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Avant de nous appliquer au recensement des problèmes qu’évoque l’idée de nature, il convient de dire en quoi le sens de ce mot diffère du sens des mots «univers» et « monde ». Univers (en latin universum) est composé de deux racines : unus et verto, et a pour contraire diversum, participe passé de diverto ou divorto, aller dans des directions opposées, se séparer, divorcer. Dans univers, il y a donc l’idée d’un ensemble qui, en embrassant une totalité, se tourne vers l’unité. Il s’agit d’une unité faite d’une diversité qui constitue une totalité allant vers son unité. L’idée sous-jacente est donc celle d’un lien synthétique, d’une togetherness, dirait Whitehead. On voit donc par quel cheminement universum en est venu à désigner l’ensemble des choses, l’univers.
Dans l’idée de monde, mundus, – dont le contraire est immundus – il y a l’idée de propreté, de parure, et, par-là, l’ordonnance, comme dans le grec kosmos. Mundus signifie aussi le ciel et, plus généralement, la totalité des choses.

L’étude des textes du Docteur Angélique conduit inévitablement à s’interroger sur la légitimité d’une partie de son entreprise : faire servir la philosophie d’Aristote à la formulation d’une théologie qui était à tous égards étrangère à ce dernier. Fondée sur des Écritures révélées, encombrées de récits cosmogoniques, de fables, et de chroniques historiques, à peu près exemptes de ratiocination métaphysique, cette théologie paraît devoir être mise au nombre des traditions mythologiques auxquelles Aristote oppose sa propre théologie philosophique.
C’est notamment un fait irrécusable qu’Aristote, démonstrateur de l’existence du Premier Moteur immobile, n’a pas professé une théorie de la création du monde. Mais qu’Aristote ne fût pas chrétien n’est qu’un fait, et, à en croire Thomas d’Aquin, la question est précisément de savoir si Aristote aurait pu, voire dû enseigner que le monde est créé par Dieu.

L’histoire de la phénoménologie possède – nous l’avons déjà écrit – sa logique et sa finalité : s’éloigner de Husserl . Presque tout phénoménologue part de Husserl, dont il reprend les concepts, la méthodologie descriptive, mais pour (presque) toujours rompre avec lui. La raison de cette démarcation à l’égard de son initiateur réside, pour la phénoménologie, dans un reproche radical : Husserl ne remplirait pas le programme qu’il s’était pourtant imposé. Le fondateur de la phénoménologie préconise de rompre avec les constructions métaphysiques pour saisir, dans l’immanence même de sa concrétude, l’expérience vécue la plus concrète. Il retombe cependant dans les travers de la métaphysique en instituant, à partir des Ideen I, un idéalisme transcendantal fondé sur un sujet absolu. Rien n’est plus métaphysique que le sujet. Se fonder sur lui ne peut qu’éloigner le penseur de la compréhension interne de l’expérience la plus originaire. Se fonder sur la subjectivité est une rupture avec la phénoménologie.

Dans cette introduction, on trouvera analysées quelques notions fondamentales sur lesquelles Frege (1848-1925) a déployé sa réflexion. Exemplaire, tant par la clarté de l’exposition que par la rigueur des analyses, cette réflexion est celle d’un philosophe pour qui la recherche du vrai exclut toute forme de concession ou de compromis ; les polémiques qu’il engage avec ses contemporains (J.-S. Mill, Boole, Kerry, Husserl,…), en dépit de leur caractère parfois féroce, toujours incisif, n’ont d’autre motivation que l’exigence de précision conceptuelle et de rigueur que lui-même imposait à sa propre pensée. Le psychologisme fut sa cible principale. Conscient que la vérité n’admet pas de demi-mesure, et que la recherche du vrai est le seul absolu du philosophe, il donna raison aux objections que Russell (1902) lui adressa, et qui concluaient vingt années de labeur consacrées à la fondation logique de l’arithmétique, par un constat d’échec. Dans les pages qui suivent, sont abordées les notions suivantes : Concept, Dénotation, Existence, Jugement, Pensée, Unité, Vérité.

Le texte que, faute d’en avoir le titre originel, à jamais perdu, nous appellerons manuscrit de Kreuznach relève incontestablement d’un paradoxe : ce qui se présente sous les auspices d’un exercice exégétique assez classique, rédigé dans la retraite d’un cabinet d’études, à savoir le commentaire paragraphe par paragraphe de la troisième partie, die Sittlichkeit, des Principes de la philosophie du droit de Hegel, constitue en fait le premier fruit d’une crise multiple, à la fois personnelle, sociale et politique, qui marque cette année 1843 en Allemagne. Il est donc nécessaire d’en dire quelques mots avant de procéder à l’étude du texte proprement dit. L’année qui précède la rédaction de ce manuscrit sonne en effet le glas des espoirs de réforme libérale que l’intelligentsia et l’opinion publique progressistes avaient placé en Frédéric Guillaume IV lors de son accession au trône prussien, en 1840.

L’Etat désigne une structure du vivre-ensemble dont la nature est indivisiblement historique et rationnelle.
Historique d’abord au sens où l’Etat, ou plus précisément l’Etat moderne, la forme moderne de la condition politique, a une origine qui peut être plus ou moins approximativement repérée par l’apparition du terme même d’Etat. L’Etat moderne, écrit Lucien Fèvre, est « un organisme qui aux hommes du 16e siècle apparut assez neuf pour qu’ils sentissent le besoin de le doter d’un nom, que les peuples de la même époque se repassèrent aussitôt l’un à l’autre » (Encyclopédie française, article « L’Etat »). Il faut en effet attendre la Renaissance pour que le terme Etat, orthographié avec une majuscule, prenne le sens politique que nous lui donnons aujourd’hui et qui appartenait jusqu’alors à des termes tels que polis, civitas ou res publica. Machiavel écrit au début du Prince : « Tous les Etats, toutes les seigneuries qui eurent et ont commandement sur les hommes furent ou sont ou républiques ou principautés ».

Dans la cinquième partie de l’Éthique, Spinoza traite de l’éternité de l’âme. Son souci est de s’écarter du concept métaphysique traditionnel d’immortalité. Toutes les preuves de l’immortalité de l’âme font intervenir, comme le ressort de l’argumentation, une thèse sur la substantialité de l’âme. C’est pourquoi la carrière philosophique de l’immortalité de l’âme est frappée au cœur par la critique kantienne des paralogismes, établissant que le sujet a pour sens d’être de ne pas être une res, une substance. La désubstantialisation kantienne de la subjectivité rend impossible la preuve de l’immortalité de l’âme sous sa forme traditionnelle grecque. La problématique spinoziste de l’éternité de l’âme relève d’un horizon tout à fait différent. En effet, non seulement elle est libre de toute présupposition sur la substantialité de l’âme, mais elle conserve, même dans l’argumentation la plus rigoureuse et la plus serrée, une dimension non argumentative, une dimension d’expérience : « nous sentons et nous savons par expérience que nous sommes éternels ». Cette référence à l’expérience témoigne du lien entre la dimension spéculative et la dimension éthique de l’éternité de l’âme : le concept d’éternité ne prend son véritable sens que dans le cheminement éthique qui conduit au salut.

Il y a, ce semble actuellement malgré bien des apparences toutes contraires, renouveau et progrès des études de mystique. Il y a, ce semble aussi, renouveau et floraison de la vie mystique elle-même.
Les preuves ? – Elles sont nombreuses et convergentes, quoique d’origine et de valeur diverses : succès paradoxal de revues et d’ouvrages consacrés à la science d’états ou de phénomènes que naguère encore on avait trop souvent traités par le dédain ou l’ironie ; vocations multiples et vocations accrues pour la vie contemplative ; direction spirituelle plus méthodiquement orientée vers les cimes ; manifestation d’une foule d’âmes (turba magna) élevées aux intimes formes de l’union divine ; recherches historiques, psychologiques, pathologiques sur les expériences de cette nature ; controverses philosophiques ou théologiques et essais de systématisation spéculative ; même dans le monde littéraire ou artistique, parmi le grand public, jusque dans la presse quotidienne, ce qu’on appelle (souvent à tort d’ailleurs) « le mysticisme » , que ce soit pour l’éloge ou le blâme, apparaît comme une des forces, d’autres disent comme l’un des dangers de l’heure présente.

Commentant une pièce intitulée Solness le constructeur, le psychiatre suisse L. Binswanger prend pour thème la réalisation de soi ainsi que le sérieux, la véracité, le refus des demi-mesures, que, selon Ibsen, la réalisation de soi exige.
L’opération de la forme artistique, la Gestaltung, est un des chemins fondamentaux de la véracité et de la réalisation de soi.
L’art est une Gestaltung et ouvre la voie d’une réalisation de soi pour autant que s’y croisent l’horizontalité – la direction de sens de l’expérience et de l’amplification de soi -, et la verticalité – la direction de sens de l’amour et de l’ascension ; il y a Gestaltung là où une re-prise véritable du passé dans le présent ouvre un avenir, là où hauteur et profondeur communiquent, là où se composent et se nouent l’éternité du beau et la patience du travail de l’œuvre.
Mais l’art ne peut ainsi ouvrir la voie d’une réalisation de soi qu’en s’approchant au plus près, en faisant l’épreuve de l’ennemi intime qui le menace – de l’intérieur. Cette menace, Binswanger l’appelle présomption . La présomption survient au moment où la proportion se rompt entre l’horizontal et le vertical, l’ample et le haut, au moment où la hauteur devient une sorte d’abîme qui attire et emporte celui qui monte, jusqu’au point où il s’effondre dans le vide. La passion de la forme pure peut en venir à oublier la vie.
L’art est une voie de la réalisation de soi pour autant qu’il sait être, non une négation, mais une catharsis de la vie.

La phénoménologie possède désormais une histoire, son histoire, qui n’est peut-être pas achevée et qui obéit à sa logique interne. Celle-ci préside à son déroulement : on peut affirmer que le développement de la phénoménologie consiste en grande partie dans le retournement de la postérité husserlienne contre le virage transcendantal que Husserl a donné à la phénoménologie. Si beaucoup de philosophes sont devenus phénoménologues à la lecture des Recherches logiques, la plupart se sont détournés de l’infléchissement idéaliste institué par Husserl, probablement dès 1903 , qui apparaissait déjà en 1907 dans L’idée de la phénoménologie , et qui est explicitement posé en 1913 lors de la publication des Ideen I .
Selon un apparent paradoxe ces penseurs n’ont pourtant pas abandonné leur foi phénoménologique. Si Husserl leur paraissait insuffisant il n’en allait pas de même pour la phénoménologie. Elle restait au contraire la vraie voie philosophique mais c’était précisément Husserl qui, à leurs yeux, l’avait trahie par l’institution de l’idéalisme transcendantal.