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La place du Prince dans l’œuvre de Machiavel

Dans La vie de Castruccio Castracani da Lucca, Machiavel trace le portrait et relate les hauts faits d’un petit tyranneau de la Toscane du XIV° siècle. Le portrait est enjolivé, la biographie est romancée, suffisamment du moins pour que Castruccio Castracani puisse incarner, par sa virtù, le prince idéal que Machiavel appelait de ses vœux pour l’Italie. De la manière la plus traditionnelle, Machiavel assaisonne cette Vie de Castruccio Castracani da Lucca de quelques bons mots qu’on lui attribuait. Dont celui-ci (937) :
« Il disait à un homme qui se donnait pour philosophe : « Vous autres, messieurs, vous ressemblez aux chiens qui s’attachent à ceux qui leur donnent le plus à manger » ».
Machiavel ne parle pour ainsi dire jamais de la philosophie. Raison de plus pour s’attarder sur un tel propos, surtout lorsqu’il est attribué à un homme dont Machiavel fait un portrait aussi flatteur. Ces philosophes, que fustige Castruccio, ne sont même pas, comme chez Nizan, des « chiens de garde », qui seraient au moins capables de mordre. Ce sont des chiens d’agrément, qui portent témoignage de l’amollissement des mœurs.

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Définir, décrire, classer chez Aristote : des opérations propédeutiques à la connaissance scientifique des choses

Définir, décrire, classer – cela suffit-il pour connaître les choses ? Le plus notable de prime abord dans cette liste de trois opérations de pensée, c’est moins leur profusion, qui dissémine certes la connaissance des choses en de multiples actes, que la restriction que cette liste impose. Non seulement la trinité ainsi constituée représente une coupe drastique dans la diversité des actes par lesquels on a pu décrire l’accomplissement d’une connaissance des choses – percevoir, intuitionner, sentir, juger, déduire, induire, expliquer, rendre raison, démontrer, prouver, manifester, dévoiler, diviser, rassembler, etc. – , mais, plus encore, on peine à saisir la raison qui anime un tel partage, le lien intime qui unit ces trois opérations et justifie qu’on les isole de toutes les autres – au risque que cet isolement et que ce regroupement ne manifestent que leur arbitraire.
Ou c’est peut-être, plus qu’un lien intrinsèque, une raison strictement négative qui pourrait donner un fondement à ce regroupement – comme si l’on se concentrait sur les opérations auquel on se donne encore droit quand toutes les autres sont apparues trop ambitieuses. Le plus frappant dans cette triade, c’est en effet l’omission du type d’opération par rapport auquel ces trois-ci n’ont été, pour les fondateurs de la philosophie, que des opérations adjuvantes ou préparatoires. Pour Platon en effet comme pour Aristote, connaître les choses, c’est les expliquer, en rendre raison en les rapportant à leur cause, pouvoir dire « pourquoi » elles sont comme elles sont. Et c’est par rapport à cette opération que définir, décrire ou classer peut s’avérer utile ou nécessaire, mais de manière seulement subordonnée.

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Une introduction à la métaphysique : raison et existence

Qu’est-ce donc que la métaphysique ? Ici le paradoxe veut qu’introduire à la métaphysique soit d’emblée réfléchir à sa définition, et que la recherche de la définition soit une interminable introduction. A l’égard de la métaphysique, on ne pourrait jamais faire autre chose qu’introduire… Introduire à la métaphysique n’est pas un préalable, mais le style propre de la pensée métaphysique. Toute l’histoire de la métaphysique est l’histoire d’une introduction…
On peut encore formuler autrement le paradoxe : la métaphysique a rapport au fondement (fondement du savoir, connaissance des principes…) mais le fondement se dérobe toujours. La métaphysique c’est l’exigence rationnelle du fondement de la science, mais la métaphysique n’en finit pas de ne pas pouvoir se fonder. L’entreprise peut donc paraître bien vaine : à quoi bon s’efforcer de poser ce qui ne peut s’atteindre ? Il est raisonnable de s’en tenir à ce qui peut être connu de manière certaine et rigoureuse (sciences), quand bien même le savoir ne reposerait pas sur des bases inébranlables. Les succès remportés en aval dans la connaissance des phénomènes compensent l’absence de fondement en amont. La science se fonde, pour ainsi dire, par ses conséquences, par son dynamisme, dans son mouvement même. C’est ce qu’on peut appeler la conception « positiviste » de la science qui est largement dominante aujourd’hui. D’un côté, les sciences (et les techniques) saisissent de mieux en mieux de plus en plus de phénomènes ; de l’autre, la métaphysique n’a pas encore produit le début d’une preuve de connaissance effective et l’enquête sur le fondement du savoir paraît une recherche inutile : elle n’apporte rien au progrès de la science.

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Condillac et la peinture

On sait que s’élabore, dès la fin du dix-septième siècle, et tout au long du dix-huitième, une mythologie du peintre (et aussi de son frère, parfois ennemi, l’écrivain) : figures héroïques, que les Lumières ont fait entrer dans l’Histoire, et qui, depuis, n’ont cessé de hanter nos idéologies. Ayant abordé ailleurs l’étude de ce champ, chez ceux que l’on peut appeler les critiques d’art, de Félibien à Diderot, je me demanderai ici quelles fonctions (sans exclure la symbolique) remplit chez Condillac la référence au peintre, à la toile, à la peinture, et en quoi elle éclaire sa conception du langage. Ce n’est pas sans espérer, en retour quelque lumière, sur tel énoncé de Diderot, celui, par exemple, du salon de 1765, où, ayant évoqué, à propos de Chardin, ces « philosophes » qui disent « qu’il n’y a rien de réel que nos sensations », l’écrivain s’exclame : « qu’ils m’apprennent, ces philosophes, quelle différence il y a pour eux, à quatre pieds de tes tableaux, entre le Créateur et toi ! » Que vient faire Condillac, indirectement désigné, dans cet amusant télescopage entre idéalisme et théologie? Assurément, il s’agit d’amener l’hyperbole Chardin-Créateur. Mais cette hyperbole, nous avons d’autant plus de raison de la prendre au sérieux que le terme de créateur est devenu, depuis, d’usage fort courant dans notre vocabulaire esthétique. Il y a peut-être quelque raison pour que Diderot, affronté au mystère Chardin, s’adresse à Condillac.

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L’image naturelle

J’entends dire que l’image est partout. Elle nous inonde, elle nous submerge. Sous le déluge des images, nous serions les naufragés de la pensée. Idolâtres et acéphales, voilà, me dit-on, ce que, par sa faute, nous sommes devenus.
Je réponds haut et clair : l’image n’est nulle part ; l’image n’est coupable de rien.
Qu’est-ce à dire ? D’abord, je pense que ce qui nous menace aujourd’hui, corps et âme, ce n’est pas l’image, mais sa disparition, son expulsion même. Ensuite, je prétends qu’une méditation véritable sur l’image conduit à ne la confondre avec aucune configuration du visible. Autrement dit, lorsqu’une image est devant nos yeux, elle ne s’impose pas pour autant au regard. Le visible la dissimule, mieux encore, l’image a élu le visible pour se dissimuler. Qu’on la conjure ou qu’on la convoque, l’image impose toujours une certaine économie de l’absence.
Cet article est repris d’une publication aux éditions Corti, dans la collection
Le nouveau commerce, 1995. Il est reproduit ici avec l’autorisation de l’auteur

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L’image entre reproduction et création

L’image relève d’un statut ambigu, du moins ambivalent : ou bien, avec elle, nous évoquons une image mentale, ou bien nous nous en tenons à une image physique (une photographie ou l’esquisse d’une chose). L’une tend à nous libérer du monde, quand l’autre nous y plonge.

Bien que désignées par le même terme, ces deux images diffèrent nettement, encore que la première ait parfois retenti sur la seconde et empêché des excès de naturalisme.

Nous retrouvons la même amphibologie avec l’imagination : l’imagination dite reproductrice équivaut à un simple redoublement du réel, alors que l’imagination créatrice nous découvre la réalité de l’irréel.
Gaston Bachelard, qui a parfois creusé l’écart entre ces deux imaginations, le reconnaît : « les recherches sur l’imagination sont troublées par la fausse lumière de l’étymologie » .

De son côté, Jean-Paul Sartre publie un ouvrage, L’imagination (en 1936), puis, en 1940, L’imaginaire. Il ne manque pas de reconnaître la dualité. Il ira d’ailleurs jusqu’à considérer que l’imagination ne consiste pas à engendrer des images mais consiste en une quasi-observation sur le mode de l’absence.

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Chardin et la nature morte : pouvoirs illégitimes ?

« Nature morte » : un mot malheureux, selon Charles Sterling, qui évoque la Still-leven hollandaise, et sa traduction française de “vie coye”, vie tranquille, au repos, en somme la « nature reposée » de l’abbé Le Blanc en 1747. Nature morte ne daterait, semble-t-il, que de 1756. Sterling conclut cependant à ne pas abandonner le terme : « Les mots ne valent que par les associations qui en rayonnent, et il y a sans doute assez peu de gens aujourd’hui pour qui le mot de nature morte évoque le contraire de la vie » .
J’appartiens, hélas !, malgré toutes sortes d’efforts, à cette malheureuse minorité. Qui pis est, l’énoncé de l’historien de l’art, dont j’admire profondément le travail (j’aimerais qu’on ne s’y trompe pas), me paraît la forme extrême d’une injonction à ne pas entendre, à ne pas prendre en compte les « associations » (puisque le mot est prononcé ici) qui ne se laisseraient pas ranger facilement dans les cadres habituels. Car ce n’est pas l’hyperinterprétation que vise ici Sterling, mais bien l’usage le plus trivial du lexique. Par la procédure du constat, le spectateur se trouve sommé de ne pas penser cette association-là. Je suppose que c’est à cette condition qu’on est un « bon » amateur de peinture, et qu’on laisse la trivialité à ce que le XVIIIe siècle appelait le « gros du public » ou la « lie du peuple ».

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Les espaces virtuels de l’image et l’autre perception

miafa.jpg Dans la salle du cinéma de quartier Le Jewel Cécilia (Mia Farrow) est entrée pour cacher ses larmes. Trompée par les fausses promesses de Gil Sheperd (Jeff Daniels), battue par Monk son mari (Danny Aiello), au chômage, subissant les rebuffades du monde entier, elle est aux abois. Ses yeux noyés de larmes ne distinguent pas d’abord les ombres qui s’agitent sur l’écran. Puis son visage se détend. Une lumière intérieure l’éclaire. Cécilia regarde, et elle prend place dans sa vision. Sublime plan que celui-ci où Woody Allen filme la métamorphose d’un visage qui entre dans la fiction. Là-bas, sur l’écran, ce ne sont plus des images qui bougent mais Ginger et Fred qui, sur les ailes de la musique d’Irving Berlin, s’élèvent aux Cieux, Heaven, i’m in Heaven…, virevoltent entre les colonnades, glissent sur un plancher immaculé qui s’étend, lisse, à perte de vue. Alors un sourire se dessine sur les lèvres de Cécilia, et dans ce sourire se signale l’absence de Cécilia au monde réel (la salle, la ville, la terre) et l’entrée dans l’espace imaginaire.