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Le vivant

« L’observation scientifique, écrit le biologiste Ernest Kahane (La Vie n’existe pas, Editions rationalistes, 1962) nous montre des êtres vivants, de la matière vivante, des phénomènes vitaux… » – des êtres vivants : la plante, l’animal ; de la matière vivante : le tissu végétal, un fragment de feuille, à partir duquel on peut recréer, sous certaines conditions, la plante entière ou bien le tissu épithélial ou osseux de l’animal ; les phénomènes vitaux : la photosynthèse, la dégradation des sucres. Cette proposition souligne que le biologiste, à supposer qu’il veuille renoncer, en raison de ce qu’il se représente comme une exigence scientifique, à l’idée de vie, n’en est pas moins contraint, pour désigner l’objet de son étude, à utiliser des termes dérivés des mots « vie » et « vivre », c’est-à-dire le participe présent « vivant » et l’adjectif « vital », le premier de ces termes intervenant lui-même en deux occurrences, comme prédicat du terme « être » ou comme prédicat du terme « matière ». La langue française réserve le terme « être » (au sens où l’on parle d’êtres vivants, mais aussi d’être humains ou d’êtres pensants), par contraste avec les « choses », aux formes de réalité ou d’existence présentant non seulement une unité complexe mais une sorte d’individualité, de conatus, de référence à soi, d’autonomie. Un « être » est, à un degré ou à un autre, « auto-normé ». Nous constatons donc que, même si « la vie n’existe pas », le biologiste (et avec lui le philosophe, qui réfléchit sur la connaissance du vivant) n’en doit pas moins supposer que le terme « vivant » (avec les deux substantifs dont il peut être attribut) et le terme « vital », malgré les différences de sens et d’emploi, ont un référent commun justifiant leur appartenance à une même sphère de phénomènes. Et cette référence commune conduit à se demander comment articuler les termes « être vivant », « matière vivante », « phénomènes vitaux ».

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Définir, décrire et classer en biologie

On admet souvent qu’Aristote a créé la taxonomie. En réalité, s’il y a chez lui certains éléments laissant envisager une classification des êtres vivants, celle-ci n’existe pas explicitement dans ses écrits qui nous sont parvenus (et il est peu probable qu’elle ait existé dans ceux qui sont perdus). Tout au plus évoque-t-il un certain nombre de critères sur lesquels une classification pourrait se fonder : la forme des animaux, celle de leurs organes, leur mode de vie (terrestre, aquatique, aérien), leur mode de déplacement (marche, reptation, vol, nage), la nature de leur alimentation (herbivore, carnivore, …), leur caractère, etc . Les critères relatifs à la forme de l’animal et de ses organes sont manifestement les plus importants (surtout les organes de la nutrition et de la génération, qui sont les deux fonctions essentielles, celles qui ressortissent à l’âme nutritive, primordiale en matière de vie).

Dans la pratique, le critère distinctif le plus utilisé par Aristote est la possession ou la non-possession de sang. Les animaux qui en ont sont les plus parfaits et les plus chauds. Ceux qui n’en ont pas sont moins parfaits et ont moins de chaleur vitale. À la place du sang, ils possèdent un liquide qui n’est pas rouge et qu’Aristote qualifie de sérum (selon lui, c’est un sang imparfait). Cette distinction en animaux sanguins et non-sanguins recouvre à peu près la distinction que nous faisons entre vertébrés (avec sang rouge) et invertébrés (sans sang rouge). Et c’est effectivement une distinction fondamentale.

Pour le reste, il n’y a rien de bien arrêté, et Aristote, qui semble avoir perçu les limites de ses différents critères, se sert de l’un ou l’autre selon ses centres d’intérêt au moment donné, mais sans rien généraliser.

La seule méthode systématique en usage en son temps (notamment à l’Académie de Platon) était celle dite « de la dichotomie ». Elle distinguait les êtres selon qu’ils possédaient ou non tel caractère choisi plus ou moins arbitrairement ; puis, dans chacun des deux groupes ainsi obtenus, selon qu’ils possédaient ou non tel autre caractère, et ainsi de suite. Aristote refusait de recourir à ce procédé binaire qui lui semblait insatisfaisant et source d’erreurs. Il préférait une approche moins artificielle, une comparaison plus globale des êtres, qui donnait des résultats conformes aux répartitions traditionnelles des animaux en grands groupes (quadrupèdes, oiseaux, poissons, etc.). Dans ces conditions, il ne pouvait pas établir une classification générale et systématique des êtres vivants. Et, de fait, chez lui, il n’y a guère de vraiment net qu’une distinction entre genres et espèces.

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L’animal dans la Philosophie de la nature de Hegel

Si on veut savoir ce que Hegel pense de l’animal il faut se rapporter à la partie du système qui le concerne, la Physique organique de la Philosophie de la nature dans l’Encyclopédie des sciences philosophiques. Si on part de la philosophie « appliquée », comme l’esthétique ou la philosophie de la religion, on risque de trouver certaines analyses qui ressemblent plus à des jugements de valeur qu’à de véritables propositions philosophiques sur l’animalité. Hegel en effet adopte souvent dans ses cours une démarche comparative pour distinguer l’animal et l’homme en tant qu’esprit, cette comparaison servant surtout à faire ressortir la supériorité de l’esprit sur une existence encore naturelle. Par exemple dans les Cours d’esthétique on voit bien que dans son jugement sur l’art symbolique le mélange des formes humaines et animales lui apparaît inférieur à l’expression plastique du corps humain dans l’art classique (art grec). De même que dans les Leçons sur la philosophie de la religion l’adoration de formes naturelles et d’êtres vivants dans la religion naturelle apparaît comme une ébauche de la religion véritable où l’esprit se rapporte à l’Esprit. Cela ne suffit pas à porter un verdict complètement négatif sur la façon dont Hegel pense l’animal, malgré les remarques d’Elisabeth de Fontenay qui rattache Hegel à la tradition rationaliste qui déconsidère l’animalité en général.

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Y a-t-il une exception humaine ?

L’être humain n’est pas en peine quand il s’agit de se penser comme un être d’exception. Bien au contraire, l’idée qu’il pourrait n’être qu’une chose ou un animal comme les autres se présente d’abord à lui comme une idée farfelue, voire une provocation. Et pour y répondre, il est rarement à court d’arguments. Car au-delà de ce qui pourrait apparaître comme le signe d’une certaine vanité, les faits eux-mêmes semblent lui donner raison : l’humain est non seulement un être vivant, et en cela il se distingue des simples choses, mais il est aussi un être capable de culture, et en cela il se distingue des autres vivants, plantes et animaux. En effet, si l’on admet que la culture au sens large, selon la définition qu’en propose Denis Kambouchner, « recouvre tout ce par quoi l’existence humaine apparaît comme s’élevant au-dessus de la pure animalité, et plus généralement, à travers elle, au-dessus de la simple nature » , l’homme est bien celui qui inaugure la distinction traditionnelle entre nature et culture, distinction par laquelle il semble pouvoir s’excepter de toutes les autres réalités avec lesquelles il coexiste dans le monde.

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Le droit et la société d’aujourd’hui

Dans le thème qu’il m’a été demandé d’explorer – « le droit et la société d’aujourd’hui » -, il faut voir à coup sûr l’expression d’une préoccupation à la fois théorique et pratique de la pensée contemporaine. Depuis les années 1970, on s’accorde de manière quasi-unanime à diagnostiquer dans les sociétés actuelles le « malaise » ou la « crise », endémique et multiforme, du droit, de la loi et de l’État. Devant les symptômes de la pathologie juridique, se manifeste, dans une littérature philosophico-juridique foisonnante – dans le monde anglo-saxon et germanique plus qu’en France il est vrai -, la volonté de proposer une théorisation nouvelle du droit. Il ne s’agit pas d’une nouvelle « querelle des Anciens et des Modernes ». Mais, dans le monde « désenchanté » où nous vivons, le droit, privé d’assises sacrées – religieuses ou métaphysiques – puise encore son inspiration dans le rationalisme des philosophies modernes. Or, nombreux sont aujourd’hui les auteurs qui refusent de penser le droit comme un système normatif axiologiquement fondé – C. Schmitt, par exemple, parle de « la tyrannie des valeurs » – et certains pensent que considérer le droit comme un ordre prescriptif relevant d’exigences rationnelles pures est une attitude obsolète. Il semble donc que, dans l’univers juridique actuel, il soit devenu urgent de renoncer, totalement ou partiellement, aux paradigmes de la rationalité moderne pour leur substituer des paradigmes nouveaux, plus congruents avec la situation des sociétés contemporaines.

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La théorie de la justice selon Hume, Bentham et Rawls

La justice, les passions et les fictions : La théorie de la justice selon Hume,
Bentham et Rawls.
S’il peut être intéressant de confronter les philosophies de Hume, de Bentham et de Rawls sur la question de la justice, c’est parce que nous trouvons, chez ces penseurs libéraux, trois façons différentes d’envisager la justice, concurrentes, mais d’autant plus faciles à rapporter les unes aux autres que certaines d’entre elles se sont explicitement souciées de polémiquer directement avec les autres. Hume fait rupture avec les penseurs contractualistes, dans la tradition des Whigs et de Locke, et il conçoit la justice comme un mixte d’intérêts, de raison et d’imagination. Bentham, qui reprend à son compte les arguments anti-contractualistes de son prédécesseur, accuse le caractère symbolique de la loi, rejette radicalement tout naturalisme et toute explication de la justice par les passions en promouvant systématiquement et exclusivement le principe d’utilité. Quant à Rawls, il renoue, plus de deux siècles après un déclin que l’on pouvait imaginer irrémédiable, avec la lignée interrompue des penseurs du contrat, en tenant compte des critiques de Hume et de Bentham, non sans intégrer toutefois quelques aspects de l’utilitarisme naissant de L’Enquête sur les principes de la morale ou de l’utilitarisme doctrinal de la Formation du gouvernement ou de l’Introduction aux principes de la morale et de la législation.

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Introduction à la Théorie de la justice de Rawls

Le lecteur français peut avoir du mal à entrer dans la lecture de la Théorie de la justice et ne pas comprendre son intérêt et la renommée dont elle jouit. La première difficulté tient au fait qu’il aura fallu attendre seize ans pour que cet ouvrage, capital dans la philosophie anglo-saxonne, soit traduit en français. Or entre 1971, date de sa publication aux Etats-Unis et le moment de sa réception en France, la Théorie de la justice a suscité un débat intense dans la philosophie anglo-saxonne, obligeant son auteur à préciser et même à refondre sa théorie à travers de nombreux articles. On peut les lire réunis, en français, sous le titre Justice et démocratie, publié en 1993, la même année que Political Liberalism qui constitue la reformulation d’ensemble de ces mêmes articles. La traduction de ce deuxième ouvrage de Rawls est parue en France en 1995.

On se trouve donc dans cette situation singulière de disposer dans le même temps de la théorie de la justice et de ses révisions successives. Le lecteur français doit parallèlement découvrir et comprendre les thèses de la Théorie de la justice et les raisons de leur reformulation. Il se trouve presque condamné à les interpréter à la lumière de la discussion qu’elles ont engendrée. Mais il ne peut comprendre ces critiques qu’en se reportant d’abord à l’ouvrage fondamental.

Deux questions se posent donc d’emblée ensemble : quel est le but poursuivi par Rawls dans la Théorie de la justice et ce but est-il encore maintenu à partir des années 1980 ? Ce remaniement et cette autocritique modifient-elles ou non en profondeur la théorie de la justice comme équité présentée dans la Théorie de la justice ?

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Apogée du contrat ou fin du contrat ?

Il y a maintenant une trentaine d’années, J. Rawls remettait au premier plan de la réflexion politique, de la façon qu’il voulait la plus efficace possible, l’idée de contrat pour représenter les liens du citoyen avec l’Etat. Cette démarche était singulière dans la mesure où le contractualisme paraissait encore à l’époque à la fois périmé et radicalement réfuté sous les coups que lui avaient, naguère, portés Hume, puis les utilitaristes qui, pendant deux siècles, ne lui avaient pas ménagé les leurs. Or, sans récuser tout à fait l’utilitarisme, sans abolir -loin de là- toute justification de l’unification de la société par l’intérêt, Rawls retravaillait, dans la Théorie de la justice (1971) , la notion de contrat dont on avait tout lieu de croire qu’elle avait épuisé logiquement, sinon réellement, avec l’écriture concrète de systèmes politiques par Hobbes, Locke, Grotius, Pufendorf, Rousseau -pour ne citer que quelques grandes figures de penseurs contractualistes-, toutes ses possibilités de fondement.

On peut dire, à présent, que, loin d’être une excentricité sans lendemain, la reprise de la réflexion sur le contrat domine désormais la philosophie politique. David Gauthier, dans la dernière décennie, a même soutenu l’idée, qui aurait paru incongrue, il y a encore vingt ans, que la notion de contrat est l’idéologie dominante de nos sociétés depuis le XVIIème siècle au moins, qu’elle est un élément non négligeable de cohésion, non seulement de la façon dont ces sociétés se réfléchissent elles-mêmes, mais de ces sociétés mêmes ; et que, en dépit des apparences, Hume et les utilitaristes, comme Bentham, ne l’avaient jamais sérieusement ébranlée ; à telle enseigne que D. Gauthier se fait fort de montrer que Hume accepte l’essentiel du contractualisme. Les choses sont sans doute moins simples et il se pourrait bien que l’utilitarisme continuât d’être un frère rival du contractualisme au sein de la famille des idéologies issues du libéralisme.

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Problèmes de la justice dans l’Antiquité

La notion antique de justice diffère fondamentalement de la nôtre en ce que, dans l’Antiquité, la justice est d’abord pensée comme une vertu.

Nous entendons plutôt maintenant par la justice l’institution qui juge des crimes et des délits et qui règle les conflits entre particuliers d’après les lois en vigueur. Dans un sens moins institutionnel, nous parlons de justice à propos de ce qui relève de la justice sociale, c’est-à-dire d’une équitable distribution de la richesse économique, du pouvoir, des droits et des devoirs dans la société. La discussion philosophique de la notion de justice a même récemment été réduite à cette seule dimension de la justice sociale, sous l’influence de La théorie de la justice de J. Rawls. Dans ces conditions, on voit mal à première vue ce que les préoccupations des philosophes de l’Antiquité en matière de justice ont à voir avec les nôtres. Les anciens grecs n’avaient pas de code pénal : c’était aux juges de fixer les peines et il fallait donc exercer dans les tribunaux une vertu spécifique, consistant à juger chacun comme il le méritait. La vertu de justice renvoyait à un contexte familier qui n’est plus le nôtre.

La proximité des préoccupations des philosophes de l’Antiquité est pourtant évidente dès lors que nous examinons comment les philosophes de l’Antiquité, notamment Aristote, distinguent l’individu juste et l’individu injuste : « Apparaît comme injuste celui qui contrevient à la loi et celui qui cherche à avoir plus et ne respecte pas l’égalité, de sorte que manifestement sera juste celui qui observe la loi et celui qui respecte l’égalité. Le juste sera donc le légal et l’égal, l’injuste l’illégal et l’inégal. »

À ces deux façons d’être juste ou injuste, à ces deux formes de la justice et de l’injustice, il est évident en effet que répondent les deux sens de notre concept de justice : la justice est d’une part le respect de la loi et, le cas échéant, la punition de celui qui y contrevient, et d’autre part, elle est une certaine forme d’égalité dans la répartition des biens.

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La justice, une problématique embarrassée

De Platon qui, à son immortelle République, donnait en sous-titre “De la justice”, à des penseurs contemporains comme Alasdair MacIntyre ou John Rawls, la question de la justice, éternelle et redondante, a toujours obsédé les hommes. L’histoire de la philosophie occidentale en apporte l’irréfutable preuve. Et pourtant, la notion de justice, malgré les multiples éclairages qu’elle a reçus, demeure toujours aussi problématique.

Dans la mythologie grecque, Thémis, fille d’Ouranos et de Gaïa, était une divinité de l’Olympe. Elle personnifiait l’ordre du monde, l’équilibre des choses et surtout, elle figurait, avec sa soeur Mnémosyne, la puissance de l’esprit et les capacités que la pensée réfléchie opposait au désordre sauvage des Titans. Elle était, à ce titre, la conseillère de Zeus. A l’aurore du monde, c’était donc aux autres divinités que parlait Thémis, leur indiquant quels étaient, jusque dans les querelles de l’Olympe, les chemins de la prudence. Aussi inspirait-elle les oracles et faisait-elle entendre, grâce à eux, ce que, selon la volonté des dieux, disait la voix de son éminente sagesse.

De l’union de Zeus et de Thémis, naquit Dikè, déesse des jugements et soeur d’Aletheia, déesse de la vérité. Dikè s’intéressait davantage aux querelles des hommes qu’aux certitudes des dieux. La mythologie lui attribue deux fonctions, mais d’inégale importance : d’abord, elle s’efforce, lorsqu’éclatent des différends entre les hommes, de leur indiquer des moyens de conciliation et de paix; ensuite — parce que, vus du haut du mont Olympe, les hommes ne paraissent guère enclins à des comportements se-reins et pacifiques et, d’ailleurs, n’en sont pas capables —, elle comprend que les arbitrages et les conciliations à l’amiable étant à peu près vains, les sanctions et la sévérité des peines sont plus expédientes. Cependant, si les mythes grecs prêtent volontiers à Dikè le visage d’une sévérité vengeresse, les institutions érigent pour elle une autre statue dont la philosophie, par-delà les images mythologiques, ne tardera pas à sonder les secrets. Dikè devient dès lors le symbole de la justice dont, parmi les hommes, la parole du juge est l’expression. Comme Thémis sa mère, elle a, certes, l’auréole d’une instance supra-humaine et sacrée, mais sur la terre des hommes, elle occupe la plus haute marche du tribunal qui formule les réquisitions à l’aune desquelles leurs actions sont jugées.