Publications par Cournarie Laurent

L’art – Parcours bibliographique

Ce travail n’a aucune prétention d’exhaustivité. Il entend simplement élaborer la question philosophique de l’art à travers un parcours bibliographique, en s’efforçant d’articuler la philosophie à l’histoire de l’art et à l’horizon, pratique et théorique, du fait social de l’art aujourd’hui.

Si la question «qu’est-ce que l’art ?» constitue l’objet formel de toute réflexion philosophique sur l’art, elle contient aussi tous les problèmes d’une philosophie de l’art. A quelles conditions l’art peut-il devenir l’objet d’un discours conceptuel ? Toute théorie philosophique sur l’art prend-elle nécessairement la forme de la philosophie de l’art, telle qu’elle a été initiée par Platon, en soumettant l’art au problème de la vérité (L’art en vérité) ? A moins que l’esthétique ne représente l’alternative à toute philosophie de l’art, en affranchissant l’art de ce rapport à la vérité qui lui est extérieur (L’esthétique ou l’autonomie de l’art et de la philosophie de l’art), fondant son autonomie sur un double processus de subjectivisation (création/réception de l’œuvre). Finalement l’œuvre d’art constituerait l’occasion d’un autre rapport au monde, qui laisse advenir pour elle-même la manifestation sensible de l’être (la vérité «phénoménologique» de l’art).
Pourtant ne faut-il pas traiter comme deux questions distinctes, la question de l’identité de l’art ou de l’œuvre d’art (jugement logique) et celle de la valeur de la beauté ou de l’objet esthétique ? La «dé-définition de l’art» ou l’incertitude de la relation esthétique introduits par l’art moderne et contemporain, obligent peut-être à suivre l’esthétique analytique dans cette voie (Définir l’art : la différence de l’esthétique analytique).

Mais n’est-il pas erroné de parler de l’art en général ? Car le problème d’une philosophie de l’art serait moins son opposition à l’altérité de l’art, que la prise en compte de la diversité factuelle des arts. Or si les beaux-arts sont irréductibles aux arts techniques (La différence artistique) et tous les arts aux beaux-arts, comment envisager un système des arts, sans privilégier une expression artistique sur les autres, hiérarchiser arbitrairement entre arts majeurs et arts mineurs (Système de l’art, classification des arts : arts majeurs, arts mineurs) et reconduire la mépris «esthétique», contradictoire avec la pratique sociale, des arts appliqués (Les arts appliqués) ? L’histoire moderne de l’art en tant qu’elle affirme les droits de l’objet contre la justification esthétique de sa simple représentation, soit que l’art s’approprie l’objet, même le plus vil et le plus provoquant (Ready-made), soit que l’objet rencontre l’art et devienne, par là, pleinement signifiant (Design), disqualifie toute espèce de systématisation et de classification. L’art ne peut être réservé à la seule création artistique : l’innovation en matière d’espaces, de formes, d’objets ou d’images, qui informent toute la vie de l’individu, demande à être reconnue comme une forme authentique de créativité et implique, en retour, l’art dans le procès effectif de la production et de la consommation…

La matière

Qu’est-ce que la matière ? C’est l’ensemble de la réalité accessible à
l’expérience ordinaire et scientifique. Ou plutôt la matière c’est le monde ou
ce dont il est fait. Cette différence n’est pas mince : le matérialisme consiste
précisément à soutenir la première thèse en l’identifiant à la seconde. La
matière y joue en effet le double rôle d’objet à expliquer – et il n’y en a pas
d’autre : c’est le réel, sans arrière-monde – et de principe d’explication.
D’où l’heureuse définition qu’Engels donnait du matérialisme :
« l’explication du monde par lui-même (Erklärung der Welt durch sich
selbst) ».

Mais avant d’être chose ou principe de toutes choses, la matière est un
mot et c’est du mot et de son usage qu’il faut partir. La polysémie du mot
« matière » contient sinon tous les problèmes philosophiques de sa notion,
du moins les principaux, en évitant d’en faire immédiatement une question
spécifiquement philosophique ou scientifique. Ou encore le premier
problème philosophique de la « matière » c’est le fait de sa polysémie.

Par matière on veut dire :
– au sens technique, commun entre la philosophie et les sciences, « la
substance qui constitue les corps », la substance corporelle.
– au sens large, le mot « matière » peut désigner n’importe quoi. Tout
objet d’une activité humaine (en matière de …). Il y a autant de matières
que de disciplines ou d’activités auxquelles peut s’appliquer le génie
humain. La matière est ici sans aucune détermination mais en reçoit de
l’activité qui la constitue. On dira qu’une matière se définit comme le
corrélat d’une activité qui la détermine en l’informant. La matière est l’objet
qui correspond à toute espèce d’activité humaine qui joue à son égard une
fonction de transformation ou d’information.
– dans un sens aussi courant et lui-même multiple, on parle de la
matière comme de ce sur quoi se constitue la pensée ou l’action. La pensée
comme l’action prend appui sur quelque chose qui lui sert de base. On parle
ainsi de la matière d’un raisonnement, du contenu matériel de la proposition
en opposition à sa simple forme. On distingue entre la vérité matérielle et la
validité formelle.

La question est alors de savoir comment la « matière » peut signifier à
la fois la substance corporelle (la matière sensible) et le corrélat de l’activité
ou de la forme de la pensée. Cette polysémie est-elle fortuite ou réglée à
partir d’une essence de la matière qu’il s’agirait de dégager ?

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Aristote Ethique à Nicomaque Livre X

Le titre traditionnel de l’Éthique à Nicomaque (éthika nikoma – sous entendu bibla) est : Livres de morale édités par Nicomaque . Ce titre n’est pas d’Aristote et il est peu probable qu’Aristote ait donné seulement un titre à son cours de morale. On ne doit pas oublier que les œuvres qui nous sont parvenues ont été laissées par Aristote sous la forme de notes, que ce sont des travaux ésotériques (à l’intérieur de l’Ecole) ou « acroamatiques » (destinées à l’enseignement oral) – les œuvres exotériques, elles, ayant été perdues comme souvent pour la philosophie antique dans les premiers siècles de l’ère chrétienne (De la philosophie, le Protreptique…) – et que donc l’ordre et l’unité des textes demeurent toujours problématiques. D’ailleurs quand Aristote fait référence à son enseignement moral (cf. Jaeger), il se réfère le plus souvent (à l’exception tardive du livre 4 de la Politique) à son premier cours, c’est-à-dire à l’Éthique à Eudème. En tois éthikois écrit toujours Aristote (cours de morale). On notera qu’il ne parle jamais de la morale, de la science morale (hè éthikè), même si l’on trouve l’expression d’« ètikè theôria» – science étant ici à entendre au sens large de sagesse. Et même s’il propose de distinguer entre science (épistèmè) pratique, poiétique et théorétique (Métaphysique, E, 1, 1025b3-28), il ne faut pas en conclure qu’Aristote pose les principes d’une science de la moralité. Cette « science pratique » a pour objet l’action humaine, « non pas l’action posée ou passée, mais l’action à poser (prakton), l’action à venir (esomenon), non pas l’action d’autrui, mais l’action que doit réaliser le sujet connaissant ».

Une introduction à la métaphysique : raison et existence

Qu’est-ce donc que la métaphysique ? Ici le paradoxe veut qu’introduire à la métaphysique soit d’emblée réfléchir à sa définition, et que la recherche de la définition soit une interminable introduction. A l’égard de la métaphysique, on ne pourrait jamais faire autre chose qu’introduire… Introduire à la métaphysique n’est pas un préalable, mais le style propre de la pensée métaphysique. Toute l’histoire de la métaphysique est l’histoire d’une introduction…
On peut encore formuler autrement le paradoxe : la métaphysique a rapport au fondement (fondement du savoir, connaissance des principes…) mais le fondement se dérobe toujours. La métaphysique c’est l’exigence rationnelle du fondement de la science, mais la métaphysique n’en finit pas de ne pas pouvoir se fonder. L’entreprise peut donc paraître bien vaine : à quoi bon s’efforcer de poser ce qui ne peut s’atteindre ? Il est raisonnable de s’en tenir à ce qui peut être connu de manière certaine et rigoureuse (sciences), quand bien même le savoir ne reposerait pas sur des bases inébranlables. Les succès remportés en aval dans la connaissance des phénomènes compensent l’absence de fondement en amont. La science se fonde, pour ainsi dire, par ses conséquences, par son dynamisme, dans son mouvement même. C’est ce qu’on peut appeler la conception « positiviste » de la science qui est largement dominante aujourd’hui. D’un côté, les sciences (et les techniques) saisissent de mieux en mieux de plus en plus de phénomènes ; de l’autre, la métaphysique n’a pas encore produit le début d’une preuve de connaissance effective et l’enquête sur le fondement du savoir paraît une recherche inutile : elle n’apporte rien au progrès de la science.