités transcendantes, la source de toute connaissance et de toute intellection, l’origine de tout être : le Verbe qui était au commencement. La richesse du sens de la Parole pour Augustin nécessite donc qu’elle soit écoutée selon les divers sens que ce vocable recèle. D’une part comme réception d’un signe audible auquel il faut prêter une attention réelle et d’autre part – ainsi que l’on sait s’écouter entre amis, comme accueil de la signification qu’il porte, ce qui demande un goût minimal pour la vérité et le désir de n’être étranger à aucun élément constitutif de l’humain. Ensuite comme saisie de cette signification même, comme compréhension – prise en soi-même – de ce qu’elle porte et de sa capacité de transformation. Enfin l’accomplissement de cette parole, dans l’évidence de la vérité qu’elle porte, permet une connaissance de soi qui n’est possible que par une connaissance de Dieu qui en est la condition.

Le titre de la première section n’annonce pas une spécification de la philosophie selon ses différentes branches ou ses différents objets (physique, logique, éthique), ni non plus selon ses fins : divertissements (salons), instruction (école), réforme (politique) mais selon les différentes manières de pratiquer la philosophie : philosophie facile versus philosophie abstruse, entre lesquelles Hume fait passer la voie empiriste qu’il préconise.