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Le doute de Cézanne. Réflexions sur le paradoxe de l’œuvre de culture

Cézanne a souvent exprimé les difficultés, les tourments accompa-gnant son travail de peintre, comme le rappellent les premières lignes du texte.
En outre son œuvre a commencé par surprendre, choquer, susciter des critiques très négatives. Cette réception négative, ces difficultés ont conduit Cézanne, ses amis, ses contemporains à s’interroger sur le sens de son effort et la valeur du résultat.

Deux manières se sont présentées de rendre compte de l’originalité de cette œuvre et de ce qui a pu, à une certaine époque, passer pour son « échec ». L’originalité, l’échec seraient dus :
– soit aux aléas de la vie, une maladie, une constitution schizoïde – hypothèse qui est, selon Merleau-Ponty, vaine plutôt que fausse car si elle fait connaître quelque chose de l’œuvre (ce que Merleau-Ponty n’exclut pas), elle n’en fait pas connaître « le sens positif »
– soit au « paradoxe » du projet pictural : « rechercher la réalité sans quitter la sensation » ou, selon E. Bernard (qui fait de ce paradoxe une contradiction destructrice), viser la réalité en s’interdisant les moyens de l’atteindre.

Merleau-Ponty va travailler, critiquer ces deux manières de comprendre la peinture de Cézanne, dans l’ordre inverse où il les a présentées : il s’explique d’abord avec l’affirmation selon laquelle il y aurait une contradic-tion dans le projet pictural puis il traite du rapport entre l’œuvre et la vie. Cette seconde partie commence par : « Ainsi les “hérédités”, les “influences”, – les accidents de Cézanne – sont le texte que la nature et l’histoire lui ont donné pour sa part à déchiffrer… ».

Je ne commenterai pas cette seconde partie où il est moins question de Cézanne que de Léonard de Vinci (et de lecture freudienne de l’œuvre d’art), je travaillerai surtout autour du « paradoxe » de l’œuvre de Cézanne, tout en revenant, à la fin, sur le rapport entre les difficultés de l’œuvre et les nœuds de la vie.

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La logique et la vérité

Nous signalons et mettons à disposition ici avec l’accord de l’auteur, un article publié dans la revue L’Ouvert (n°109, 2004), disponible sur le site de L’IREM de strasbourg :
Cliquez ici pour vous rendre sur le site de l’IREM

D’après la définition traditionnelle, la vérité est « la conformité de la pensée avec l’objet »
(Descartes à Mersenne, lettre du 16 octobre 1639) ; elle « consiste dans l’accord de la
connaissance avec l’objet » (Kant, Logique, Introduction, VII). Cette définition viendrait
d’Aristote, Métaphysique Δ, 29 et Θ, 10, et dans la terminologie scolastique on parle
d’« adaequatio ». Dans une terminologie plus commune on parle d’exactitude : un
jugement, une représentation sont vrais s’ils sont exacts. Par exemple, « il pleut » est
vrai s’il est exact qu’il pleut, c’est-à-dire si l’on peut vérifier et constater qu’il en est bien
ainsi.
Si l’on s’en tient à cette définition traditionnelle, la logique devrait éliminer toute
considération de la vérité. La logique concerne en effet « l’entendement abstraction faite de la
diversité des objets auxquels il peut être appliqué » (Kant, Critique de la raison pure, 2ème partie,
Introduction). C’est ce qui fait dire que la logique est formelle. En effet, il n’y est pas
question de jugements ou de raisonnements qu’il faudrait vérifier pour en établir
l’exactitude en s’assurant qu’ils sont bien conformes à des faits que l’on peut constater.
La logique ne s’intéresserait pas au contenu des propositions ; elle ne s’intéresserait
donc pas à la question de savoir si ce qu’elles disent est vrai.
Aristote semble bien avoir procédé de cette façon lorsqu’il a présenté dans les
Premiers Analytiques « l’art syllogistique » de lier déductivement des propositions et de tirer
des conclusions. Il le présente en effet comme un art mis en oeuvre dans tout discours
quelle que soit la nature des choses sur lesquelles on raisonne. A ce titre, l’Analytique
n’est la « science d’aucun objet déterminé, c’est pourquoi elle se rapporte à toute chose ». Elle fait
abstraction, dans le discours, de ce que l’on dit pour ne retenir que les formes et les
modes des énonciations en tant que telles. Lorsque, par exemple, nous parlons de
Socrate pour dire qu’il est mortel, le logicien s’empresse d’éliminer le contenu de la
proposition en substituant des lettres aux mots pour ne retenir que la forme attributive
S est P, de sorte que pour lui, la question n’est pas de savoir s’il est vrai ou non que
Socrate est mortel mais de savoir comment une proposition de cette forme peut être
correctement déduite d’une autre proposition, c’est-à-dire « par un raisonnement qui conclut
par la forme de la forme », comme disait Leibniz (Nouveaux Essais, IV, 17).

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Perspectives critiques sur le concept scientifique de nature

Les bouleversements conceptuels introduits dans les sciences de la nature, depuis la révolution opérée au dix-septième siècle, pourraient fort bien se mesurer à l’aune d’une incertitude radicale : à la base des concepts et théories scientifiques, il y a désormais des indécisions. Ainsi, que l’espace soit absolu (Newton) ou relatif (Leibniz), cela n’empêche pas la mécanique d’être newtonienne ; il en va de même pour le temps. Par-delà ce couple de l’absolu et du relatif, on pourrait poursuivre les exemples et voir que les sciences exactes ont progressé tout en multipliant les indécisions, comme celles qui portent sur le continu et le discontinu, le fini et l’infini, le local et le global, etc. Ces indécisions ont la particularité de n’être pas préjudiciables au contenu et au développement des théories proprement dites ; elles relèvent des « fondements ». Tel est l’un des plus intrigants parmi les paradoxes de la science moderne, que le progrès de cette science conduit petit à petit à une dissociation entre son fondement et son contenu, comme si la science n’avait de compte à rendre qu’à elle-même. Indifférente à son origine, la science se soucie seulement de son but, qui est de trouver l’unité entre toutes les lois de la nature. Ainsi Newton, vers la fin de la préface de ses Principes mathématiques de la philosophie naturelle, affirmait-il que la synthèse conceptuelle effectuée en mécanique pour intégrer les phénomènes d’attraction et de gravitation pourrait peut-être, suivant un schéma identique, s’étendre à l’avenir à d’autres ordres de phénomènes.

Toutefois la progression vers l’unité des lois n’a rien de calme. Réfléchissant sur les leçons à tirer des développements révolutionnaires de la physique au vingtième siècle, le grand physicien Werner Heisenberg a montré que les modèles conceptuels de solution définitive n’existent que pour des domaines d’expérience limités ; une grande erreur de la physique moderne aura justement été de croire que le modèle fourni par la mécanique newtonienne pouvait s’appliquer à tous les domaines, comme celui de l’expérience sub-atomique. Nostalgique d’une réflexion sur les fondements, la philosophie peut même pousser un cri d’alarme, qui avait déjà été émis en son temps par Hegel. Selon Hegel, tout le mouvement d’idées vers la loi unique de la nature est un mouvement d’appauvrissement. Supposons en effet que la vérité réside dans l’unité universelle considérée en elle-même. La loi newtonienne de la gravitation universelle résulte de la coïncidence de deux lois déterminées : la loi de la chute des corps (Galilée) et les lois empiriques du mouvement planétaire (Kepler). Mais au lieu de comprendre l’unité de ces deux lois déterminées, dans la soi-disant unité supérieure chacune perd sa déterminabilité propre. Au lieu d’exprimer les deux lois simultanément, la loi unique de gravitation universelle se place au-dessus de chacune d’elles, de sorte que son vrai contenu (qui est le phénomène ou la chose sensible) n’est pas différent de sa forme. La loi supérieure d’unification ne procure tout au plus qu’un concept de la loi, un concept qui cependant a la particularité de passer auprès de l’esprit scientifique comme l’être lui-même. Il faudrait trouver une puissance cognitive qui tourne le concept de la loi contre la loi, à défaut de quoi la soi-disant unité supérieure n’indiquera jamais qu’un appauvrissement vis-à-vis du vrai contenu de la nature. Tant qu’elle s’en tient à son projet de connaissance de la chose sensible, la science se détourne en fait de son but, au moment même où elle croit s’en approcher…

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Malraux et Goya : Saturne, le destin, l’art et Goya

Lorsque Malraux entreprend d’écrire sur Goya (Saturne), comme lorsqu’il entreprend d’écrire sur Picasso (La Tête d’obsidienne), il est confronté à l’une des apories majeures de la réflexion sur l’art : comment analyser une œuvre dans son enracinement à la fois historique et psychologique sans pour autant réduire cette œuvre à ces données qui demeurent, comme telles, incapables de rendre compte d’une création ? C’est donc bien, d’un point de vue thématique, le statut de la création artistique qui est en jeu, et c’est, d’un même mouvement, la méthode même de Malraux qui est à l’œuvre. L’étude de Saturne se révèle donc doublement riche d’enseignements : d’un point de vue doctrinal d’abord, puisque c’est toute la conception malrucienne de la création artistique qui est ici esquissée (avec une précision qui permet d’entrevoir les grandes synthèses ultérieures), d’un point de vue méthodologique ensuite, puisque c’est le projet malrucien d’une biographie d’artiste qui s’expose ainsi d’une manière remarquable.

Le livre est contemporain, dans sa première version (publiée en 1950 sous le titre : Saturne), des Voix du silence (1951) – et notamment de la troisième partie, , d’abord parue dans la Psychologie de l’art en 1948. On se permettra donc de renvoyer à ce texte fondamental pour éclairer certaines analyses de Malraux, et mettre ainsi en évidence l’unité de la pensée malrucienne de l’art.

On commencera par un bref commentaire de la note liminaire écrite en 1975, vingt-cinq ans après la première édition, puis on s’efforcera de dégager la structure du livre dans ses moments extrêmes : d’abord le premier chapitre (Préliminaires), puis le dernier chapitre dans lequel Goya apparaît comme le précurseur immédiat de la peinture moderne, avec une double référence à Manet et à Picasso. Entre ces deux extrêmes, la gravure apparaîtra comme une médiation essentielle. On sait en effet que, même d’un point de vue purement quantitatif, la relation peinture/gravure s’inverse entre première et la dernière période de la vie de Goya : si cette relation est, au début, de un cinquième au profit de la peinture, elle sera, à la fin, de un cinquième au profit de la gravure. Le premier paradoxe dont il faudra rendre compte, c’est que cette prévalence de la gravure annonce la peinture moderne. Mais un paradoxe plus fondamental encore traverse Saturne : c’est que si toute l’œuvre de Goya annonce la peinture moderne, elle n’en demeure pas moins reliée à l’art le plus archaïque, au sacré. Cette permanence du surnaturel au sein même d’une œuvre qui annonce l’intemporel ne doit pas seulement nous permettre de mieux comprendre Goya : elle nous livre un accès privilégié à une plus juste appréhension de l’intemporel lui-même.

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L’esthétique en questions

Il y a une actualité philosophique de l’esthétique. Mais les débats sur les questions esthétiques paraissent partagés entre un renouveau de l’esthétique par la philosophie analytique – dont la sobriété argumentative, la clarté des thèses plaident, selon ses auteurs et ses défenseurs, en faveur de son « sérieux scientifique », à la fois contre l’éloquence d’une certaine tradition phénoménologique et contre l’adhésion quasi-religieuse à l’art par les désenchantés de la politique et les « célibataires » de la métaphysique – et une réactivation du sens de l’esthétique qui, dépassant le point de vue descriptif, s’attache à ce qu’il y a de négatif ou d’irréductible dans l’expérience de la beauté et de l’œuvre d’art.

C’est sans doute au contact de l’art du XXè s., que l’esthétique philosophique a regagné en vitalité, que ce soit pour assumer, critiquer le projet de la modernité, ou plus modestement, pour appliquer à l’art la rigueur d’une analyse logique du langage. L’esthétique est en question dans la philosophie parce qu’il en est question dans l’art. A l’origine de ce qui pourrait apparaître, si l’on jugeait trop vite, comme une crise ou une déroute de l’esthétique, il y aurait le geste ironique opéré par le ready made de Duchamp : celui de présenter en tant qu’art un objet trivial, choisi précisément pour son indifférence esthétique , qui désamorce toute possibilité de discerner l’œuvre de l’objet réel. De ce que l’art n’est plus affaire d’expression et de représentation, ce serait conclure bien vite que de proclamer la mort de l’esthétique. Il s’agit bien plutôt d’en réviser les conditions et le sens aujourd’hui. Si l’art se produit comme sa propre mise en question (l’art en tant que question de l’art), l’esthétique ne peut plus aveuglément célébrer l’œuvre et la beauté, ni affirmer la présence souveraine d’un contenu de vérité.

Faut-il dire aborder l’esthétique sur le mode de la nostalgie, devant la perte des évidences, ou tout simplement lui dire « adieu », renoncer sinon à l’approche esthétique de l’art, du moins aux questions et aux concepts de l’esthétique traditionnelle ? Toute décision engage la construction de ce que signifie le terme d’esthétique. Au bout du compte, n’est-ce pas l’esthétique qui est inappropriable et qui dépasse les limites de son concept ?

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L’art donne-t-il nécessairement lieu à des œuvres ?

L’art est la provenance de l’œuvre, l’œuvre est l’ouvrage de l’art. Que serait une œuvre qui ne serait pas le produit de l’art, et que serait l’art, ou un art, qui ne produirait pas d’œuvres ? L’art et l’œuvre existent l’un par l’autre. L’œuvre manifeste l’art, l’art est la condition nécessaire de l’œuvre. Voilà qui est incontestable. Mais pour autant l’art est-il la condition suffisante de l’œuvre ? Une œuvre, pour prétendre au statut artistique, ne doit-elle pas en outre répondre à certains critères esthétiques, consister en un objet esthétique, ce qui tendrait à suggérer que l’art ne peut se réduire à une simple activité productrice, mais qu’il est aussi une activité normée par des valeurs ? L’art ne peut produire que des œuvres mais non pas nécessairement des œuvres de qualité. Parler d’œuvre d’art ne va donc pas de soi. C’est une expression composée, et il s’agit moins d’une notion que d’un jugement, qui peut s’entendre en deux sens : œuvre faite avec art – l’art est la manière de l’œuvre, et l’on confond sous une même expression un concept descriptif et une évaluation – ou œuvre faite à partir de l’art – l’art est l’origine de l’œuvre. Le concept d’œuvre d’art est donc problématique en lui-même et c’est bien ce que notre sujet formule, à sa façon, sous la forme d’un paradoxe : l’art donne-t-il lieu nécessairement à des œuvres ?

L’expression verbale “donner lieu” est ambiguë, à dessein semble-t-il. Elle assume le présupposé qui constitue la notion d’œuvre d’art. Elle donne à penser à la fois que l’art est le lieu d’où l’œuvre est tirée, que c’est à partir de lui qu’elle existe effectivement, qu’il n’y a pas d’œuvre sans art, mais qu’aussi bien l’œuvre est le lieu où l’art vient à lui-même, où il se réalise comme chose dans le monde. L’œuvre provient de l’art mais l’art a en vue l’œuvre comme l’événement par lequel il advient à son essence. Ce qui “a lieu” dans l’œuvre d’art n’est rien d’autre qu’un échange d’effectivité entre l’art et l’œuvre. L’œuvre d’art est le lieu même de cet échange.

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L’art – Parcours bibliographique

Ce travail n’a aucune prétention d’exhaustivité. Il entend simplement élaborer la question philosophique de l’art à travers un parcours bibliographique, en s’efforçant d’articuler la philosophie à l’histoire de l’art et à l’horizon, pratique et théorique, du fait social de l’art aujourd’hui.

Si la question «qu’est-ce que l’art ?» constitue l’objet formel de toute réflexion philosophique sur l’art, elle contient aussi tous les problèmes d’une philosophie de l’art. A quelles conditions l’art peut-il devenir l’objet d’un discours conceptuel ? Toute théorie philosophique sur l’art prend-elle nécessairement la forme de la philosophie de l’art, telle qu’elle a été initiée par Platon, en soumettant l’art au problème de la vérité (L’art en vérité) ? A moins que l’esthétique ne représente l’alternative à toute philosophie de l’art, en affranchissant l’art de ce rapport à la vérité qui lui est extérieur (L’esthétique ou l’autonomie de l’art et de la philosophie de l’art), fondant son autonomie sur un double processus de subjectivisation (création/réception de l’œuvre). Finalement l’œuvre d’art constituerait l’occasion d’un autre rapport au monde, qui laisse advenir pour elle-même la manifestation sensible de l’être (la vérité «phénoménologique» de l’art).
Pourtant ne faut-il pas traiter comme deux questions distinctes, la question de l’identité de l’art ou de l’œuvre d’art (jugement logique) et celle de la valeur de la beauté ou de l’objet esthétique ? La «dé-définition de l’art» ou l’incertitude de la relation esthétique introduits par l’art moderne et contemporain, obligent peut-être à suivre l’esthétique analytique dans cette voie (Définir l’art : la différence de l’esthétique analytique).

Mais n’est-il pas erroné de parler de l’art en général ? Car le problème d’une philosophie de l’art serait moins son opposition à l’altérité de l’art, que la prise en compte de la diversité factuelle des arts. Or si les beaux-arts sont irréductibles aux arts techniques (La différence artistique) et tous les arts aux beaux-arts, comment envisager un système des arts, sans privilégier une expression artistique sur les autres, hiérarchiser arbitrairement entre arts majeurs et arts mineurs (Système de l’art, classification des arts : arts majeurs, arts mineurs) et reconduire la mépris «esthétique», contradictoire avec la pratique sociale, des arts appliqués (Les arts appliqués) ? L’histoire moderne de l’art en tant qu’elle affirme les droits de l’objet contre la justification esthétique de sa simple représentation, soit que l’art s’approprie l’objet, même le plus vil et le plus provoquant (Ready-made), soit que l’objet rencontre l’art et devienne, par là, pleinement signifiant (Design), disqualifie toute espèce de systématisation et de classification. L’art ne peut être réservé à la seule création artistique : l’innovation en matière d’espaces, de formes, d’objets ou d’images, qui informent toute la vie de l’individu, demande à être reconnue comme une forme authentique de créativité et implique, en retour, l’art dans le procès effectif de la production et de la consommation…

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Vie, Multitude, Evénement – Agamben, Negri, Badiou

vignette-vie-multitude.gif Si on a choisi ici la série conceptuelle vie-multitude-événement pour parler de la pensée du politique aujourd’hui, c’est
parce que chacun de ces termes renvoie à une tentative originale
pour refonder le politique après avoir déconstruit les présupposés
du libéralisme comme philosophie implicite des démocraties modernes.
Pourquoi choisir de parler d’auteurs comme Agamben,
Badiou ou Negri et non pas de Rawls, Gauchet, Manent lorsqu’on
veut parler philosophiquement de politique ? Indépendamment de
tout engagement partisan, il s’agit de voir ce qu’a de radical la pensée
de ces trois auteurs pour penser une nouvelle figure du politique
irréductible à ses définitions habituelles. Ce qui nous intéresse ici
c’est la critique illibérale du politique alors que des auteurs comme
Pierre Manent ou Marcel Gauchet permettraient de comprendre la portée d’une critique du politique au sein du libéralisme, c’est-à-dire
en acceptant les catégories de la démocratie représentative
comme forme politique irrécusable. On envisage ici un autre pan
de la pensée philosophique du politique : ce qu’on appellera la
pensée illibérale du politique plutôt que la pensée antidémocratique
qui prêterait le flanc à la polémique plutôt qu’à l’analyse. Depuis
Platon, la philosophie entretient des liens tumultueux avec la démocratie,
et si la disjonction du politique et de la philosophie n’est pas une simple séparation, plutôt un dialogue difficile, la particularité
des trois penseurs est d’avoir pour point commun la critique
de la démocratie et de l’Etat de droit. C’est aller à contre-courant,
semble-t-il, que de s’en prendre à eux. De façon claire, leur objectif
n’est pas de consolider les démocraties contemporaines en imaginant
des dispositifs réformistes destinés à corriger certains défauts,
à atténuer certains excès comme le font les « partis de gouvernement
» dans les Etats actuels – mais dire qu’ils sont antidémocrates
aurait ceci d’équivoque que l’antidémocratisme est un terme trop
vague pour restituer l’intérêt de leur démarche. On parlera donc à
leur sujet d’illibéralisme pour qualifier leur projet commun de dépassement des modes de penser du libéralisme politique : la philosophie
des droits de l’homme et de l’Etat de droit,
l’institutionnalisation du libéralisme sous la forme de dispositifs
juridico-politiques destinés à faire prévaloir le droit comme système
normatif, l’autorégulation des sociétés humaines par une extension
de la gouvernance – rien de tout cela ne permet selon ces
trois auteurs de donner une pensée exacte du politique, son état (ce
qu’il est) et son devenir.

Ce qui rassemble ces trois penseurs est une critique radicale,
souvent féroce, du libéralisme comme philosophie spontanée des
démocraties occidentales au nom d’une autre pensée du politique.

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Sur quoi la politique fonde-t-elle son droit ?

Dans la mesure où ce qui est interrogé ici n’est ni une méthode, ni une
méthodologie du pouvoir politique (exécutif, législatif, judiciaire), ce n’est
pas une réflexion politique que nous nous proposons ici d’inaugurer, mais
une réflexion de philosophie politique. Or cette remarque introductive
contient plusieurs implications sur le sens du droit censé fonder la politique :

1. Une implication historique.

Si l’on considère tout d’abord la difficulté qu’il y a à considérer
l’existence d’un jusnaturalisme antique, nous pouvons souligner le
présupposé moderne du sujet. Le droit de la politique ne peut en effet
signifier l’expression d’une téléologie immanente, organique, et
inconsciente d’une nature censée se développer en cet être naturel qu’est
la communauté politique.1 Parce que la politique repose désormais sur
un droit, celle-ci épouse désormais la forme d’une extériorisation de la
rationalité d’une décision, d’une norme, ou d’une institution, dans
l’espace de la vie sociale des hommes.

2. Une implication transcendantale.

Les conditions de connaissance de ce droit échappent
nécessairement aux domaines suivants :
– Au logos de la nature, pour autant que lui fait défaut l’action
accomplie par intention consciente.
– A la rationalité juridique, qui désigne plutôt ce que le droit en
question est censé instituer ; car sinon, comme le prétendait Rousseau,
« il faudrait que les hommes fussent avant les lois ce qu’ils doivent
devenir par elles. » (Contrat Social, II, VII).
– A la rationalité morale enfin, pour autant que la morale est certes
susceptible de nous indiquer qu’il faut suivre le Bien, mais sans nous
garantir aucunement d’une position de ce Bien dans la société et dans
l’histoire.

3. Une implication épistémologique.

Ceci apparaît comme la conséquence de ce qui précède : parce
que le droit sur lequel est censé se fonder la politique n’est pas
simplement naturel, n’est pas simplement juridique, n’est pas
simplement moral, sa compréhension requiert une approche qui ne peut
relever ni de la téléologie de la nature, ni de la doctrine du droit, ni de la
doctrine de la vertu. La méthode qui s’impose ici relève de la science
philosophique du droit, susceptible d’interroger les conditions de
légitimité et de possibilité de ce que veulent les hommes pour et dans
leur société.

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Parcours bibliographique autour de la notion d’individu

Le parcours bibliographique qui suit n’a pas été conçu comme une bibliographie complète, et qui viserait l’exhaustivité, ni même comme une bibliographie réduite qui resterait représentative des aspects essentiels et des travaux significatifs qui concernent la notion d’individu. Il privilégie plutôt certains « angles d’attaque », par exemple la notion d’individuation, la différence entre individu et personne, la question de la représentation. Mais il ne donne ainsi qu’une vision partielle de la notion, d’autant que l’absence remarquable de certaines références, quand elle ne tient pas à ce choix, doit être comprise comme la manifestation regrettable des lacunes de son rédacteur.