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Aux yeux de Hans Jonas, la question éthique ne peut se légitimer de la seule volonté. La volonté bonne ne peut plus être le principe de l’éthique . Si elle fut le fondement de la moralité pour la modernité, elle doit à présent être dépassée. Cette nécessité ne tient pas à une valorisation du progrès ou à l’historicisme. Si la modernité peut avoir confiance dans la volonté de l’homme, dans la possibilité pour lui d’agir rationnellement, c’est parce que, au même titre que les Anciens, elle s’inscrit dans un monde qu’elle se représente comme durablement stable . La modernité, pour moderne qu’elle soit, reste liée à un modèle ancien, à la fois religieux et philosophique, qui suppose que les conditions d’existence de l’homme demeureront les mêmes. Ayant toujours eu des configurations semblables, elles continueront de les avoir. Si le monde apparaît comme identique à lui-même dans le temps, l’homme qui y trouve sa place ne peut errer. Et s’il commet quelque faute il pourra la corriger par la seule référence à la stabilité du monde.

Nous pouvons considérer le monde comme le concept central de la pensée de H. Arendt. Qu’elle s’interroge sur les origines du totalitarisme et tente d’en saisir les mécanismes, qu’elle pense la notion du politique, qu’elle questionne la condition de l’homme, tout la ramène au « souci » du monde. Parce que le monde est ce à quoi nous appartenons fondamentalement et ce qui nous permet d’être humains, quoique nous fassions, nous nous situons toujours par rapport au monde.
Le monde est ce que nous trouvons à notre arrivée et laissons derrière nous au moment de mourir (naître se dit « venir au monde » et mourir « quitter ce monde » ou « cesser d’être au monde »). Le monde est également ce que nous avons en partage, il est essentiellement « commun », reliant et séparant les hommes afin qu’ils ne deviennent pas cette masse indifférenciée où chacun se trouve écrasé contre l’autre. Exister pour l’homme sera paraître dans le monde. Perdre de vue son importance essentielle, laisser le monde s’éroder, c’est mettre en jeu les conditions même de notre humanité. L’amor mundi peut définir la pensée de H. Arendt. Le souci du monde est le fil qui tisse ensemble les divers aspects de sa pensée. Tout la ramène sans cesse à ce souci du monde.

Dans cet article on se propose de montrer comment s’effectue la réintroduction du concept de monde dans la philosophie classique allemande après la critique kantienne qui normalement aurait dû rendre son utilisation impossible. La Critique de la raison pure avait en effet réglé le sort de la question du monde en en faisant une Idée régulatrice de la raison, ce qui supposait l’abandon de tout espoir de connaître le monde comme totalité. Schopenhauer de façon provocatrice en fait le titre même de son opus magnum, die Welt als Wille und Vorstellung. Le concept de Welt chez Schopenhauer ne renvoie pas à la thèse kantienne et n’est pas non plus un retour à la cosmologie de la métaphysique classique : l’idéalisme transcendantal non-kantien de Schopenhauer s’oppose à la pensée de la transcendance divine qui forme l’arrière-plan de toute cosmologie. Le titre choisi par Schopenhauer est explicite : Schopenhauer pense le monde à partir de Vorstellung, plus précisément le principe de raison suffisante – et à partir de Wille, la volonté séparée de la raison.

Quelle est « la première question qu’on a le droit de faire » ? Ou plutôt, quelle est la première question qu’on a le droit de faire à partir du moment où l’on a posé « le grand principe, peu employé communément, qui porte que rien ne se fait sans raison suffisante» ? Si l’on en croit l’auteur que nous venons de citer, c’est-à-dire Leibniz, cette question est la suivante : « Pourquoi il y a plutôt quelque chose que rien ? » Notre auteur qualifie cette question de « métaphysique » pour désigner le fait qu’elle consiste à «s’élever » au-dessus de la physique : la soif d’explication qui anime la recherche des physiciens débouche sur une question à laquelle la physique est par définition incapable de répondre. Leibniz parle ici de « droit » de poser cette question, et non de devoir ; il ne présente explicitement la question que comme légitime, non comme obligatoire. Cependant, ce qui la rend légitime à ses yeux est qu’elle découle logiquement du «principe » selon lequel « rien ne se fait sans raison suffisante ». Or, face à un principe digne de ce nom, la raison n’a pas d’autre attitude légitime que de s’y soumettre : ne pas reconnaître une loi de la raison serait se renier. C’est donc parce que la question est logiquement obligatoire qu’elle est légitime.

Dans son travail philosophique, Merleau-Ponty a tenté de dépasser ce qu’il appelle les «bifurcations » de la pensée métaphysique, en particulier la bifurcation de l’idéalisme et du réalisme. Il refuse d’avoir à choisir entre le réalisme et l’idéalisme. Mais puisque j’ai aujourd’hui le plaisir d’être invité par des philosophes qui défendent les droits d’une philosophie réaliste, je vais souligner les raisons que Merleau-Ponty nous donne d’abandonner l’idéalisme, ou un certain idéalisme, tel qu’il le voyait en particulier se développer chez Kant, ou dans une certaine lecture de Kant (celle de Lachièze-Rey) et chez Husserl.
Cette critique de l’idéalisme est, en un certain sens, un chemin vers le réalisme et c’est sous ce jour que je voudrais présenter l’itinéraire philosophique de Merleau-Ponty.

Carl Schmitt a mauvaise réputation. Sa critique systématique du libéralisme, son apologie de l’Etat autoritaire, son adhésion au nazisme en mars 1933, son antisémitisme récurrent l’ont classé du côté des auteurs maudits. Certains disent qu’on a affaire à un idéologue et qu’il ne peut être étudié qu’à titre de document de l’histoire.
Il ne s’agit nullement de nier ou d’atténuer les orientations radicales et les options historiques condamnables de notre auteur. Toutefois nous ne pouvons suivre ceux qui veulent le réduire à un symptôme de l’histoire. Il faut bien admettre que Carl Schmitt est un véritable auteur et pas seulement un idéologue, à la manière de Rosenberg. Il a composé une œuvre substantielle dans laquelle il pose les questions fondamentales du politique : Qu’est-ce que l’Etat ? Qu’est-ce que la souveraineté ? Qu’est-ce que la démocratie ? Qu’est-ce que la loi ? Quel est le rapport entre le droit et la force ? Comment maîtriser la violence guerrière ? Quel est le destin des peuples dans l’histoire ? Et pour répondre à ces questions il a élaboré un certain nombre de concepts qui sont devenus des outils communs de l’analyse politique : décisionnisme, état d’exception, désignation de l’ennemi, dictature commissariale et souveraine, identité et représentation, prime du pouvoir légal, compromis dilatoire, légalité et légitimité, puissance indirecte, grand espace, théologie politique, etc. Nombreux sont ceux qui ont pensé à l’occasion de Carl Schmitt et ont discuté avec lui en le prenant au sérieux.

Dans le chapitre de Procès et réalité intitulé « Fait et forme », Whitehead met en scène trois penseurs : Platon, Locke et lui-même. Le texte qui est en filigrane, c’est le Timée, et, en particulier, le passage (49 a-53 c) où Platon présente les trois genres de l’être : a) ce qui a une forme immuable ; b) ce qui tombe sous les sens, naît, est toujours en mouvement, naît dans un lieu déterminé, pour disparaître (le perishing de l’auteur) ; c) le troisième genre est le « réceptacle » (chora ou hypodochè) : « Il ne peut mourir et fournit un emplacement à tous les objets qui naissent ».
L’interprétation du « réceptacle » ou de la chora dans Aventures d’Idées montre l’importance de la notion pour Whitehead, car elle est ce qui ressemble le plus à la notion de « créativité ». Il cite Timée 49a qui qualifie le réceptacle de « mère nourricière de tout devenir », disant : « De toute naissance, elle est le support et comme la nourrice ».

Régulièrement le débat politique se concentre sur la question de l’Etat. On entend dire qu’il faut restaurer l’autorité de l’Etat, lui rendre toutes ses prérogatives — quand d’autres annoncent la mort de l’Etat ou souhaitent sa fin. La cristallisation du discours politique sur la question de l’Etat révèle à elle seule la crise que traverse l’Etat (crise de l’Etat de droit au plan juridico-politique, crise de l’Etat-Providence au plan économico-social, crise de l’Etat-Nation au plan politique et économique de l’histoire mondiale).

La réflexion sur l’ordre physico-chimique soulève deux types de problèmes :
– circonscrire les frontières de cet ordre ; et voir si, pris comme un système, il interfère avec un ou plusieurs autres ordres ;
– mettre au jour sa constitution interne, afin d’examiner s’il constitue un ensemble homogène ou s’il est fait de parties plus ou moins liées les unes aux autres, entre lesquels des problèmes d’interaction se posent.
L’ordre physico-chimique existe à l’intérieur des êtres vivants et hors des êtres vivants. Historiquement, l’étude de l’ordre physico-chimique hors des organismes vivants précède celle de cet ordre à l’intérieur des vivants, qui, de toute façon, n’a commencé que vers la fin du XVIIIe siècle, avec la fondation de la chimie moderne.

C’est un truisme, pour les lecteurs d’Arendt, de dire que l’œuvre d’art est intimement liée au monde, encore que ce lien ne soit pas sans ambiguïté puisque l’activité de l’artiste, en tant qu’œuvrer, se fait en marge du monde.
Nous voudrions revenir sur l’esthétique d’Arendt à travers un axe de lecture inhabituel : montrer comment le monde nous apparaît dans l’œuvre d’art, comment il y devient visible. L’œuvre d’art nous ouvre le monde, laisse le monde venir à nous dans son apparition initiale. Elle se fait transparente pour laisser éclore l’apparition du monde. Nous pourrons alors mettre en évidence que c’est dans l’œuvre d’art que nous pouvons saisir la pureté de son essence phénoménale. Par conséquent l’objet de cet article est de proposer un autre écho de l’affirmation sans cesse répétée chez l’auteur : l’œuvre d’art est l’objet le plus mondain. Cette lecture nous conduit à établir un parallèle entre l’esthétique d’Arendt et celle de Merleau-Ponty.