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L’Etat selon Carl Schmitt

Carl Schmitt a mauvaise réputation. Sa critique systématique du libéralisme, son apologie de l’Etat autoritaire, son adhésion au nazisme en mars 1933, son antisémitisme récurrent l’ont classé du côté des auteurs maudits. Certains disent qu’on a affaire à un idéologue et qu’il ne peut être étudié qu’à titre de document de l’histoire.
Il ne s’agit nullement de nier ou d’atténuer les orientations radicales et les options historiques condamnables de notre auteur. Toutefois nous ne pouvons suivre ceux qui veulent le réduire à un symptôme de l’histoire. Il faut bien admettre que Carl Schmitt est un véritable auteur et pas seulement un idéologue, à la manière de Rosenberg. Il a composé une œuvre substantielle dans laquelle il pose les questions fondamentales du politique : Qu’est-ce que l’Etat ? Qu’est-ce que la souveraineté ? Qu’est-ce que la démocratie ? Qu’est-ce que la loi ? Quel est le rapport entre le droit et la force ? Comment maîtriser la violence guerrière ? Quel est le destin des peuples dans l’histoire ? Et pour répondre à ces questions il a élaboré un certain nombre de concepts qui sont devenus des outils communs de l’analyse politique : décisionnisme, état d’exception, désignation de l’ennemi, dictature commissariale et souveraine, identité et représentation, prime du pouvoir légal, compromis dilatoire, légalité et légitimité, puissance indirecte, grand espace, théologie politique, etc. Nombreux sont ceux qui ont pensé à l’occasion de Carl Schmitt et ont discuté avec lui en le prenant au sérieux.

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L’Etat ou la modernité politique en question

Régulièrement le débat politique se concentre sur la question de l’Etat. On entend dire qu’il faut restaurer l’autorité de l’Etat, lui rendre toutes ses prérogatives — quand d’autres annoncent la mort de l’Etat ou souhaitent sa fin. La cristallisation du discours politique sur la question de l’Etat révèle à elle seule la crise que traverse l’Etat (crise de l’Etat de droit au plan juridico-politique, crise de l’Etat-Providence au plan économico-social, crise de l’Etat-Nation au plan politique et économique de l’histoire mondiale).

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Souveraineté de l’Etat ou souveraineté du peuple?

L’Etat désigne une structure du vivre-ensemble dont la nature est indivisiblement historique et rationnelle.
Historique d’abord au sens où l’Etat, ou plus précisément l’Etat moderne, la forme moderne de la condition politique, a une origine qui peut être plus ou moins approximativement repérée par l’apparition du terme même d’Etat. L’Etat moderne, écrit Lucien Fèvre, est « un organisme qui aux hommes du 16e siècle apparut assez neuf pour qu’ils sentissent le besoin de le doter d’un nom, que les peuples de la même époque se repassèrent aussitôt l’un à l’autre » (Encyclopédie française, article « L’Etat »). Il faut en effet attendre la Renaissance pour que le terme Etat, orthographié avec une majuscule, prenne le sens politique que nous lui donnons aujourd’hui et qui appartenait jusqu’alors à des termes tels que polis, civitas ou res publica. Machiavel écrit au début du Prince : « Tous les Etats, toutes les seigneuries qui eurent et ont commandement sur les hommes furent ou sont ou républiques ou principautés ».

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Commentaire du livre IV des Politiques

On a longtemps parlé de la Politique d’Aristote. Les éditions récentes rétablissent le titre ancien, Les politiques, ce qui peut s’autoriser de deux raisons principales. La première c’est que c’est ainsi qu’Aristote cite son propre texte (et qu’il cite souvent ses propres œuvres). Mais surtout comme dit Pellegrin dans son introduction de l’édition GF, « le pluriel rend mieux la réalité d’un “traité” irréductiblement divers » (p. 5). De fait, on peut légitimement se demander si Les politiques forment un traité sur la politique ou une série de traités plus ou moins indépendants, si ce “traité” est celui d’Aristote ou plutôt davantage celui d’un éditeur ou des éditeurs d’Aristote. Dès lors s’impose immédiatement la question de savoir comment lire Les politiques.

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Vie, Multitude, Evénement – Agamben, Negri, Badiou

vignette-vie-multitude.gif Si on a choisi ici la série conceptuelle vie-multitude-événement pour parler de la pensée du politique aujourd’hui, c’est
parce que chacun de ces termes renvoie à une tentative originale
pour refonder le politique après avoir déconstruit les présupposés
du libéralisme comme philosophie implicite des démocraties modernes.
Pourquoi choisir de parler d’auteurs comme Agamben,
Badiou ou Negri et non pas de Rawls, Gauchet, Manent lorsqu’on
veut parler philosophiquement de politique ? Indépendamment de
tout engagement partisan, il s’agit de voir ce qu’a de radical la pensée
de ces trois auteurs pour penser une nouvelle figure du politique
irréductible à ses définitions habituelles. Ce qui nous intéresse ici
c’est la critique illibérale du politique alors que des auteurs comme
Pierre Manent ou Marcel Gauchet permettraient de comprendre la portée d’une critique du politique au sein du libéralisme, c’est-à-dire
en acceptant les catégories de la démocratie représentative
comme forme politique irrécusable. On envisage ici un autre pan
de la pensée philosophique du politique : ce qu’on appellera la
pensée illibérale du politique plutôt que la pensée antidémocratique
qui prêterait le flanc à la polémique plutôt qu’à l’analyse. Depuis
Platon, la philosophie entretient des liens tumultueux avec la démocratie,
et si la disjonction du politique et de la philosophie n’est pas une simple séparation, plutôt un dialogue difficile, la particularité
des trois penseurs est d’avoir pour point commun la critique
de la démocratie et de l’Etat de droit. C’est aller à contre-courant,
semble-t-il, que de s’en prendre à eux. De façon claire, leur objectif
n’est pas de consolider les démocraties contemporaines en imaginant
des dispositifs réformistes destinés à corriger certains défauts,
à atténuer certains excès comme le font les « partis de gouvernement
» dans les Etats actuels – mais dire qu’ils sont antidémocrates
aurait ceci d’équivoque que l’antidémocratisme est un terme trop
vague pour restituer l’intérêt de leur démarche. On parlera donc à
leur sujet d’illibéralisme pour qualifier leur projet commun de dépassement des modes de penser du libéralisme politique : la philosophie
des droits de l’homme et de l’Etat de droit,
l’institutionnalisation du libéralisme sous la forme de dispositifs
juridico-politiques destinés à faire prévaloir le droit comme système
normatif, l’autorégulation des sociétés humaines par une extension
de la gouvernance – rien de tout cela ne permet selon ces
trois auteurs de donner une pensée exacte du politique, son état (ce
qu’il est) et son devenir.

Ce qui rassemble ces trois penseurs est une critique radicale,
souvent féroce, du libéralisme comme philosophie spontanée des
démocraties occidentales au nom d’une autre pensée du politique.

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Sur quoi la politique fonde-t-elle son droit ?

Dans la mesure où ce qui est interrogé ici n’est ni une méthode, ni une
méthodologie du pouvoir politique (exécutif, législatif, judiciaire), ce n’est
pas une réflexion politique que nous nous proposons ici d’inaugurer, mais
une réflexion de philosophie politique. Or cette remarque introductive
contient plusieurs implications sur le sens du droit censé fonder la politique :

1. Une implication historique.

Si l’on considère tout d’abord la difficulté qu’il y a à considérer
l’existence d’un jusnaturalisme antique, nous pouvons souligner le
présupposé moderne du sujet. Le droit de la politique ne peut en effet
signifier l’expression d’une téléologie immanente, organique, et
inconsciente d’une nature censée se développer en cet être naturel qu’est
la communauté politique.1 Parce que la politique repose désormais sur
un droit, celle-ci épouse désormais la forme d’une extériorisation de la
rationalité d’une décision, d’une norme, ou d’une institution, dans
l’espace de la vie sociale des hommes.

2. Une implication transcendantale.

Les conditions de connaissance de ce droit échappent
nécessairement aux domaines suivants :
– Au logos de la nature, pour autant que lui fait défaut l’action
accomplie par intention consciente.
– A la rationalité juridique, qui désigne plutôt ce que le droit en
question est censé instituer ; car sinon, comme le prétendait Rousseau,
« il faudrait que les hommes fussent avant les lois ce qu’ils doivent
devenir par elles. » (Contrat Social, II, VII).
– A la rationalité morale enfin, pour autant que la morale est certes
susceptible de nous indiquer qu’il faut suivre le Bien, mais sans nous
garantir aucunement d’une position de ce Bien dans la société et dans
l’histoire.

3. Une implication épistémologique.

Ceci apparaît comme la conséquence de ce qui précède : parce
que le droit sur lequel est censé se fonder la politique n’est pas
simplement naturel, n’est pas simplement juridique, n’est pas
simplement moral, sa compréhension requiert une approche qui ne peut
relever ni de la téléologie de la nature, ni de la doctrine du droit, ni de la
doctrine de la vertu. La méthode qui s’impose ici relève de la science
philosophique du droit, susceptible d’interroger les conditions de
légitimité et de possibilité de ce que veulent les hommes pour et dans
leur société.

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La fin du politique

S’il y a une fin du politique, au sens d’une finalité, d’un but ultime qui lui confèrerait son sens, il est légitime d’envisager qu’il y en ait une fin, au sens d’une cessation définitive. Le politique, et la politique, disparaissant une fois leur mission historique accomplie, l’humanité peut passer à autre chose. Autre chose de plus intéressant que cette activité que Sartre définissait comme la lutte menée en commun par des hommes contre d’autres hommes. On peut avoir autre chose à faire, quand on est humain, que se battre contre d’autres humains, que ce combat mette aux prises des ennemis à abattre ou simplement des adversaires à défaire. Surtout quand on sait à quel point – je cite Alain – « la politique est une chose ennuyeuse, médiocre et laide ». Chose, ajoute-t-il, « dont il faut pourtant s’occuper, comme de tant d’autres choses ennuyeuses, médiocres et laides » (Dédicace à Henri Mondor).
Qu’on définisse la politique comme une lutte d’hommes contre d’autres hommes, ou simplement comme la conduite des affaires de la cité, il semble que le politique comme instance s’articule toujours à une institution : l’État, où s’accomplit la tâche de conduire les affaires publiques, et dont la conquête est l’enjeu de la lutte dont parle Sartre. Qu’il n’y ait plus d’État, et il n’y aura plus de politique. Or, la disparition de l’État est bien l’objet de deux politiques au moins : l’anarchiste et la communiste. La première visant sa suppression, la seconde travaillant, par-delà sa conquête, à son dépérissement.

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Un peuple peut-il être souverain ?

La notion de souveraineté populaire est un lieu commun de la philosophie politique moderne. L’on n’entend pas par là une hégémonie, soit la domination qu’un peuple acquiert sur un autre par voie de conquête. La notion caractérise bien plutôt pour nous ce que nous appelons la démocratie, et constitue la raison pour laquelle nous considérons ce régime comme le plus universellement souhaitable d’un point de vue politique. Marx allait jusqu’à déclarer que « la démocratie est l’essence de toute constitution politique » , ce qui paraît bien signifier qu’en dépit d’apparences souvent opposées, il n’est pas de vie politique dans laquelle le peuple (démos) – non pas au sens de la classe populaire, mais comme ensemble des citoyens – n’exerce un certain pouvoir (kratos) : comme écrit Tite Live, « la force de tout pouvoir réside dans le consentement de ceux qui lui obéissent ». Pour autant, on peut éprouver quelque difficulté à admettre qu’un tel pouvoir soit une souveraineté. L’expression souveraineté populaire apparaît bien comme le transfert à la collectivité des citoyens de ce qui était antérieurement la prérogative d’un monarque, dont les autres individus étaient les sujets. La question est de savoir si ce transfert pourrait être mieux que purement verbal, et ne pas dissimuler sous des mots une absence de conception cohérente : s’il est clair qu’un roi exerce son pouvoir souverain sur l’en¬semble de ses sujets, en commandant et en obtenant leur obéissance, il l’est beaucoup moins qu’un tel ensemble puisse exercer le même pouvoir sur lui-même, c’est-à-dire être à la fois souverain et sujet, commandant et obéissant. Que des peuples soient assujettis au point d’être dépourvus de toute souveraineté est un fait patent, mais le problème n’est pas tant de savoir s’ils ont des moyens réels de la conquérir : il est plutôt de savoir s’il y a un sens à vouloir, c’est-à-dire d’abord à penser qu’un peuple puisse être souverain de lui-même, étant le seul objet possible de sa supposée souveraineté.

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La place du Prince dans l’œuvre de Machiavel

Dans La vie de Castruccio Castracani da Lucca, Machiavel trace le portrait et relate les hauts faits d’un petit tyranneau de la Toscane du XIV° siècle. Le portrait est enjolivé, la biographie est romancée, suffisamment du moins pour que Castruccio Castracani puisse incarner, par sa virtù, le prince idéal que Machiavel appelait de ses vœux pour l’Italie. De la manière la plus traditionnelle, Machiavel assaisonne cette Vie de Castruccio Castracani da Lucca de quelques bons mots qu’on lui attribuait. Dont celui-ci (937) :
« Il disait à un homme qui se donnait pour philosophe : « Vous autres, messieurs, vous ressemblez aux chiens qui s’attachent à ceux qui leur donnent le plus à manger » ».
Machiavel ne parle pour ainsi dire jamais de la philosophie. Raison de plus pour s’attarder sur un tel propos, surtout lorsqu’il est attribué à un homme dont Machiavel fait un portrait aussi flatteur. Ces philosophes, que fustige Castruccio, ne sont même pas, comme chez Nizan, des « chiens de garde », qui seraient au moins capables de mordre. Ce sont des chiens d’agrément, qui portent témoignage de l’amollissement des mœurs.