Les Thèmes

Sous-rubriques:

L’Etat désigne une structure du vivre-ensemble dont la nature est indivisiblement historique et rationnelle.
Historique d’abord au sens où l’Etat, ou plus précisément l’Etat moderne, la forme moderne de la condition politique, a une origine qui peut être plus ou moins approximativement repérée par l’apparition du terme même d’Etat. L’Etat moderne, écrit Lucien Fèvre, est « un organisme qui aux hommes du 16e siècle apparut assez neuf pour qu’ils sentissent le besoin de le doter d’un nom, que les peuples de la même époque se repassèrent aussitôt l’un à l’autre » (Encyclopédie française, article « L’Etat »). Il faut en effet attendre la Renaissance pour que le terme Etat, orthographié avec une majuscule, prenne le sens politique que nous lui donnons aujourd’hui et qui appartenait jusqu’alors à des termes tels que polis, civitas ou res publica. Machiavel écrit au début du Prince : « Tous les Etats, toutes les seigneuries qui eurent et ont commandement sur les hommes furent ou sont ou républiques ou principautés ».

Dans la cinquième partie de l’Éthique, Spinoza traite de l’éternité de l’âme. Son souci est de s’écarter du concept métaphysique traditionnel d’immortalité. Toutes les preuves de l’immortalité de l’âme font intervenir, comme le ressort de l’argumentation, une thèse sur la substantialité de l’âme. C’est pourquoi la carrière philosophique de l’immortalité de l’âme est frappée au cœur par la critique kantienne des paralogismes, établissant que le sujet a pour sens d’être de ne pas être une res, une substance. La désubstantialisation kantienne de la subjectivité rend impossible la preuve de l’immortalité de l’âme sous sa forme traditionnelle grecque. La problématique spinoziste de l’éternité de l’âme relève d’un horizon tout à fait différent. En effet, non seulement elle est libre de toute présupposition sur la substantialité de l’âme, mais elle conserve, même dans l’argumentation la plus rigoureuse et la plus serrée, une dimension non argumentative, une dimension d’expérience : « nous sentons et nous savons par expérience que nous sommes éternels ». Cette référence à l’expérience témoigne du lien entre la dimension spéculative et la dimension éthique de l’éternité de l’âme : le concept d’éternité ne prend son véritable sens que dans le cheminement éthique qui conduit au salut.

Il y a, ce semble actuellement malgré bien des apparences toutes contraires, renouveau et progrès des études de mystique. Il y a, ce semble aussi, renouveau et floraison de la vie mystique elle-même.
Les preuves ? – Elles sont nombreuses et convergentes, quoique d’origine et de valeur diverses : succès paradoxal de revues et d’ouvrages consacrés à la science d’états ou de phénomènes que naguère encore on avait trop souvent traités par le dédain ou l’ironie ; vocations multiples et vocations accrues pour la vie contemplative ; direction spirituelle plus méthodiquement orientée vers les cimes ; manifestation d’une foule d’âmes (turba magna) élevées aux intimes formes de l’union divine ; recherches historiques, psychologiques, pathologiques sur les expériences de cette nature ; controverses philosophiques ou théologiques et essais de systématisation spéculative ; même dans le monde littéraire ou artistique, parmi le grand public, jusque dans la presse quotidienne, ce qu’on appelle (souvent à tort d’ailleurs) « le mysticisme » , que ce soit pour l’éloge ou le blâme, apparaît comme une des forces, d’autres disent comme l’un des dangers de l’heure présente.

Commentant une pièce intitulée Solness le constructeur, le psychiatre suisse L. Binswanger prend pour thème la réalisation de soi ainsi que le sérieux, la véracité, le refus des demi-mesures, que, selon Ibsen, la réalisation de soi exige.
L’opération de la forme artistique, la Gestaltung, est un des chemins fondamentaux de la véracité et de la réalisation de soi.
L’art est une Gestaltung et ouvre la voie d’une réalisation de soi pour autant que s’y croisent l’horizontalité – la direction de sens de l’expérience et de l’amplification de soi -, et la verticalité – la direction de sens de l’amour et de l’ascension ; il y a Gestaltung là où une re-prise véritable du passé dans le présent ouvre un avenir, là où hauteur et profondeur communiquent, là où se composent et se nouent l’éternité du beau et la patience du travail de l’œuvre.
Mais l’art ne peut ainsi ouvrir la voie d’une réalisation de soi qu’en s’approchant au plus près, en faisant l’épreuve de l’ennemi intime qui le menace – de l’intérieur. Cette menace, Binswanger l’appelle présomption . La présomption survient au moment où la proportion se rompt entre l’horizontal et le vertical, l’ample et le haut, au moment où la hauteur devient une sorte d’abîme qui attire et emporte celui qui monte, jusqu’au point où il s’effondre dans le vide. La passion de la forme pure peut en venir à oublier la vie.
L’art est une voie de la réalisation de soi pour autant qu’il sait être, non une négation, mais une catharsis de la vie.

La phénoménologie possède désormais une histoire, son histoire, qui n’est peut-être pas achevée et qui obéit à sa logique interne. Celle-ci préside à son déroulement : on peut affirmer que le développement de la phénoménologie consiste en grande partie dans le retournement de la postérité husserlienne contre le virage transcendantal que Husserl a donné à la phénoménologie. Si beaucoup de philosophes sont devenus phénoménologues à la lecture des Recherches logiques, la plupart se sont détournés de l’infléchissement idéaliste institué par Husserl, probablement dès 1903 , qui apparaissait déjà en 1907 dans L’idée de la phénoménologie , et qui est explicitement posé en 1913 lors de la publication des Ideen I .
Selon un apparent paradoxe ces penseurs n’ont pourtant pas abandonné leur foi phénoménologique. Si Husserl leur paraissait insuffisant il n’en allait pas de même pour la phénoménologie. Elle restait au contraire la vraie voie philosophique mais c’était précisément Husserl qui, à leurs yeux, l’avait trahie par l’institution de l’idéalisme transcendantal.

La notion de sujet, telle qu’elle apparaît dans la philosophie moderne, s’est construite à l’intersection de deux chemins principaux.
Le premier – ontologique – est celui de la réflexion grecque puis latine sur la substance. Le français « sujet » vient en effet du latin « sub-jectum », qui est lui-même apparenté, du point de vue de la construction lexicale, au latin substantia et au grec upokeimenon.
Que signifie substance ?
Au début du livre Z de la Métaphysique, Aristote énonce que l’être est dit selon de multiples acceptions appelées catégories. Et il cite parmi elles le « ce qu’est la chose et le ceci » appelé également ousia, puis la qualité, la quantité, et toutes les autres catégories de l’être. Et il établit la primauté de l’ousia qui est seule kath auto.

C’est un lieu commun de dire à la suite de Heine que la philosophie classique allemande est « la dernière conséquence du protestantisme ». De l’Aufklärung à Feuerbach on peut identifier une séquence historique qui commence par la définition du noyau rationnel de la religion et s’achève dans la négation anthropologique de celle-ci. Entre ces deux limites se trouve un moment particulier où les figures éminentes de la spéculation – Fichte, Schelling , Hegel – intègrent la religion à leur système. Cette séquence a ceci d’original qu’elle ne fait pas de la religion un phénomène atavique dépassé car, par la négation anthropologique de la religion, Feuerbach veut aussi préserver le quid proprium de la religion, ce qu’elle a d’essentiel pour l’homme. La philosophie allemande effectue une rationalisation de la religion qui est plus qu’une critique du fait religieux. La religion permet de critiquer le rationalisme froid des Lumières, puis dans la période des grands systèmes elle a une place particulière dans la pensée de l’Absolu et dans l’économie de la Révélation divine. Cela ne va pas sans un coup de force : la religion est dépossédée de son rôle essentiel, pour devenir une présupposition du discours philosophique autofondateur, ce qui entraîne des résistances de la part de ceux qui soulignent son irréductibilité face à la raison spéculative .

Le Principe responsabilité est traversé par deux grandes questions dont on doit préciser l’importance pour la pensée de Hans Jonas.
La première concerne l’ontologie. Dualisme et monisme sont, selon Hans Jonas, les deux tentations permanentes de l’ontologie.
Le dualisme est inévitable sur le plan phénoménal : « les actes intellectuels, disait Descartes, n’ont aucune affinité avec les actes corporels » ; et Jonas précise : « on ne peut tout simplement pas additionner d’un côté les grandeurs dans l’espace et de l’autre le sentir ; aucun dénominateur commun ne permet d’unir dans un champ théorique homogène, malgré leur co-appartenance manifeste, “étendue” et “conscience” » .
Mais le dualisme est impossible sur le plan ontologique : « la voix de la subjectivité, dans l’animal et dans l’homme a émergé des tourbillons muets de la matière et continue d’y être liée » ; la vie organique témoigne du lien le plus intime entre l’intériorité subjective et l’extériorité matérielle et le dualisme doit être abandonné. Le monisme n’offre cependant pas une meilleure issue s’il se présente simplement comme la réduction violente de l’un des deux termes à l’autre.

Qu’est-ce que la religion dans l’homme ? Pour répondre à cette question, l’historien des religions peut avoir recours à l’expression d’homo religiosus. Comment l’entendre ?
L’expression est ambiguë. Soit on veut suggérer que la religion est ce par quoi l’homme est humain : être au monde pour l’homme, être humain c’est être religieux — la religion relève alors d’une anthropologie fondamentale. Soit l’homo religiosus est l’homme d’un temps et d’une société, peut-être révolus ou en passe de l’être : « l’homme des sociétés traditionnelles est, bien entendu, un homo religiosus » alors qu’inversement la désacralisation du monde est «une découverte récente de l’esprit humain ». La différence entre le sacré et le profane est-elle anthropologique ou historique? La religion (sacré) est-elle l’une des deux possibilités fondamentales de l’existence humaine (pour laquelle le monde contient au- delà des faits manifestes une réserve d’action et de sens) ou seulement une possibilité culturelle contingente ? L’opposition du sacré et du profane est- elle provisoire ou indépassable ?

On se propose d’esquisser ici ce que pourrait être la relation entre la sphère
politique et la sphère religieuse de l’existence. Il s’agit donc d’aller, si possible, à
l’essence même de la politique et de la religion mais en cherchant ce que la
compréhension juste de chacun des deux phénomènes peut apporter à la
compréhension de l’autre. Le point de départ de ma réflexion est la distinction
établie par Bergson entre société close et société ouverte, mais je modifie un peu
le sens et le fonctionnement de cette distinction en faisant l’hypothèse que
l’existence politique (qui n’est guère thématisée dans les Deux sources de la
morale et de la religion
ni en général dans l’oeuvre de Bergson) est un moment
nécessaire, un moment fondateur dans le passage de la société close à la société
ouverte, au sens où elle marquerait le seuil à partir duquel la société ouverte est
possible…